Johanne Vigneau, pionnière de la gastronomie madelinienne

Un exemple de plat servi à La table des Roy

Cet été marque la 40e saison de La Table des Roy, le restaurant gastronomique de Johanne Vigneau aux Îles-de-la-Madeleine. Celle qui est devenue chef par «un clin d’œil de la vie» poursuit sa mission de servir un moment de bonheur en rendant hommage aux produits et aux artisans du terroir madelinot. Le Soleil a rencontré la chef à l’aube de cette saison qui s’annonçait fort chargée.


Native des Îles, fille de pêcheur, Johanne Vigneau est tombée dans la marmite de la cuisine lorsqu’elle a décroché un premier emploi d’été comme plongeuse à La Table des Roy, alors propriété de Francine et André Roy. Là, on y servait déjà une cuisine gastronomique à laquelle la jeune femme «ne connaissait absolument rien», mais qui a été pour elle un véritable coup de foudre. Elle observe, elle apprend, elle ose prendre le flambeau lorsque le couple de propriétaires décide de quitter les Îles en 1986 — elle n’a alors que 23 ans.

Plus de 30 ans plus tard, son art s’est raffiné, mais la cuisine de Johanne Vigneau continue de mettre de l’avant les produits du terroir, pour le plus grand bonheur des touristes comme des Madelinots.

La chef-propriétaire de La Table des Roy, Johanne Vigneau, rend hommage par sa cuisine aux produits et aux artisans du terroir madelinot.

De la mi-juin au début de septembre, La Table des Roy propose un menu terre et mer qui fait la part belle aux nouveautés, tout en conservant certains classiques dont la clientèle ne se lasse pas, notamment la cocotte de ris de veau avec pétoncles et homard, ou encore le soufflé au sirop d’érable.

À la carte cette saison, des huîtres du Large, cultivées aux Îles-de-la-Madeleine, du poisson fumé du Fumoir d’antan, du thon, du wapiti, du carré d’agneau des Moutons du large, du loup-marin (phoque) en croquette, et un plat représentant le patrimoine de la chef : la morue salée. «La morue salée tient une large place dans notre patrimoine culinaire. Le salage du poisson était jadis une nécessité pour la conservation. C’était tout un repas de fête quand ma mère nous cuisinait la morue salée. On se fait encore quelques provisions juste pour se faire plaisir et se rappeler de savoureux souvenirs d’enfance», explique Johanne Vigneau à même son menu. Elle sert son plat de morue fraîche et salée avec une polenta crémeuse au Pied-de-Vent, de la réputée fromagerie du même nom à Havre-aux-Maisons.

Le restaurant La Table des Roy, ouvert en 1979, en est à sa 40e saison d’opération.

Partager sa passion

«Je suis gourmande et c’est tant mieux.» Celle qui assume pleinement sa gourmandise entamait aussi cet été la sixième saison complète de Gourmande de nature, ce laboratoire qui lui permet d’élaborer ses propres produits, de proposer ses trouvailles et d’offrir des ateliers culinaires. Puis des repas sur place se sont ajoutés le midi, «ça s’est imposé parce que les gens le demandaient», confie Mme Vigneau.

Salades, sandwichs, bols pokés, mais aussi café et gelato maison, dont une au fromage Pied-de-Vent et églantier (surprenant et… délicieux!), y sont servis. Johanne Vigneau élabore également ses produits signature 100 % naturels à base de petits fruits et autres «trésors sauvages» : sels aux accents marins (herbes, persil de mer et citron, chanterelle…), sucres aromatisés (lavande, vanille, etc.), confitures, coulis, beurres et bases à cocktail à l’églantier, à la groseille ou encore à la canneberge sont autant de petits bonheurs en bouche. 

Bases à cocktail vendues à la boutique Gourmande de nature

Dans l’espace boutique, on trouve en plus de ses produits une sélection de coups de cœur : des accessoires de cuisine, des produits gourmets, des beaux livres sur la cuisine et plusieurs autres idées cadeaux. 

À l’arrière, un vaste local lumineux est l’endroit de partage par excellence, où la chef Vigneau offre des ateliers culinaires variés de la mi-juin à septembre — la boutique, elle, est ouverte de mai à décembre. La programmation comprend bien sûr des incontournables de la cuisine madelinienne (le homard, le pétoncle, d’autres poissons et fruits de mer) tout comme des inspirations d’ailleurs (pâtes fraîches, mets thaïlandais — où la chef a déjà séjourné deux mois —, tapas, sushis, sashimi et poké…) 

Certains sont offerts en collaboration, par exemple l’atelier sur les mets traditionnels des Îles — dont le fameux pot-en-pot — donné par deux membres du Cercle des fermières. Ou encore les récoltes en bord de mer avec une biologiste, ou en forêt avec un mycologue. 

Ils se terminent tous de la même façon : dans la convivialité, en dégustant ses plats cuisinés avec un bon verre de vin!

Pour info : restaurantlatabledesroy.com et gourmandedenature.com

Gourmande de nature propose plusieurs ateliers culinaires de la mi-juin à septembre.

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LES ADRESSES DE LA CHEF

On a demandé à la chef Johanne Vigneau quelles sont ses adresses coup de cœur aux Îles pour se sustenter. Si elle avoue manquer de temps pour aller au resto, elle mentionne tout de même le restaurant de l’hôtel Domaine du Vieux Couvent, La Moulière, notamment pour sa vue magnifique sur l’île d’Entrée et la baie de Plaisance. Vous l’aurez deviné, on y sert notamment… des moules! 

Non loin, aussi sur l’île de Havre-aux-Maisons, la pâtisserie Hélène des Îles est également une adresse prisée de la chef, où les macarons, cannelés, brioches, tartes et caramel maison donnent l’eau à la bouche dès qu’on met les pieds dans la boutique — et quelle délectable odeur! 

Voisine de la pâtisserie, la Pizza d’la Pointe se dispute le titre de meilleure pizza des Îles avec le Decker Boy de Fatima — on comprend que Johanne Vigneau a un penchant pour la première!

Pour info :

› La Moulière goo.gl/4YUb4a

› Pizza d’la Pointe pizzadlapointe.ca

› Hélène des Îles goo.gl/kUZGG2

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Les fruits de mer occupent une place de choix au menu de La Table des Roy.

LES DÉFIS DE LA RESTAURATION INSULAIRE

Veau des Nathaël, loup-marin de la Boucherie Côte à Côte, légumes bio du Jardin du Havre Vert, cidre de Poméloi, huîtres et moules du Large, Tomme des Demoiselles et autres fromages du Pied-de-Vent sont autant de produits locaux que l’on peut retrouver dans son assiette à La Table des Roy. Mais la chef Johanne Vigneau signale tout le défi logistique d’approvisionnement pour les restaurateurs aux Îles-de-la-Madeleine.

Les restaurants sont nombreux à vouloir mettre de l’avant les produits du terroir, mais il importe de se les «départager» et de proposer une offre «complémentaire», à la fois pour se distinguer, mais aussi pour se procurer ces produits locaux en quantité suffisante et éviter d’être en rupture de stock. «On veut avoir les ressources en abondance. Si je mets quelque chose à mon menu, c’est parce que je veux être sûre que je peux répondre à la demande… mais ce n’est pas toujours facile pour les producteurs d’être constants», explique Mme Vigneau. 

S’il y a toute une logistique à l’approvisionnement local, il y en a une aussi pour les aliments qui viennent de l’extérieur, puisqu’ils sont acheminés par bateau. Cela demande une planification très rigoureuse, signale la chef.

Le prix des produits est aussi à considérer. Par exemple, le crabe est rendu «hors de prix, il a augmenté de 8 $ la livre rien que cette année», déplorait-elle lorsque nous l’avons rencontrée en juin. Quant au loup-marin, auquel nombre de visiteurs sont curieux de goûter, les chasseurs doivent aller le chercher sans cesse plus loin sur la banquise, qui s’éloigne des Îles depuis des années… ce qui en augmente aussi le prix. Jusqu’où le consommateur est-il prêt à débourser? C’est la délicate question qui taraude la chef au moment d’élaborer son menu.

Précieux personnel

Si la saison estivale amène son lot de touristes — «je ne serais pas surprise qu’on atteigne 80 000 cette année!» estimait Mme Vigneau —, trouver du personnel qualifié pour répondre à la demande s’avère un défi constant. «C’est plus attrayant [pour les employés] d’avoir un travail de jour. Plusieurs viennent de l’extérieur et veulent profiter de leurs soirées. En cuisine, ce sont des gens plus âgés qui travaillent avec moi depuis longtemps, et le soir c’est plus dur pour eux…» 

La chef admet que c’est un certain «stress» de trouver de la relève. À La Table des Roy, un jeune chef de Rimouski est aux fourneaux pour un troisième été… l’histoire dira s’il reprendra éventuellement le flambeau.