Place aux Carrés jaunes dans les écoles

Selon Célestine Uhde (à droite), ici accompagnée de sa petite sœur Constance, le code vestimentaire des écoles secondaires obéit à la logique de la «femme à cacher», une façon de ne pas éveiller le désir sexuel des jeunes hommes et de les déconcentrer en classe.

À l’école secondaire, Célestine Uhde en a ras-le-bol de ne pas pouvoir porter des camisoles à bretelles spaghettis, de shorts plus courts que la mi-cuisse et de leggings sans un chandail qui recouvre les fesses.


Avec d’autres élèves de l’école Joseph-François-Perrault, elle a lancé Les Carrés jaunes, un mouvement féministe qui ambitionne de réformer les codes vestimentaires «sexistes» des écoles secondaires de Québec et gagne de plus en plus d’adeptes sur les réseaux sociaux.

Depuis une semaine, de nombreux élèves de cette école du quartier Saint-Jean-Baptiste portent le carré jaune qui rappelle le carré rouge du printemps érable. Des élèves d’autres secteurs de la capitale ont commencé à les imiter dans les corridors de leurs écoles et à envoyer des photos de leurs carrés jaunes sur les pages Facebook et Instagram du mouvement. 

Les Carrés jaunes accusent les écoles de maintenir des codes vestimentaires «sexistes» dont l’application «est beaucoup plus sévère pour les filles» que pour les gars, explique Célestine, 15 ans, qui est présidente de l’école Joseph-François-Perrault. Elles en ont aussi assez que ces interdictions conduisent à des expulsions de cours ou d’autres sanctions. 

«Le fait qu’on ne puisse pas s’habiller comme on le souhaite, tandis que la mode des gars, elle, est autorisée, ça brime certaines personnes», ajoute l’élève de quatrième secondaire. 

Plus précisément, les Carrés jaunes souhaitent pouvoir porter des shorts qui cachent les fesses, mais pas les cuisses; des leggings sans un chandail qui recouvre les fesses; des camisoles à bretelles spaghettis; et des chandails qui laissent voir les épaules et le dos. 

Les élèves veulent aussi que le chandail et le pantalon ne soient plus obligés de se superposer, ce qui permettrait de laisser une partie de ventre à découvert. Elles revendiquent également le droit de ne pas porter de brassières ou de laisser paraître les bretelles du soutien-gorge. 

Elles sont tout de même en faveur du maintien de certains interdits. «Nous n’aurions pas le droit de voir les sous-vêtements, ni pour les filles, ni pour les gars. Nous n’aurions pas le droit aux décolletés trop plongeants ni aux camisoles échancrées sur les côtés. Nous n’aurions pas le droit non plus de laisser voir le bas des fesses», précisent les Carrés jaunes sur leur page Facebook. 

«La femme à cacher»

Pour les Carrés jaunes, le code vestimentaire des écoles secondaires obéit à la logique de la «femme à cacher», une façon de ne pas éveiller le désir sexuel des jeunes hommes et de les déconcentrer en classe. Mais en interdisant aux adolescentes de montrer certaines parties de leurs corps, les codes vestimentaires contribuent à leur hypersexualisation, croit Célestine. 

«S’il y a des parties du corps de la femme, comme par exemple les seins, le ventre ou les jambes, qui sont sexualisées, c’est parce qu’elles sont cachées. Elles sont rendues taboues par la société. Tandis qu’au départ, il n’y a pas grand-chose de plus érotique dans une cuisse que dans un abdo de gars», dit-elle. 

La démarche des Carrés jaunes s’inscrit aussi dans la lutte contre la culture du viol, par le biais du phénomène du slut shaming (intimidation des salopes), fait valoir Célestine. Cette expression féministe décrit une forme d’intimidation où les femmes qui ont des comportements jugés trop ouvertement sexuels ou provocants sont stigmatisées ou culpabilisées.

Par extension, les agressions sexuelles deviennent en quelque sorte légitimes, car les «salopes» ont contribué à exciter les hommes. «C’est normal qu’elle se fasse violer, il a des hormones!» illustre Célestine. 

Polémique

Sur la page Facebook du mouvement, la polémique est bien amorcée et prend parfois une tangente agressive. Un commentateur traite les Carrés jaunes de «féministes extrémistes» et les accuse de vouloir «transformer la gente féminine en salope de premiere classe, les femmes devrait pouvoir shabiller comme elle le veulent certe pas comme une prostitué [sic]», écrit un internaute. 

Plus nuancé, un garçon explique que le code vestimentaire «a beaucoup plus d’effets négatifs sur les filles que sur les gars». Mais il refuse de porter le carré jaune, car il estime que les affiches du mouvement à l’école dépeignent le personnel et la direction de l’école «comme des sexistes, pro culture du viol qui [ne] vivent que pour brimer la liberté des filles». 

Il n’a pas été possible de joindre la direction de l’école Joseph-François Perreault lundi soir. Selon Célestine, celle-ci a déjà manifesté une certaine ouverture aux revendications du mouvement. La bretelle spaghetti et les shorts plus courts que la mi-cuisse pourraient être permises dès l’an prochain, indique la présidente de l’école. 

«On a la chance d’avoir une direction déjà ouverte à notre mouvement, dit Célestine [...]. Je sais que ce n’est pas de même dans d’autres écoles de la ville de Québec.»

Sur la page Facebook des Carrés jaunes, des élèves d’autres écoles de Québec organisent aussi la résistance. Une adepte du mouvement de l’école secondaire La Courvilloise, dans Beauport, indique par exemple que des élèves portent des chandails courts ou une camisole pour «passer un message» même si elles risquent des retenues.

D’autres songent aussi à élargir le mouvement des Carrés jaunes hors de la capitale, notamment à Montréal.