Jocelyn Robert: les fragments révélateurs

«Bélugas no 1», 2018, impression jet d’encre, 83,8 par 106,7 cm

Des portraits, des objets, des lieux. Pour Jocelyn Robert, il s’agissait de trois grands buts à saisir en image, en accumulant les couches, les décalages et les transparences. L’artiste peaufine ses apparitions et constructions évanescentes depuis 1994, mais poursuit avec enthousiasme ses explorations.


Les portraits ont surgi en premier, à partir d’une observation après une séance de photo à l’Université Laval, où Jocelyn Robert a dirigé l’École des arts visuels de 2012 à 2017. Tous les gens présents s’accordaient pour dire qu’une des photos était celle qu’il fallait choisir pour être «la» photo officielle du professeur. Mais pourquoi ?

«Automoiré no 6», 2018

Pris dans un cul-de-sac créatif lors d’une résidence à Berlin, Jocelyn Robert, se souvenant de la scène, décide de faire une recherche dans Google à partir de cette photographie de lui-même. Tout un pan de l’imagerie de l’histoire de l’art lui répond. Le moteur de recherche associait son portrait à ceux des maîtres anciens. Il décide de jumeler sa photo à un tableau, puis démultiplie les images, les décale et les superpose jusqu’à ce qu’un personnage à la croisée de époques et des genres, énigmatique et ambigu, apparaisse.

«Dans ma logique à moi, il fallait ensuite faire des lieux. Mais chaque fois que j’essayais, c’était soit incomplet soit des bouillies. À force de travailler les portraits, un moment donné il y a une nouvelle personnalité qui émerge, mais avec les lieux c’était tout le temps dissous.»

Une des œuvres de la série «Rue La Fayette», 2018, impression jet d’encre, 95,5 cm par 81,3 cm

En marchant sur la rue La Fayette, un après-midi ensoleillé, un jeu d’ombres sur le pas de portes attire son attention. Il sort son appareil et constate en regardant les images, où les portes ont toutes des ombrages du même angle, un peu comme des cadrans solaires, qu’elles semblent être faites pour être fondues ensemble. «Chaque image est un processus d’abstraction, j’essaie d’enlever des choses pour qu’apparaisse quelque chose de plus clair. L’ombrage, l’heure, le matériau, la couleur ressortent alors plus fort», explique l’artiste. «Quand tu veux montrer quelque chose de très grand, ce dont tu as besoin, c’est un fragment révélateur», note-t-il.

L’ancien architecte accumule également les prises de vue de bâtiments et se met à créer des objets irisés, où l’œil reconnaît des détails qui lui permettent d’identifier la construction en question. Lors d’une résidence dans le 10e arrondissement, à Paris, il capture ainsi la porte Saint-Denis. Le personnage qui y est juché est toujours le même, mais selon la lumière et le moment du jour, il semble constamment se transformer. «L’image qui me reste de la porte Saint-Denis, ultimement, c’est l’accumulation de toutes ses images, toutes les expériences que j’en ai», constate Jocelyn Robert. Comme si un lieu, finalement, était une accumulation de moments repliés les uns sur les autres.

«La porte Saint-Denis»

Béluga mythologique
Une autre série, consacrée à la figure du béluga, fait partie du solo présenté à la Galerie Michel Guimont. «Tout le monde sait ce que c’est, mais personne n’en a jamais vraiment vu de près», fait remarquer l’artiste, qui considère le cétacé comme un animal mythologique, iconique de notre partie du monde.

C’est également un animal médiatique, dont l’image nous parvient par différents médias (vidéo, photo, etc.). Alors qu’il y a quelques décennies, on ouvrait le Larousse ou le Robert pour se faire une idée de la bête, le Web nous lance maintenant 18 000 images d’un coup. «Deux fois sur trois, ce sont des compagnies de fabrication d’images qui choisissent l’image qu’on se fait d’un béluga. Ce n’est pas anodin», souligne Jocelyn Robert, qui conserve les adresses de ces sites qui nous façonnent l’œil dans ses œuvres.

L’exposition Coïncidences est présentée jusqu’au 20 mai au 273, rue Saint-Paul.

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LES FEUX d'ARTIFICE DE SLM

Le collectif SLM

À l’Espace Galerie B8, détenu par les Galeries Beauchamp, des espadrilles suspendues au plafond rappellent les rues de Limoilou, des canettes de peinture font partie du décor, le ruban adhésif court sur les murs et les planches de skate côtoient des t-shirts arborant le slogan «Je suis all in !». Nous plongeons dans Invasion, l’exposition pensée par Mélanie Simard, Annie Labbé et Marie-Lysa Lemelin, qui ont décidé de former le collectif SLM. «Le ciment commun, c’est la couleur!» lance l’énergique trio. Effectivement, sur les murs, ça pétille. Sur le gypse et l’acier inoxydable, les couleurs vives, vibrantes, électrifiées fusent. Annie est la cartésienne du groupe, celle qui signe des assemblages géométriques qui évoquent des constructions architecturales et des fragments de ville. Mélanie joue avec les lettrages, les référents bédé et pop, et l’image d’une kokeshi, qui la suit d’une expo à l’autre. Marie-Lysa crée pour sa part des masses échevelées, sur fond blanc, où les lignes et les techniques fusionnent et se répondent. Leurs trois pratiques dialoguent comme trois amies aux référents communs. Les trois artistes s’approprient les techniques et l’énergie du street art pour en faire quelque chose de réfléchi et de personnel. Leur expo, nommée Invasion, se poursuit jusqu’au 22 mai, au 49, rue Saint-Pierre, Québec.  

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LA TRIBU VERTICALE D'OLIVIER MOISAN-DUFOUR

Olivier Moisan-Dufour

Si on peut encore observer des personnages aux traits tribaux tracés par Olivier Moisan-Dufour sur certains murs de Québec (voire de Berlin!), l’artiste crée maintenant des objets abstraits, qu’il construit, peint, reproduit sur des tableaux puis filme en stop motion. Sans être des personnages, ses structures verticales, composées de retailles de palettes de bois, forment une tribu d’entités hétéroclites. «Je ne les construis pas avec un désir de faire des formes anthropomorphiques, mais nécessairement, à cause de leur verticalité, elles ont un rapport avec des personnages. Et un rapport au mobilier», expose l’artiste, qui boucle sa première année à la maîtrise en arts visuels à l’Université Laval. Les plus grandes constructions, qui semblent monochromes, arborent des dégradés qui épousent la manière dont la lumière les enveloppe. Les plus récentes sont affectueusement baptisées «palettes de couleurs» en référence au matériau, mais aussi au savant méli-mélo des teintes colorées qui se déploient sur chaque bloc et parfois chaque face de la sculpture. Le stop motion finit de donner vie à ses tours bancales en les faisant bouger sur elles-mêmes dans un nouvel espace-temps. Portraits d’objets abstraits est présenté aux Ateliers de la mezzanine, porte 336 rue Sainte-Hélène, de 12h à 17h jusqu’au mardi 15 mai.