La décision des nouveaux propriétaires de TQS, les frères Rémillard, d’abandonner l’information a résonné comme un coup de tonnerre dans le monde de l’information au Québec. La réaction a été épidermique, laissant un maire Labeaume furieux lancer en pleine conférence de presse : «Remstar, allez-vous-en chez vous, on ne veut pas vous voir ici!» Ça vous donne une idée de l’ambiance. Depuis, les esprits se sont calmés, plusieurs anciens employés ont obtenu des sommes d’argent qui leur étaient dues après une longue bataille, mais plusieurs, surtout des techniciens, n’ont pas retrouvé d’emploi.
«À Québec, le choc a été encore plus grand, parce que la station a toujours fait ses chiffres. J’ai même entendu qu’on fournissait de l’argent au reste du réseau, tellement on était rentable», raconte Bruno Savard, qui coanimait Le grand journal avec Josée Turmel, deuxième après TVA dans les sondages. En présentant son dernier bulletin après six ans à cette station, il n’avait toujours pas baissé les bras. «J’étais plein d’espoir qu’on puisse refaire de l’information à TQS. J’avais eu des échanges très intéressants avec les propriétaires. J’étais pressenti pour plusieurs projets.» Il se souvient d’une visite très encourageante des frères Rémillard, «pleins de bonnes intentions», dans les locaux de TQS à Québec. «Quand ils te serrent la main et disent : «On va tellement faire des affaires ensemble!», tu y crois. Mais tout s’est écroulé par la suite.»
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Maintenant chef d’antenne du Téléjournal Québec sur ICI Radio-Canada Télé, Bruno Savard se souvient du style décoincé de TQS. «On était un peu baveux, on n’avait pas peur de brasser la cage, quitte à se planter.» Il constate dans les sondages d’écoute que le public qui regardait Le grand journal ne s’est pas déplacé vers les autres réseaux. «Il y a seulement moins de gens qui regardent les nouvelles. Notre consommation de l’information a beaucoup changé en 10 ans», souligne-t-il. En plus d’animer le dernier Grand journal d’une heure à Québec le 30 mai, il a présenté le tout dernier bulletin de l’histoire de TQS, en format d’une demi-heure, le 30 août suivant. Après quoi, il s’est retrouvé sans emploi durant sept mois, avant de refaire surface à VOX.
Départ de Jean-Luc Mongrain
À Montréal, Jean-Luc Mongrain a propulsé Le grand journal à des sommets d’auditoire. Avant même de connaître leurs intentions, il avait déjà avisé les Rémillard qu’il quittait l’antenne après 10 ans de services, sans se douter que Le grand journal n’allait pas lui survivre. «C’était une mauvaise nouvelle qu’une salle des nouvelles ferme ses portes. Lorsque les sources d’information s’amoindrissent, que l’information est un poste de dépense plutôt qu’une obligation morale pour un diffuseur, ce n’est pas une bonne chose.» On a toujours le choix, dit-il, bien qu’il ne croit pas que le CRTC aurait pu refuser la proposition de Remstar sans mettre en péril la station. «Pensez-vous qu’ils auraient voulu porter l’odieux d’un rappel de licence?»
M. Mongrain, qui avait installé une formule de nouvelles commentées très prisée, est convaincu que les autres diffuseurs ont par la suite modifié leurs façons de faire, en allongeant eux aussi leurs bulletins à l’heure du souper. «TQS était un laboratoire parfait pour prendre des risques. On peut se faire une fierté de voir tous ceux et celles qui commençaient dans le métier, aujourd’hui à des antennes importantes. On leur a un peu montré une façon de faire plus impliquée et plus proche des événements», affirme l’animateur, qui travaille à une série d’émissions spéciales, en développement à Radio-Canada.
Dix mois avant ce dernier bulletin, Esther Bégin venait de quitter TVA pour piloter Le grand journal de fin de soirée à TQS, un contrat qui devait durer trois ans. «Ça a été une immense déception», admet la chef d’antenne, qui se souvient de l’ambiance mortuaire des dernières semaines avant ce jour fatidique du 30 mai. «J’avais le trémolo dans la voix le soir de la dernière. En même temps, nous étions soulagés que ça finisse. Ce n’était plus agréable.»
TQS n’en était pas à ses premiers déboires. Déjà en décembre, l’entreprise s’était placée sous la protection de la loi sur les arrangements avec les créanciers. Esther Bégin n’a jamais voulu jeter le blâme sur les Rémillard. «Ça méritait des nuances. Quand ils ont mis la main sur les livres de l’entreprise, on ne sait pas sur quoi ils sont tombés. Ce sont des gens d’affaires, ils ont pris des décisions et V est encore dans le portrait aujourd’hui.» Selon la nouvelle chef d’antenne francophone de la chaîne CPAC, cette fermeture n’a pas eu l’effet dévastateur anticipé sur l’information régionale. «Les gens qui s’intéressent à l’actualité locale ne sont pas desservis parce que TQS n’est plus dans le paysage médiatique», dit-elle.
Quitter l’écran
Plusieurs anciens visages de TQS Québec ont disparu des écrans pour occuper des fonctions dans un tout autre domaine. Parmi eux, l’ancien chef d’antenne Dave Leclerc est à la Société de l’assurance automobile du Québec, la journaliste Manon Roy œuvre chez Desjardins, alors que Marie-Hélène Raymond, qui présentait la chronique arts et spectacles et la météo, travaille depuis 10 ans au Musée national des Beaux-Arts du Québec. Ce fameux 30 mai, celle-ci a été incapable de terminer son bulletin météo et a éclaté en sanglots, des images crève-cœur qu’on peut voir sur YouTube. «J’avais beaucoup de désinvolture au début de l’émission, mais en faisant le bulletin météo, j’ai réalisé que ce serait mon dernier», se souvient celle qui œuvrait déjà au musée, une semaine plus tard. Bien qu’elle ait reçu des offres d’autres médias, elle a choisi de changer de domaine. Plus récemment, elle a quand même refait des apparitions à la télé, notamment à V et à TVA.
Tous le répètent : les employés de TQS formaient une famille tissée serrée, qui devait faire plus avec moins. D’ailleurs, ils se revoient régulièrement. Il y a quelques semaines, plusieurs ont souligné le 10e anniversaire de l’annonce de la fermeture des salles des nouvelles par Remstar. Dernier patron en poste à TQS Québec et maintenant directeur de la programmation du FM93, Pierre Martineau avait déjà quitté pour TVA au moment du dernier bulletin, mais se souvient de l’état d’esprit des derniers mois. «TQS, c’était une famille. Il n’y avait pas de relation difficile entre les patrons et les syndiqués avant ça. Ça a été un moment difficile pour moi d’annoncer à chaque membre de l’équipe qu’il perdait son emploi.»
Pierre Martineau ne croit pas que de maintenir l’info de TQS en vie aurait pu freiner la désaffection actuelle des bulletins de nouvelles. «Mais cette proximité que nous avions avec le public, je ne l’ai pas ressentie après ça. Je n’enlève absolument rien à TVA, mais les gens nous voyaient dans la rue et nous disaient : «Salut, le mouton noir!» Je pense que ça forçait la compétition à être meilleure. Tout bougeait plus, les animateurs, les journalistes. Ce n’était pas uniquement des voix, c’était des gens.»