D'où viennent nos empreintes digitales ?

LA SCIENCE DANS SES MOTS / Les empreintes digitales, c’est vraiment joli, mais comment se développent-elles ? Si c’était exclusivement une information codée dans notre génome, les jumeaux identiques auraient les mêmes empreintes...


L’ADN humain détermine le patron digital – dessins généraux des empreintes que nous aborderons un peu plus loin – de chaque individu en programmant la formation des crêtes qui texturent la peau en dessous des doigts, des mains, des pieds et des orteils, soit les surfaces volaires. Ce sont des détails dits de niveau 1 et leur origine génétique expliquent pourquoi on observe certains types de dessins en plus grande proportion dans certains groupes ethniques. Le génome définit aussi le nombre de points caractéristiques que contient l’empreinte. Le type de points caractéristiques ainsi que leur arrangement spatial dans l’empreinte digitale ne sont cependant pas influencés par la génétique. C’est là qu’on distingue les détails dits de niveau 2.

On peut constater des similitudes dans le patron digital (niveau 1) des empreintes des jumeaux iden- tiques; c’est dans les détails de niveau 2 que les spécialistes repèrent des différences. Comment les expliquer ? Comment des individus qui partagent le même ADN peuvent-ils avoir des empreintes distinctes ?

La formation des caractéristiques de niveau 2 est fortement influencée par les tensions internes (mouvements du liquide amniotique, pression des muscles de la mère, chocs, etc.) lors du développement du fœtus. Avez-vous déjà observé les rives d’un lac lorsque les vagues se retirent ? Sont tracées sur le sable des rides et ridules qui ressemblent à s’y méprendre à des crêtes d’empreintes digitales... Ce relief est formé aléatoirement par le mouvement de l’eau sur le sable. On peut comparer l’eau du lac au liquide amniotique dans lequel baigne le fœtus, et les vagues aux mouvements intra-utérins qui façonnent les empreintes digitales.

Soit. Mais nos jumeaux identiques, qui baignent tous deux dans le même sac amniotique, ne partagent-ils pas les mêmes «vagues» ? En fait, comme il est physiquement impossible aux deux fœtus d’occuper le même espace en même temps dans l’utérus de la mère, les «vagues» amniotiques ne sont pas exactement les mêmes pour chacun des bébés, ce qui génère des détails de niveau 2 différents.

Enfin, pour mieux comprendre comment les empreintes digitales gardent leur forme dans le temps, il faut considérer la composition de la peau. Cet organe – le plus grand du corps humain, puisqu’il fait environ deux mètres carrés de surface – est formé de trois strates distinctes, imbriquées les unes dans les autres : l’épiderme (la couche de surface), le derme (la couche centrale, qui contient les nerfs permettant de ressentir le toucher, la pression, la chaleur, etc.), et l’hypoderme (la couche inférieure).

L’épiderme comporte plusieurs autres couches, dont la plus importante pour les empreintes digitales est la couche basale, celle qui est en contact direct avec le derme. Elle fonctionne un peu à la manière d’un moule, en reproduisant encore et encore la même empreinte à la surface de l’épiderme par multiplication de ses cellules.

C’est à ce niveau que les cellules de la peau se renouvellent. Le processus commence par une mitose (la division cellulaire produisant une copie exacte de la cellule d’origine) des cellules de la couche basale. Les nouvelles cellules migrent alors doucement vers la surface de l’épiderme avant l’exfoliation (la chute des cellules mortes à la surface de la peau). Les cellules prennent environ 24 jours pour remonter à la surface de la peau, puis mourir.

Dans le ventre de la mère, les mains du futur bébé commencent à se former aux environs de la sixième semaine de gestation. Vers la dixième semaine, débute le développement des doigts. Les coussins volaires, espèces de protubérances sur lesquelles les empreintes « poussent », apparaissent à ce moment. Ils régressent deux semaines plus tard mais, fait surprenant, il est toujours possible de voir les vestiges de ces coussins volaires à la base de ses doigts lorsque le fœtus est devenu adulte. Ce sont les trois petites bosses qu’on observe lorsqu’on replie légèrement les doigts vers l’intérieur de la main, dans le haut de la paume.

De la douzième à la seizième semaine de gestation, les coussins volaires régressent et des crêtes primaires prennent forme. Ces crêtes primaires fusionnent et croissent à des vitesses différentes, créant ainsi des formes complètement aléatoires qui constituent les crêtes définitives des empreintes digitales sur lesquels on retrouve des pores de peau. Les crêtes secondaires, qui sont quant à elles à l’origine des vallées entre les crêtes papillaires des empreintes, se dessinent aux environs de la seizième semaine. Elles ne comportent pas de pores et se développent entre les crêtes primaires en creusant des vallées. Leur émergence met un terme à la croissance des crêtes primaires.

Le développement des crêtes finales de l’empreinte est influencée par la forme des coussins volaires; les crêtes tendent à encercler la protubérance. Les caractéristiques particulières de niveau 2 des empreintes naissent de la rencontre des crêtes. Une fois ces processus terminés, les empreintes digitales de l’individu restent inchangées toute sa vie – à moins qu’une blessure ne cause une cicatrice permanente.




Empreinte digitale présentant une cicatrice permanente (à gauche) et empreinte du même doigt avant la blessure (à droite).

L’illustration ci-dessus présente l’empreinte de l’index gauche d’un des auteurs de ce livre, avant et après une blessure ayant laissé une cicatrice permanente. Pourriez-vous confirmer que ces deux empreintes proviennent du même doigt ? Et si vous compariez les zones qui ne sont pas touchées par la cicatrice ?

Une cicatrice est permanente lorsque la couche basale de l’épiderme est atteinte par la blessure. Les cellules saines de la couche basale doivent en effet migrer pour reformer la couche, entraînant la perte de l’information qui y était auparavant conservée. C’est un peu comme si, par inadvertance, on avait creusé un trou dans un moule. Les nouvelles cellules reproduisent donc une espèce de «blanc», sans information de crêtes ni de vallées. Le recourbement des crêtes est un bon indicateur d’une cicatrice permanente.

Ce texte est un extrait du livre «Le crime, l'empreinte et la science», paru chez MultiMondes récemment et qui vulgarise l'analyse des empreintes digitales. Reproduit ici avec permission.

«La science dans ses mots» est une tribune où des scientifiques de toutes les disciplines peuvent prendre la parole, que ce dans des lettres ouvertes ou des extraits de livres.