«J’ai ralenti, j’ai mis les gyrophares et les clignotants, j’ai regardé au loin et je n’ai jamais vu la moto arriver, résume d’une voix neutre la policière de 47 ans. Si je l’avais vue, jamais je ne me serais engagée. C’est un malheureux accident.»
La patrouilleuse a témoigné lundi pour se défendre de l’accusation de conduite dangereuse ayant causé la mort du motocycliste.
Policière depuis 22 ans, Isabelle Morin a commencé sa carrière à la police de Montréal. Elle a obtenu un poste dans sa ville natale de Charlesbourg en 2000.
Le soir du 10 septembre 2015, sa dernière assignation aura été de reconduire un jeune contrevenant très agité au centre jeunesse Le Gouvernail à Beauport.
Sur le chemin du retour vers le poste de la Haute-St-Charles, rendue sur l’autoroute Laurentienne, la policière se rend compte que des travaux compliquent son trajet.
Elle dit avoir demandé l’avis à son partenaire de patrouille qui lui suggère, selon elle, «de prendre la prochaine sortie (George-Muir)», en pointant avec sa main gauche.
Mais pour ça, la policière doit couper la voie des véhicules qui roulent en direction sud sur le chemin de déviation.
Après avoir pris sa décision de tourner, l’agente Morin ralentit jusqu’à atteindre 13 km/h. Elle allume tous ses gyrophares au moins 30 secondes avant la manœuvre. Des automobilistes témoins de la scène évalueront plutôt à trois ou quatre secondes le délai entre l’apparition des gyrophares et la manœuvre.
Au même moment, la policière entend la répartition annoncer un cas de désordre à Wendake. Un homme vient de donner un coup de pied au visage d’un autre. La policière se dit qu’elle pourra être en assistance à la police autochtone, si le besoin s’en fait sentir.
La policière passe entre deux balises de sécurité et vérifie si des véhicules arrivent.
Elle assure avoir regardé durant plusieurs secondes avant de s’engager dans la voie.
Elle entend son partenaire de patrouille lui dire «Donne du gaz, il y a une moto». Elle pèse sur l’accélérateur, voit son passager se recroqueviller et aperçoit la moto qui glisse dans la direction de l’autopatrouille.
L’impact est fort; les coussins gonflables latéraux se déploient. Le partenaire d’Isabelle Morin et une automobiliste infirmière commencent les manœuvres de réanimation sur le motocycliste Jessy Drolet, 38 ans, qui mourra d’un polytraumatisme.
Isabelle Morin et un collègue installent des fusées routières pour éviter une autre collision.
La policière et son partenaire seront amenés à l’hôpital pour traiter un choc nerveux. Isabelle Morin vit encore aujourd’hui un stress intense qui l’empêche de reprendre le boulot.
«Étant moi-même mère de famille, je peux comprendre l’immense tristesse de la perte d’un enfant, dit Isabelle Morin, sans regarder Marlène Drolet, mère du motocycliste, qui suit le procès. Mais moi, chaque jour, je vis avec des images de la situation.»
Interrogée par le procureur de la Couronne Me Guy Loisel, la policière indique que rien dans le Code de la sécurité routière ne lui interdisait de faire son virage sur l’autoroute, en zone de chantier routier. «Ça a été une manœuvre planifiée, réfléchie, insiste l’agente Morin. J’ai fait tout ce qui était nécessaire pour que les gens comprennent ma manœuvre.»
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RECONSTITUTION
Le policier expert en conduite de motocyclette Pierre Lamarre du SPVQ a participé à la reconstitution de la collision mortelle à la demande de la défense. Durant deux nuits, en juillet 2010, une portion de l’autoroute Laurentienne a été fermée à la circulation entre les sorties Bernier et George-Muir. Conduisant une moto sport Suzuki Hayabuza, comme la victime Jessy Drolet, le policier Lamarre a filmé ses passages grâce à une caméra fixée sur le côté de son casque, à la hauteur des yeux. Une autopatrouille a été postée sur les lieux de la collision, gyrophares allumés. Des balises de signalisation ont été installées comme lors de la collision. L’agent Lamarre a fait le trajet à plusieurs vitesses (70, 90, 130 et 170 km/h). Il affirme qu’en roulant, sa vision était au-dessus des cônes orange et blanc. Il indique avoir vu les reflets des gyrophares dans les feuilles et n’avoir jamais perdu l’autopatrouille de vue.
L’expert ingénieur Jean Grandbois témoignera plus tard cette semaine sur la vision qu’avait la policière au moment d’effectuer son virage. Isabelle Mathieu
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