L’avion s’est posé en début de matinée. C’est fou comme le chaud soleil d’été rappelait l’été d’il y a six ans. Les images de la passerelle menant à la station des trains de banlieue me sont revenues. J’ai eu des flashbacks en remontant sur le tapis roulant qui nous transporte sur une centaine de mètres en avant et je suis monté instinctivement dans le train qui roulerait pendant près d’une heure vers le centre-ville.
Je connaissais le chemin. Tout en haut des marches de la station Monastiraki, je sortirais sur la place du même nom. La vieille église sur laquelle flotte un drapeau grec, au fond à droite, n’a pas bougé d’un poil. Sur la gauche, l’animation du marché aux puces, avec ses babioles destinées aux touristes, n’a pas faibli.
J’ai marché à travers la place, où les mendiants sévissaient déjà et où les touristes avaient bien entamé leur quête d’aventure. En atteignant la rue Ermou, instinctivement, j’ai pris à gauche et j’ai marché sans m’arrêter.
La rétine inondée de soleil, j’ai levé la tête et j’ai aperçu les grosses lettres de l’enseigne qui se découpaient sur le ciel bleu. Pella Inn! Comme on se retrouve. Les jambes m’ont ramolli à peine une seconde.
En 2012, l’auberge de qualité moyenne avait sa porte d’entrée sur une rue transversale, entre deux étals de vendeurs de livres d’occasion. On empruntait un court couloir au bout duquel un escalier menait à la réception, au deuxième étage. Les plus courageux pouvaient s’emmurer un instant dans le monte-charge, exigu et vieillot, qui ne pouvait accueillir que deux personnes de taille moyenne à la fois.
J’ai cherché un instant la porte à l’endroit où j’espérais la trouver... Plus rien. Un tout nouveau vestibule, au rez-de-chaussée, donnait directement sur la grand-rue. Entièrement vitré, couvert de plancher flottant et agrémenté de deux grands fauteuils, il avait plus fière allure que le tout petit guichet que j’avais connu, percé à travers d’un mur à l’étage. Le monte-charge, lui, n’avait pas rajeuni.
Les chambres aussi avaient changé. Plus grandes, elles comptaient maintenant leur propre salle de bain. Les douches communes, qui projetaient leurs jets plus vers le plafond que le plancher, avant, avaient disparu. Mon Pella Inn rivalisait maintenant avec les auberges modernes.
J’ai franchi les quelques marches qui me séparaient du toit, de son bar, de sa vue imprenable sur la ville. Là encore, le mobilier avait changé. D’autres s’étaient approprié l’endroit. D’autres destins s’y étaient croisés. J’ai salué le Parthénon qui, lui, n’avait pas bougé. Lui se souvenait peut-être, comme moi, des gamins qui avaient scellé une amitié inébranlable sur le toit de cette vieille auberge de la rue Ermou, quelque part en 2012.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/PZPF2PVYPBA7ZOF7LHWWJEPXAQ.jpg)
Les genoux m’ont ramolli à peine deux secondes. Ma gorge s’est nouée un peu aussi, pas beaucoup. La nostalgie met un peu de temps à nous sonner complètement.
J’ai changé de t-shirt et je suis parti sur les traces de mes souvenirs. Sans trop réfléchir, j’ai laissé mes pas me guider à travers le marché aux puces pour me ramener à la place Monastiraki. Je me suis enfoncé un peu plus loin dans les ruelles marchandes jusqu’à la cathédrale d’Athènes, que je ne me rappelais pas avoir déjà vue, et je me suis perdu dans les ruelles de Plaka.
Là où nous étions autrefois six à déambuler nonchalamment, sans direction, j’étais seul à chercher le même café végane où nous avions goûté notre première moussaka. Je l’ai retrouvé, avec sa terrasse tout en haut d’un étroit escalier en colimaçon. Mais il n’y avait plus de moussaka au menu. Et le temps me paraissait plus long sans notre animée discussion sur un sujet pourtant trop tabou : la religion.
Comme avant, j’ai passé le temple de Zeus, traversé le Jardin national d’Athènes, et j’ai abouti devant le parlement, où un soldat montant la garde près de la tombe du Soldat inconnu nous avait fait comprendre que nous nous étions un peu trop approchés de lui. J’ai regardé le changement de la garde encore une fois. Cet étrange ballet des soldats portant un uniforme saugrenu, avec des pompons sur les chaussures, m’a à nouveau fait sourire.
Pendant trois secondes, peut-être vingt, je me suis senti incroyablement seul. Mais quand la garde a été relevée, qu’elle est partie pendant que d’autres s’installaient près du soldat inconnu, je l’ai laissée emporter ma nostalgie.
Le pèlerinage avait assez duré.
À partir de là, les nouveaux souvenirs s’ajouteraient aux anciens. Quelque part vers la rue Kanari, j’ai goûté la glace à la pomme grenade. J’en avais bien besoin pour affronter la canicule et poursuivre mon ascension vers le mont Lycabette, que je n’avais vu que de loin jusqu’à ce jour.
Je l’ai gravi jusqu’à la chapelle Saint-Georges, tout en haut. Pour être honnête, on est loin du mont Everest. Mais la vue! La vue, elle est bien meilleure que sur l’Acropole. Justement parce que du mont Lycabette, on voit l’Acropole, le temple de Zeus et le vieux stade des Panathénées. On aperçoit aussi la mer au loin et l’étendue de la ville d’Athènes, tout autour.
Je me suis permis d’explorer ailleurs que le centre historique de Monastiraki et de l’Acropole. J’ai vu Gazi, avec ses vieilles usines transformées en lieux branchés. J’ai marché Thisio, le secteur des bars et des boîtes de nuit, et Omonia, plein de graffitis, des quartiers que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam.
Et parce qu’il s’agissait encore de l’option la plus rentable, je suis revenu au Pella Inn deux semaines plus tard pour fermer la boucler et saluer Athènes une dernière fois.
Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com.