Plus qu’une course contre la montre ou une escalade à la performance, Running Piece nous a laissé l’impression d’une expérience dystopique, où un performeur, seul et en sueurs, réagit aux humeurs d’une machine aux visées nébuleuses.
Dès l’entrée des spectateurs, Fabien Piché marche sur un tapis roulant, face au public, au centre d’une plate-forme surélevée qu’il ne quittera pas. Puis il se met à courir, sous un éclairage blanc et froid qui rappelle les salles d’entraînement. Sa course est athlétique, symétrique, maîtrisée, son visage est en veille.
De légers déplacements de la cage thoracique, l’épaule gauche qui se disloque lentement, les bras qui deviennent ballants, les pieds qui se croisent peu à peu, nous font doucement passer de la course à la danse. Même si les pieds continuent de courir, le corps passe peu à peu dans un autre espace-temps.
Une rotation de la plate-forme nous permet de voir que chaque ralentissement exige ensuite une accélération ou un saut pour que le danseur puisse demeurer sur le tapis. On entend un texte, dont les sonorités laborieuses nous oblige à ne capter que des bribes. On y parle de maison laissée en chantier et de paysage immobile. De vent, de neige et de froid, je crois.
Rapport de force
La danse et la course, dont chaque infimes variations et dont l’énergie brute sont pleinement maîtrisées par Fabien Piché, deviennent de plus en plus libres. C’est lorsque la machine enchaîne les changements de direction et les changements de rythmes les plus inquiétants que le danseur semble le plus grisé, le plus libre et le plus heureux.
Au fil des ralentissements de plus en plus appuyés, des mouvements de plus en plus attentifs, on a l’impression que le rapport de force s’inverse, que c’est le personnage qui, finalement, met en marche son purgatoire perpétuel.
Sur le grand écran en fond de scène, tout à l’heure apparaissaient des lignes angoissantes comme les barreaux d’une prison infinies, puis des lignes bleues, mauves et roses, vibrantes comme des ondes cosmiques. Lorsque la course reprend, Fabien Piché tourne maintenant le dos au public et sur l’écran, quelque chose comme un monde, un univers de possibles apparaît. Et si on ne courait pas pour rien, mais vers quelque chose, finalement?
Le marathon aura été aussi physique que psychique et les impressions qu’il laisse aussi fortes que nébuleuses.
Running Piece, une création de la compagnie Grand Poney chorégraphiée par Jacques Poulin-Denis et présentée par la Rotonde, sera de nouveau à l’affiche jeudi et vendredi à 20h à la salle multi de Méduse.