Plutôt qu’améliorer les conditions de ces femmes, la réforme des normes du travail proposée à travers le projet de loi 176 aura pour effet non seulement d’attaquer la protection juridique des travailleuses, mais aussi de favoriser un système de règlement à l’amiable qui ne sévit pas contre l’employeur ni le harceleur, critique Katia Atif, directrice d’Action Travail des Femmes.
Dans le mémoire que l’organisme présentera à la fin du mois en commission parlementaire et dont Le Soleil a obtenu copie, ATF écrit que «les modifications proposées par la ministre du Travail auront pour effet de formaliser un système de régulation rapide des plaintes, à la chaîne et peu coûteux, sans égard aux atteintes illicites aux droits de la personne».
L’organisme de défense des droits des travailleuses reproche au gouvernement de ne pas offrir le choix aux salariées des possibilités de recours qui s’offrent à elles lorsqu’elles sont victimes de harcèlement sexuel.
En incluant le harcèlement sexuel dans la définition du harcèlement psychologique, le projet de loi favorise le traitement des plaintes à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), plutôt qu’à la Commission des droits de la personne (CDPDJ), fait valoir ATF.
«Le projet de loi ne propose aucun changement modifiant les paramètres d’application de la médiation à la CNESST en matière de harcèlement discriminatoire», lit-on dans le mémoire.
Selon Mme Atif, les victimes, souvent peu informées, se tournent vers le service de médiation en place depuis 2005 et prévu par la loi sur les normes du travail. Elles devraient plutôt être en mesure d’évaluer la possibilité de déposer une plainte à la CDPDJ, qui possède des pouvoirs d’enquête et de coercition plus grands, ou à la CNESST, selon la gravité du harcèlement dont elles sont victimes, explique Mme Atif.
«La CNESST ne peut pas agir contre le harceleur ni contre l’employeur. En revanche, la Commission [des droits de la personne] protège la victime» et défend les droits constitutionnels de celle-ci, avance la directrice.
La loi sur les normes du travail prévoit un règlement des différends axé sur la médiation. Dès l’accueil d’une plainte déposée à la CNESST, celle-ci tentera une entente à l’amiable «sans enquête préalable, sans égard à la faute, à sa teneur et sa gravité».
Selon les chiffres présentés par ATF, la Commission des normes du travail a traité 23 880 plaintes pour harcèlement psychologique en 10 ans. Quatre-vingt-un pour cent de ces plaintes ont été réglées par le service de médiation dans le cadre d’ententes à l’amiable et de confidentialité, sans reconnaissance de faute.
«Le constat est que la CNESST traite déjà un nombre important de plaintes pour harcèlement discriminatoire en emploi à travers les dispositions sur le harcèlement psychologique. Le harcèlement sexuel [ainsi que d’autres formes de harcèlement] sont amalgamés au harcèlement psychologique à travers un recours inadapté et le projet de loi 176 ne propose aucune solution», écrit Action Travail des Femmes dans son mémoire.
L’organisme milite en faveur d’un réinvestissement majeur dans la CDPDJ, afin qu’elle assure «le rôle d’autorité qui lui revient».
Problème de définition
La réforme des normes du travail proposée par la ministre Vien intègre la notion de harcèlement sexuel à celle du harcèlement psychologique, ce qui «banalise» le harcèlement sexuel, croit Mme Atif.
«Le harcèlement sexuel ne peut être inclus dans l’interprétation du harcèlement psychologique selon la Loi sur les normes du travail, sans en banaliser la portée», défend Action Travail des femmes.
L’organisme s’appuie sur un mémoire rédigé par la Commission des droits de la personne, dans lequel elle affirmait que le harcèlement sexuel est plutôt une forme de discrimination systémique envers les femmes.
La CDPDJ n’a pas voulu commenter directement le projet de loi 176 ni émettre un commentaire sur les critiques formulées par ATF. Elle explique être en train de rédiger son rapport, qu’elle remettra en commission parlementaire.