Matapédia: le Camp de la grippe espagnole scruté par des archéologues

Le lieu abrite des croix, une stèle, un autel et des panneaux qui invitent au recueillement.

SAINTE-IRÈNE — Le site historique du Camp de la grippe espagnole, situé au fond de la forêt de Sainte-Irène, dans La Matapédia, a été scruté par des archéologues. Leurs travaux, qui se sont étalés toute la semaine dernière, consistaient à dresser un premier inventaire archéologique d’un lieu qui, il y aura 100 ans à l’automne, a été le théâtre d’un épisode tragique et marquant de la terrible pandémie.


Les professeurs et chercheurs Nicolas Beaudry et Manon Savard, codirecteurs et cofondateurs du Laboratoire d’archéologie et de patrimoine de l’Université du Québec à Rimouski, étaient accompagnés dans leurs travaux de six étudiants en histoire et en archéologie. «Le but est de documenter l’état actuel du site et d’évaluer son potentiel archéologique, précise M. Beaudry. Il y a aussi un volet de diffusion visant à faire connaître le camp pour son intérêt historique, archéologique et patrimonial.» 

Un autre objectif de leur démarche est de sensibiliser les élus et le public à la valeur historique, patrimoniale et archéologique du lieu. D’ailleurs, dans la seule journée de jeudi, une quarantaine de personnes de la région sont venues à la rencontre des archéologues. «C’est vraiment impressionnant, a souligné Manon Savard. Ils ont partagé leur expérience et avaient des choses intéressantes à raconter. Certains étaient parents avec les gens qui sont morts ici. Ça ajoute à la documentation.»

À l’automne 1918, 10 bûcherons âgés de 17 à 34 ans se rendent au camp du ruisseau Martel, l’un des chantiers de la Ferguson, dans La Matapédia. Entre le 22 octobre et le 2 novembre 1918, neuf d’entre eux, l’un après l’autre, sont emportés par la grippe espagnole. Dans son livre intitulé Le camp de la grippe espagnole, Roger Delaunais, un auteur natif de Québec ayant grandi à Amqui, raconte que le neuvième, avant de rendre l’âme, aurait réussi parcourir à pied la vingtaine de kilomètres de forêt afin d’aller serrer son enfant dans ses bras pour une dernière fois. 

En dépit de son isolement, le site est devenu un mémorial populaire.

Au fil du temps, en dépit de son isolement, le site est devenu un mémorial populaire. Les bâtiments n’y sont plus, mais en creusant, certains vestiges de structures de bois et des ossements d’animaux se révèlent. Des arceaux de tonneaux et des harnais de chevaux accrochés aux arbres rappellent l’occupation du lieu. Quelques décennies plus tard, Roger Delaunais a dressé des croix, une stèle, un autel et des panneaux qui invitent au recueillement.

Les archéologues ont prélevé plusieurs artefacts, dont une bouteille de gin, une fiole d’apothicaire, une louche, une tête de marteau, une plaque de fonte ainsi que de la vaisselle et de la céramique fragmentées. Ces objets feront l’objet d’études en laboratoire. «Une semaine de recherche sur le terrain requiert environ trois mois de travail en laboratoire», indique M. Beaudry.

Le lieu abrite aussi des vestiges qui auraient appartenu au seul survivant des dix bûcherons du camp, David Perron. Selon Roger Delaunais, le témoin du drame a séjourné plusieurs fois à cet endroit pour y pratiquer le trappage. La carcasse de son véhicule datant de 1938 et de sa cabane effondrée s’y trouvent toujours. «C’est un musée en plein air qui fait partie de la communauté et qui est aussi une grande fierté pour les gens de la place», estime l’un des étudiants du groupe, Billy Rioux.

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UN LIEU HANTÉ?

Plusieurs personnes croient que le site historique du Camp de la grippe espagnole était hanté, jusqu’à ce qu’un prêtre ne le bénisse en 1984. Certains villageois racontent d’ailleurs des anecdotes qui donnent des frissons dans le dos.

Réjean Madore, un résidant de l’endroit, a relaté au Soleil l’histoire de son neveu et de l’un de ses amis qui étaient allés à cet endroit pour faire la fête. «Quand ils sont venus pour partir, leur moto ne décollait plus. Quand ils se sont éloignés, elle a décollé. Stéphane, mon neveu, a dit qu’il va toujours se rappeler de ça. C’était un phénomène inexpliqué. Je ne pense pas qu’il soit revenu après cet événement-là.»

Dans son livre Le camp de la grippe espagnole, Roger Delaunais rapporte «des manifestations inexplicables» survenues en 1982. Pour fabriquer la croix qu’il avait décidé d’ériger sur les lieux, il avait demandé à un bûcheron d’abattre un arbre. Sa scie à chaîne, pourtant flambant neuve, n’a jamais démarré. Il s’est alors résolu à utiliser son sciotte. Puis, l’arbre s’est renversé dans la direction opposée de l’entaille. M. Delaunais raconte aussi qu’en 1955, l’essieu tout neuf du camion dans lequel prenait place son frère avait cédé. Pourtant, le terrain était solide et plat.