Il y a deux grandes manières de compter ces décès-là, explique Dr Pierre Gosselin, médecin à l’Institut national de santé public (INSPQ). «La première, dit-il, c’est que pendant la canicule et les jours qui suivent, si les décès surviennent hors du milieu hospitalier, alors il y a une enquête automatique du coroner. […] C’est ce qui donne les chiffres qui ont été cité ces dernières semaines.»
Cette méthode a un grand avantage, celui de la fiabilité: même si on ne peut jamais être sûr à 100% de la cause d’un décès, le lien avec la chaleur est alors considéré comme «hautement probable». L’enquête du coroner, en effet, peut tenir compte de plusieurs facteurs qui confirment [ou infirment, selon le cas] que c’est la canicule qui a tué, comme «la température à l’intérieur du logement que les ambulanciers ont prise, la température du corps à l’urgence si possible, […] l’état de déshydratation, des choses comme ça», illustre Dr Gosselin.
Mais cette manière de procéder vient avec un gros inconvénient: elle «échappe» toujours un certain nombre de décès qui pourraient être dus à une vague de chaleur. «Ça nous donne quelque chose qui est de l’ordre de la moitié des décès totaux, ou peut-être un peu plus», dit Dr Gosselin. Le chiffre de 70 décès pour la canicule du début juillet est donc, a priori, très conservateur.
Ce qui nous mène à l’autre type de décompte, qui est essentiellement un exercice statistique: on observe le nombre total de décès, toutes causes confondues, survenus au Québec les jours de canicule et les trois suivants (il peut y avoir un délai entre la cause et l’effet), puis on les compare au nombre quotidien de décès survenus aux mêmes dates au cours des cinq dernières années. «Alors ça, commente Dr Gosselin, ça augmente le nombre de décès parce que là-dedans, il y a des gens qui étaient hospitalisés […]. C’est comme ça qu’on peut faire un bilan des décès probablement liés à la chaleur.»
Pour la canicule de cet été, ce bilan-là viendra plus tard parce que l’INSPQ le fait avec les chiffres de décès produits par l’Institut de la statistique et que ceux de juillet ne seront disponibles que quelque part en août, dit Dr Gosselin.
Maintenant, rien n’est jamais parfait. Si la méthode statistique a l’avantage de ne pas «manquer» (ou presque pas) de décès, elle a le défaut de ne pas être aussi fiable que les enquêtes du coroner. Elle identifie des décès «probablement» causés par la vague de chaleur, alors que le lien est «hautement probable» dans les enquêtes du coroner
Mais il y a quand même deux choses qui viennent renforcer la crédibilité de cette méthode. La première, c’est qu’elle a été utilisée dans de nombreuses études un peu partout dans le monde et il est très solidement démontré que les vagues de chaleur provoquent une hausse des décès qui perdure jusqu’à quelques jours après la fin de la canicule. Une étude parue l’an dernier dans Environmental Health Perspective a analysé des données provenant de 18 pays sur des périodes de 10 à 40 ans ; elle a trouvé que l’effet varie un peu selon le climat, mais que la mortalité augmente de 7 à 12% lorsque la température dépasse le 97,5e percentile pendant quelques jours. Et plus la canicule est sévère, plus la surmortalité est grande, a conclu l’étude.
La deuxième manière de valider l’effet statistique, dit Dr Gosselin, c’est qu’«on regarde les trois mois qui suivent la vague de chaleur pour voir s’il n’y a pas un effet de moisson. L’effet de moisson, ce sont les gens qui seraient morts de toute manière dans les semaines suivantes parce qu’ils sont en phase terminale de cancer, par exemple. Habituellement, s’ils partent plus tôt à cause de la canicule, on va avoir une baisse de mortalité dans les mois qui suivent».
Bref, dans de grandes sociétés comme les nôtres, il y a continuellement une sorte de «pool» de gens qui sont extrêmement fragiles. En temps normal, ces gens-là décèdent peu à peu et sont remplacées à peu près au même rythme par d’autres gens, affaiblis par l’âge ou la maladie. Mais quand une canicule survient, alors ce «bassin» se vide rapidement, si bien qu’il y a moins de gens très fragiles par la suite, du moins pour un temps.
Cet effet de moisson, cependant, ne survient pas toujours, avertit Dr Gosselin. Il n’a en tout cas pas été observé au Québec, possiblement parce que notre climat continental ne favorise pas les longues canicules. Mais il l’a été ailleurs. Par exemple, une étude française a examiné les six pires canicules survenues en France entre 1971 et 2003, et a trouvé un effet de moisson «modéré» dans quatre cas. Mais il semble que cet effet est toujours moindre que la surmortalité elle-même.
Sources :
- Grégoire Rey et al., «The impact of major heat waves on all-cause and cause-specific mortality in France from 1971 to 2003», International archives of occupational and environmental health, 2007
- Yuming Guo et al., «Heat Wave and Mortality: A Multicountry, Multicommunity Study», Environmental Health Perspectives, 2017
***
Vous vous posez des questions sur le monde qui vous entoure? Qu’elles concernent la physique, la biologie ou toute autre discipline, notre journaliste se fera un plaisir d’y répondre. À nos yeux, il n’existe aucune «question idiote», aucune question «trop petite» pour être intéressante! Alors écrivez-nous à: jfcliche@lesoleil.com.
***
Veuillez noter que cette chronique fera relâche pour trois semaines, le temps que la langue-à-terre de son auteur retourne dans sa bouche. De retour (en forme) à la fin d’août!