«En fouillant un peu, en me documentant et en relisant le livre de mon grand-père, je me suis rendu compte que ça n’allait pas être uniquement une histoire de bûcherons, mais quelque chose d’un peu plus grand que ça», avance Francis Desharnais.
Pendant que le créateur de Québec se fait tirer le portrait, j’ai tout le loisir de feuilleter Guyenne, 20 ans de coopération sous le régime coopératif; et après… écrit par le fameux Marcel. On accède à un témoignage honnête, précis, qui fait la part des choses entre son récit personnel et le modèle social particulier auquel il participé.
«Le village de mon grand-père fonctionnait sur un modèle unique, coopératif. Il y avait déjà des chantiers coopératifs, mais qu’un village soit entièrement fondé sur ce principe, sans maire, sans conseil municipal, où les décisions sont prises par tout le monde, ça, c’était assez particulier», expose le bédéiste.
Tout en ayant un souci documentaire, il s’est permis d’élaguer, de romancer, de laisser les dessins exprimer les émotions des personnages. Les premières pages de La petite Russie donnent l’impression de plonger au cœur de la forêt abitibienne, tout en remontant dans le temps.
«Au début, je voulais faire 10 pages avec seulement de la forêt, même pas de texte, pour que ça devienne un peu oppressant. Parce que le travail du bois devenait quelque chose d’oppressant pour mon grand-père, qui voulait travailler la terre», explique-t-il. Entre les cases de verdure foisonnante, il a finalement glissé, comme les cartons dans un film muet, des cases noires qui narrent les étapes qui ont mené à la colonisation du Nord — la construction du chemin de fer, la crise de 1929…
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«Je voulais être un poil plus réaliste, moins cartoonesque que Burquette ou Les chroniques d’une fille indigne», indique Francis Desharnais, dont le dessin s’est affiné. Tout, dans son parcours depuis 10 ans, semble l’avoir mené à La petite Russie, sa 12e BD, mais la quatrième dont il signe le scénario en plus des dessins.
«C’est la première fois que je m’essaie sur un récit long, qui n’est pas des strips [comme Burquette] ou un exercice de style comme La guerre des arts, où je reprenais des cases que je copiais-collais et où je changeais le texte», observe-t-il. Avec Motel Galactic, qu’il a qualifié de «science-fiction du terroir», il a eu l’occasion de trouver son ton et d’écrire en québécois, dans une langue plus orale que livresque. Avec La petite Russie, il emprunte toutefois un ton plus «sérieux», et l’humour, même s’il y en a, n’est plus au cœur de la démarche.
Mythologie familiale
Question d’étoffer son portrait historique, Francis Desharnais s’est plongé dans un travail de documentation considérable. «Il n’y a pas grand-chose d’écrit sur Guyenne, à part des textes de doctorat et de maîtrise. Il y avait le livre de mon grand-père et les travaux de Robert Laplante, qui est le spécialiste», expose-t-il. Il a donc pris deux fois la route du parc pour se rendre au village et consulter les archives et les photos qui ont été rassemblées pour le futur musée de la coopération de Guyenne.
Il évoque aussi les films de Pierre Perreault sur l’Abitibi et Les Brûlés, un film de Bernard Devlin avec Félix Leclerc, dont une partie a été tournée à Guyenne. «J’en parle dans le livre. Le soir où Félix a soupé à la maison fait partie de la mythologie familiale!» note-t-il.
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Le soir où Félix a soupé à la maison fait partie de la mythologie familiale!
Si La petite Russie raconte un pan méconnu de l’histoire du Québec, c’est surtout l’histoire de Marcel et Antoinette, qui n’auront jamais su que leur petit-fils voulait raconter leur histoire. «Ces 20 années-là à Guyenne font partie de l’histoire familiale. Les enfants de mes grands-parents sont tous nés là et la plupart ont grandi là-bas», note Desharnais, dont le père est l’aîné de la famille. «Il est allé assez vite au collège classique à Amos, mais j’ai d’autres oncles qui m’ont raconté des anecdotes de ce qu’était la vie sur la ferme.»
Celui qui a souvent articulé ses histoires autour d’un personnage féminin s’est aussi intéressé au rôle des femmes dans ce village reculé. «J’ai rencontré ma grande-tante, Yolande, qui est un des personnages du livre et qui vit toujours, raconte-t-il. Même si on dit que tout le monde prenait les décisions qui concernaient le village, tout le monde, c’était les hommes.» Une situation qui mettait apparemment sa grand-mère en beau fusil… un filon que le bédéiste a utilisé pour donner de la substance au personnage.
Impossible, en abordant le Québec des années 1940 à 1960, d’occulter la place que prenait la religion, un sujet que Desharnais a toujours abordé de front, avec autant d’acuité que d’humour. «Là, on peut dire que j’ai touché aux trois grandes religions! constate-t-il. L’islam avec Burquette, le judaïsme avec Salomé et les hommes en noir et la religion catholique avec La petite Russie.»
La petite Russie, publié aux éditions Pow Pow, sera en librairie le 3 octobre.