Chronique|

Vouloir changer de sexe à 5 ans

Mélody, 5 ans, a maintenant une vraie chambre de fille et son frère jumeau, sa chambre de gars. Leurs parents, Jean-François Dubé et Chantal Ayotte, essaient de respecter les besoins de chacun.

CHRONIQUE / Mélody, 5 ans, a hâte d’avoir des seins et des bébés. L’enfant en parle beaucoup, tout comme revient souvent cette question: «C’est quand je vais me faire couper le pénis?»


Une fillette dans un corps de garçon. C’est ce qu’est vraisemblablement Mélody qui s’appelait Vyctor à la naissance. Ses parents se font tranquillement à l’idée. Ils ne peuvent plus ignorer les signes avant-coureurs reçus au cours des années et encore plus ces derniers mois.

Alors voilà, ce n’est pas Vyctor, mais Mélody qui vient de commencer la maternelle habillée comme une fille, du vernis rouge sur les ongles d’orteils et les oreilles nouvellement percées.

Vyctor ne se costume pas en fille. Il est une fille. Dans sa tête et dans son coeur. Depuis que Mélody prend toute la place, l’enfant resplendit.

C’est plus compliqué pour son frère jumeau...

Parce que oui, Vyctor n’est pas venu au monde tout seul. Il a un frère, Doran, qui n’a jamais demandé à grandir avec une jumelle qui enfile une robe de nuit avec des flamants roses. Le plus fragile des deux en ce moment, c’est lui. Il n’a que 5 ans, lui aussi, un âge où généralement, on préfère s’amuser avec des enfants du même sexe.

Il y a quelques semaines, Doran a exigé d’avoir sa propre chambre. Des maisons de poupées sur le plancher, à côté de ses camions et figurines militaires, c’était non. Dans un coup d’éclat, le garçon a commencé à faire ses boîtes.

«Il ne voulait plus dormir avec une fille», me chuchote sa mère pour ne pas que les jumeaux l’entendent.

Doran ne veut pas non plus prendre son bain avec Mélody qui ne semble pas s’en offusquer. Quand son frère cherche à la provoquer en l’appelant Vyctor, elle ne bronche pas.

«C’est qui ça, Vyctor? Il n’y a pas de Vyctor ici.»

Jean-François Dubé et Chantal Ayotte savent pertinemment que vous êtes en train de vous dire qu’à 5 ans, Vyctor ou Mélody, peu importe avec quel prénom je raconte cette histoire, est beaucoup trop jeune pour décider de changer d’identité de genre.

«Ben voyons donc, ce n’est qu’une passade! À son âge, j’étais une princesse et mon petit voisin, un superhéros. Mauvaise idée que d’encourager leur fils dans sa lubie.»

On n’est pas des experts, mais c’est plus fort que nous. Nous avons tous une opinion, bonne ou moins bonne, sur la vie des autres.

Jean-François et Chantal ont douté, eux aussi, lorsque Vyctor s’est mis à exprimer le fait qu’il est une fille. Ils se sont posé des questions et n’auront peut-être jamais toutes les réponses, mais vient un jour où il faut écouter l’enfant et personne d’autre que lui.

Gérant de deux stations-services, Jean-François Dubé était en route pour le travail lorsqu’il s’est senti interpellé par le sujet traité sur les ondes du 106,9 Mauricie.

L’animatrice Catherine Gaudreault réagissait à l’initiative de la Fondation Jasmin Roy de présenter aux tout-petits en période d’affirmation de soi des vidéos mettant en vedette une marionnette transgenre.

«Est-ce qu’il est trop tôt pour aborder le sujet avec un enfant de 5 ou 6 ans? À cet âge, es-tu en mesure de prendre une décision qui concerne ton avenir?», a-t-elle demandé aux auditeurs.

Spontanément, Jean-François a composé le numéro de téléphone pour répondre à la lumière de son expérience. Convaincus de la nécessité de changer des mentalités, l’homme et son épouse ont également accepté de m’ouvrir les portes de leur demeure et de me présenter Mélody.

Je savais que je venais rencontrer un garçon de 5 ans qui se dit du sexe opposé, mais j’ai tout de même été saisie en le voyant tout sourire dans sa jaquette aux manches bouffantes. Difficile à expliquer pourquoi, mais j’ai aussitôt compris que je n’étais pas devant un enfant qui joue à faire semblant d’être une fille.

«Viens avec moi! Je veux te montrer quelque chose.»

Je venais d’entrer dans le duplex de Shawinigan que Mélody tenait à me faire visiter sa nouvelle chambre, à me montrer ses robes et ses bracelets. J’ai eu le réflexe de lui ébouriffer les cheveux, une coupe garçon appelée à devenir une longue chevelure. Chose promise, chose due.

La dernière fois que Chantal Ayotte a rasé les cheveux de ses jumeaux, ça a été l’enfer. C’était en juin dernier, à la fin des classes. «Mélody n’arrêtait pas de se débattre et de brailler.»

J’ai fait gaffe de ne pas échapper un «Vyctor» en m’adressant à Mélody, d’éviter d’utiliser le «il» ou un «lui» en parlant devant l’enfant. Mélody a choisi son prénom au début du mois d’août seulement, juste à temps pour la rentrée des classes.

Ses parents lui ont expliqué que c’est normal que les gens soient «mélangés». Sa mère a, la première, laissé échapper un «Venez les gars» lorsque la photographe du Nouvelliste est arrivée pour ce portrait de famille où les jumeaux - qui ne sont pas identiques - apparaissent de dos. Chaque chose en son temps. Pour l’instant, ce sont deux enfants qu’il faut protéger du regard et du jugement des autres.

Ce n’est pas d’hier qu’une petite Mélody s’exprime à travers Vyctor. Parents d’une famille recomposée de dix enfants, Jean-François et Chantal ont commencé à se questionner du regard peu de temps avant leur mariage, à l’été 2016. Les jumeaux avaient 3 ans.

«Quand Vyctor a vu les robes qu’allaient porter les bouquetières, il ne voulait plus porter son smoking.»

Chantal Ayotte et Jean-François Dubé sont les parents de jumeaux dont l’un des garçon vient de commencer la maternelle en fille.

Sa crise a été mémorable.

Sa mère a fini par lui faire entendre raison en lui répétant que les robes, c’est pour les filles, mais elle se doutait bien que ce n’était que partie remise. Pensons seulement à ce rendez-vous chez l’opticien.

«On a passé une heure et demie à lui dire: Non, tu n’auras pas des lunettes roses. On avait beau lui répéter que les lunettes étaient trop grandes ou trop petites, il n’y avait rien à faire. Finalement, il a choisi des lunettes rouges. On lui a dit qu’elles avaient un reflet rose pour l’amadouer. Ça a passé.»

À 4 ans, Vyctor n’a pas mis de temps à choisir son camp à la prématernelle. Ses amis n’étaient pratiquement que des filles et ses jeux étaient ceux privilégiés par celles-ci.

Un jour, alors qu’il s’amusait à la maison avec un garçon et une fillette, sa mère l’a entendu(e) se pencher vers sa copine pour lui faire remarquer: «As-tu vu? On est plus de filles que de gars.»

Quand, au printemps dernier, Chantal Ayotte a finalement accepté de lui acheter une robe de nuit à porter uniquement à la maison, ça a été la révélation. Mélody est apparue dans toute sa splendeur. Impossible de la faire disparaître. Elle était là pour rester.

«Mélody avait des étincelles dans les yeux et disait à tout le monde dans le magasin: «Regardez ma robe! Regardez ma robe!»

Ce qui devait arriver arriva. L’enfant a demandé à s’habiller en fille le jour comme la nuit, à la maison comme à l’épicerie. Ses parents ont résisté jusqu’à ce que Vyctor trouve mille et une astuces pour camoufler sa robe sous ses vêtements de garçon.

Fin juillet, Jean-François Dubé et Chantal Ayotte ont contacté une intervenante du CLSC. En toute franchise, elle a admis son manque de compétences en matière de changement de sexe pour un aussi jeune enfant. La dame a proposé d’aider le jumeau Doran qui est dépassé par la situation avant de leur conseiller de faire appel à l’organisme Trans-Mauricie/Centre-du-Québec.

Au bout du fil, Jean-François a raconté leur histoire pour se faire rassurer. «Oui, vous faites ce qu’il faut.»

À une semaine de la présente année scolaire, lui et sa conjointe ont avisé la directrice de l’école primaire que ça n’allait pas être Vyctor, mais Mélody qui fréquenterait la classe de maternelle. Il a été convenu que le personnel de l’établissement s’ajusterait à la situation et qu’à l’avenir, Mélody irait à la toilette du côté des filles.

Jusqu’à preuve du contraire, tout se passe bien. Si on exclut les deux ou trois petits amis qui la regardent «bizarre», a-t-elle mentionné à sa mère, les autres écoliers n’ont pas fait grand cas de l’arrivée de cette nouvelle élève qui n’en est pas vraiment une. De toute manière, Mélody a l’attitude de celle qui n’en a rien à cirer de ce que les autres, jeunes et moins jeunes, peuvent penser. «Ça ne l’affecte pas du tout.»

Ni Mélody, ni ses parents, n’ont encore rencontré de psychologue, médecin, pédopsychiatre ou autre spécialiste susceptible de les guider dans cette métamorphose de Vyctor en Mélody. Ça viendra. Un jour, l’enfant sera aux portes de l’adolescence et des bouleversements hormonaux. Des décisions s’imposeront pour celle qui pourra toujours compter sur ses parents qui sont heureux de la voir aussi heureuse.

N’empêche que ce n’est pas toujours rose de faire face à une réalité aussi complexe que celle de cette famille qui tenait néanmoins à raconter son histoire.

«C’est sûr que c’est très déstabilisant. On est dans l’inconnu, mais on espère que notre témoignage ouvrira l’esprit des gens et aidera des enfants, si ce n’est qu’un seul, à avoir une enfance comme ils le méritent.»

Dans le mauvais corps

Oui, ça existe un garçon de 5 ans qui a la certitude d’être une fille et qui, surtout, a raison.

«L’identité de genre se cristallise autour de 3 ans.»

Sexologue et psychothérapeute, Isabelle Borduas accompagne dans sa pratique des personnes trans. Ces hommes et ces femmes lui ont souvent raconté qu’ils étaient de jeunes enfants lorsqu’ils ont commencé à ressentir cet inconfort, profond et tenace, par rapport au sexe inscrit sur l’acte de naissance.

La dysphorie de genre n’est pas une maladie ni un trouble. C’est le nom pour désigner la souffrance physique, mentale et sociale ressentie par l’individu qui est convaincu que son identité de genre ne correspond pas à ses organes génitaux.

Isabelle Borduas donne l’exemple d’un petit garçon qui ne comprend pas pourquoi il a un pénis. «Ce n’est pas supposé. Je suis une fille!»

Cette conviction d’être dans le mauvais corps persiste dans le temps, mais également envers et contre tous. Son entourage aura beau le forcer à s’habiller et à se comporter comme un gars, sa tête et tout son être lui envoient le message contraire.

La puberté frappe comme une tonne de briques. «C’est le point tournant. L’adolescent a l’impression d’être trahi par son propre corps.»

La détresse psychologique est grande, d’où l’importance pour les parents de se montrer alertes aux premiers signaux que leur envoie leur fille ou leur garçon. Ignorer son cri du coeur, insiste la psychothérapeute, risque d’être beaucoup plus dommageable.

Isabelle Borduas n’a jamais rencontré Mélody, mais elle appuie ses parents pour qui le bien-être de leur enfant est essentiel, peu importe son sexe et les flamants roses sur sa robe de nuit.