À plusieurs moments, les lenteurs s’accumulent, à dessein, et donnent l’impression que les mouvements s’enlisent dans une paralysie progressive. Les corps des neuf danseurs s’affalent, deviennent des poids morts, des fardeaux à traîner, à empiler ou à tâter, à la recherche d’un dernier soubresaut de vie. Deux masses de matière, une noire qui étouffe et masque, l’autre qui drape ou que l’on berce, s’agglutinent aux corps à intervalles réguliers.
D’un nœud de corps tirés sur un char semble naître la tête d’un monstre marin. Autour d’une harpie, comme une figure de proue, la masse des corps laisse voir des têtes qui s’embrassent ou s’entredévorent. Les corps forment au fil de la chorégraphie les monstres les plus fabuleux. Entre les images fortes, ils s’échouent, disparaissent dans l’ombre. À de rares moments, ils se dispersent, montrant que Lake sait habiter complètement l’espace scénique lorsqu’il le désire, créant des duos où l’un des deux interprètes retient l’autre par la taille, avec une sangle qui le coupe en deux, ou encore une mer de corps roulant, sautant et se tordant comme sous l’effet des vagues. On serait curieux de voir où mènerait une exploration plus approfondie de ses déploiements de grand groupe.
Entre les apparitions à la plasticité étudiée, derrière les rideaux de plastique utilisés dans Les caveaux, un spectacle précédent de la Alan Lake Factori (e), ça et là des solos et des duos semblent — volontairement ou non — ne pas avoir été poussés à leur plein potentiel.
L’achèvement des tableaux vivants avec des structures de bois en arrière-plan, où chaque angle, chaque moue, chaque ligne est pensée pour faire écho aux autres composantes de l’image, marque plus franchement la mémoire du spectateur. Tout comme les pyramides successives, noueuses, organiques et truffées de postures tragiques. Les corps violemment aspergés d’eau salie, tendrement lavés, frottés de terre ou encore enduits d’or créent pour le dernier segment du spectacle un panthéon de figures à la symbolique obscure, dont l’aspect et l’assemblage, pourtant, hypnotisent.
La musique conçue par Antoine Berthiaume semble s’immiscer dans tous les interstices, entre les corps, sous le plancher et partout dans l’air, pour faire résonner le pouls, le rythme à la fois tribal et aquatique, de cette masse humaine en constante métamorphose.
Le cri des méduses, avec Josiane Bernier, Kimberley de Jong, Jean-Benoit Labrecque, Louis-Elyan Martin, Odile-Amélie Peters, Fabien Piché, David Rancourt, Geneviève Robitaille et Esther Rousseau-Morin, sera de nouveau présenté jeudi à 20h à la salle Octave-Crémazie du Grand théâtre de Québec.