Dans les bulletins de nouvelles, on rapportait que des désespérés, des banquiers entre autres, se jetaient de l’Acropole à défaut d’envisager un futur moins sombre. La plupart des touristes s’aventurant jusqu’au Parthénon, dont moi, ignoraient tout des vies qui s’écourtaient à quelques mètres des ruines anciennes.
Dans les dernières semaines, ce sont les incendies meurtriers qui ont couvert la Grèce de tristesse. Décidément, je n’ai pas le sens du timing.
Mais ce ne sont ni les crises économiques ni les catastrophes naturelles qui m’inquiètent. Pas plus que de savoir que j’ai échappé de justesse à un (sûrement) spectaculaire vol plané quand les freins de mon tout-terrain ont pris congé dans une côte pentue comme ça à Mykonos. On dit que les routes grecques sont les plus dangereuses d’Europe. J’aurais tendance à penser que ce sont les véhicules qui le sont. Mais tout indique que je ne conduirai pas cette fois-ci.
Ce sont plutôt les souvenirs qui flottent au-dessus de la capitale grecque qui me foutent la trouille. Parce que j’ai beau n’avoir passé que trois jours à Athènes, j’ai eu le temps d’emmagasiner les amitiés et les petits moments magiques impossibles à recréer.
Retourner dans une ville qu’on a appréciée, à laquelle sont rattachées des histoires, c’est dangereux. Dangereux de remplacer des images poussiéreuses qu’on idéalise par de nouvelles moins inspirantes. J’avais à tort la même crainte avec Tokyo, qui a changé tellement vite en six ans. J’y ai surtout souri de retrouver des points de repère que j’avais oubliés. Sauf qu’Athènes est différente.
Sur les ailes d’Egypt Air, en survolant les îles des Cyclades, je me rappelle avoir renoncé à l’anxiété. Sans plan, sans direction, j’arrivais à Athènes le temps d’une escale de quelques jours vers la Lituanie. Beaucoup moins cher que le vol direct, ce trajet me permettait de traquer Zeus sans l’avoir planifié.
Ma réservation de dernière minute ne me laissait que peu de choix pour un hébergement. Dans Monastiraki, l’hôtel Pella Inn offrait encore quelques lits en dortoir. La chambre comptant six lits laissait à peine suffisamment d’espace pour circuler. L’air conditionné coulait sur le sac à dos que je venais de déposer contre le mur. La douche, dans le couloir, éclaboussait les murs et le plafond à défaut de couler en jet vers le plancher...
Ça ferait le travail pour un gars sans plan, bien résolu à se poser.
En grimpant deux volées de marches, on atteignait la terrasse, sur le toit, où la vue sur un Parthénon illuminé n’a pas d’autre égale. Dans la nuit grecque, où la chaleur ne tombe jamais vraiment, j’ai longtemps regardé le vieux temple qui ne tombe pas lui non plus.
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J’ai engagé avec un autre voyageur une discussion qui promettait d’être plus longue que la nuit. À la lueur du Parthénon, que je ne voyais plus, je me faisais un ami pour la vie.
Le lendemain, le tour guidé que j’avais réservé ayant été annulé par un guide souffrant d’une laryngite handicapante, j’ai proposé à deux Américaines d’improviser avec moi à travers les rues d’Athènes. Pendant qu’elles réfléchissaient, j’allais réveiller mon nouvel ami pour qu’il participe lui aussi à l’escapade.
Il fallait entendre les deux sœurs crier « Canada! » dans le couloir pour me retrouver et accepter ma proposition. C’est que nous ne nous étions pas encore présentés formellement. La nationalité avant le prénom.
La caravane a ajouté deux autres membres, une fratrie brésilienne à la jeunesse encore bien verte. Sous le soleil cuisant, nous avons grimpé l’Acropole, déambulé dans Plaka où nous avons dégusté une moussaka, et, près du parlement, nous avons cueilli des oranges qu’il aurait été préférable de ne pas goûter.
Nous avons fini la soirée sur une terrasse où un groupe de musiciens enveloppaient la nuit en accompagnant leurs voix de bouzouki.
Athènes me fait peur parce que je chercherai la moussaka d’hier. Parce que je déambulerai dans ses rues sans les mêmes compagnons. Et même si les commentaires des voyageurs, sur internet, laissent croire que les douches y coulent toujours vers le haut et que les climatiseurs y coulent toujours vers le bas, j’ai repris une chambre au Pella Inn, pour la symbolique.
Mais ce soir, quand je trinquerai à la santé du Parthénon, sur la terrasse de l’hôtel, je me sentirai sans doute un tantinet seul et nostalgique.
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