Sauver la planète à bouchées d’insectes

Déclinaison de grillons, de la larve à l'insecte, en passant par la farine et un crumble cuisiné par le restaurant Légende, à Québec.

Deux milliards d’humains mangent régulièrement scarabées, grillons, fourmis. Pourquoi levons-nous le nez sur ce festin? Encore au stade de la curiosité au Québec, cette source de protéines à six pattes, moins polluante que la viande, gagne des adeptes. Aurons-nous droit à une révolution dans l’assiette?


Louise Hénault-Ethier étudie et élève des ténébrions, des petits vers à farine. Elle en sert à ses fils sur du riz mexicain, avec guacamole et fromage râpé. Grillés, ils font «crunch-crunch» sous la dent.

Post-doctorante à l’Université Laval et chef des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki, elle se passionne pour l’entomophagie, la consommation d’insectes. Depuis trois ans, elle a fait avancer l’état des connaissances au Québec.

«Ça existe ailleurs dans le monde depuis des siècles. Et les gens ne le font pas juste parce qu’ils ont faim, mais parce que c’est bon!»

Félix, 8 ans, croque les ténébrions sans hésiter sur son riz mexicain! Sa maman, Louise Hénault-Ethier, l’a initié à l’entomophagie.

Chez nous, l’industrie naissante des barres protéinées et autres pâtes à la farine de grillons se heurte encore à un certain dégoût, le «yuck factor» en anglais.

Au fil de ses recherches, Louise Hénault-Ethier constate tout de même une ouverture sur ce monde méconnu.

Dans un sondage effectué il y a deux ans en partenariat avec Recyc-Québec auprès de 850 personnes, dont 500 Québécois, près de la moitié des répondants avaient déjà mangé des insectes. Certains accidentellement, précise-t-elle en riant. Et la plupart de façon exceptionnelle.

Sans surprise, les hommes étaient «plus game» de manger des larves de mouche que les femmes. Un grand nombre préférait avaler des insectes réduits en farine plutôt qu’entiers.

Par ailleurs, une très forte majorité de répondants, hommes et femmes confondus, était à l’aise de consommer des animaux élevés avec une diète à base d’insectes.

«Les gens reconnaissent que c’est normal qu’une poule mange des larves. Si tu lui donnes le choix dans la nature, elle va courir après les bibittes», illustre la chercheuse.

Enjeu pour l’environnement

Ce qui amène Louise Hénault-Ethier à parler d’un enjeu de taille : «La consommation de viande est hyper problématique pour l’environnement.»

Elle explique qu’élever et nourrir les animaux avec des céréales encourage les monocultures de maïs et de soya, l’utilisation d’herbicides et de pesticides qui lessivent vers les cours d’eau et nuisent à la vie aquatique.

Remplacer la moulée de céréales par une moulée d’insectes dans les mangeoires est une avenue. «Libérer les champs pour faire des aliments plus sains pour les humains, j’y crois.»

Mais il faut aussi réduire notre consommation de viande. La chercheuse souligne que l’élevage du bétail est responsable de 18 % des émissions de gaz à effet de serre, une part plus grande que celle du secteur des transports. Sans compter l’iniquité de l’accès à la viande dans la population.

En 2013, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations unies annonçait que pour nourrir les populations futures, il allait falloir développer des sources de protéines alternatives, dont les insectes.



Ce super aliment, aussi riche en minéraux et en fibres, est moins polluant à produire. «Il peut même nous permettre de mieux gérer nos déchets», lance Louise Hénault-Ethier.

Alors que 30 % de la production agricole mondiale est gaspillée, les scientifiques veulent s’attaquer au problème et valoriser les résidus organiques. L’exercice peut porter loin.

À Montréal, la champignonnière Blanc de gris fait pousser des pleurotes sur des drêches de microbrasserie et du marc de café. Une fois la précieuse denrée récoltée (et servie sur les plus grandes tables de la métropole), le résidu de production, du mycélium de champignon, est donné à manger à des ténébrions. Le tout est à l’étude et les premières observations fascinent. «Ils en raffolent et grandissent encore plus vite!» révèle Louise Hénault-Ethier.

Ce que les vers laissent derrière eux pourrait même devenir un fertilisant.

Rien ne se perd

«On est en train de boucler la boucle. Les déchets des uns deviennent la ressource du prochain. C’est comme ça que ça fonctionne dans la nature. Et c’est de cette façon qu’on va réussir à avoir des sociétés durables», croit dur comme fer la chercheuse, qui parle d'économie circulaire.

Les mentalités évoluent. D’après un autre sondage lancé récemment (bit.ly/sondageinsecte), et encore incomplet avec 125 répondants francophones, les gens sont de plus en plus informés et 88 % des répondants savent que les insectes sont une «alternative durable à la viande animale».

Certaines questions s’adressent spécifiquement aux enfants. «Est-ce qu’introduire ça auprès des jeunes peut avoir une incidence à long terme? Est-ce qu’élever des insectes à la maison peut rendre ça moins dégoûtant?», se demande la chercheuse qui donne de la formation dans les écoles.

En tout cas, son fils de 5 ans n’hésite pas «à plonger la main dans un plat de bibittes» et à se régaler.

Il existe plus de 1900 espèces d’insectes comestibles.

En chiffres 

1900 espèces d'insectes sont consommées comme aliments, scarabées, chenilles, abeilles, guêpes et fourmis en tête.

Plus de 80 % du grillon est comestible et digeste, contre 55 % pour le poulet et le porc et 40 % pour le bétail.

Les grillons ont besoin de six fois moins de nourriture que les bovins et deux fois moins que les porcs et les poulets pour produire la même quantité de protéines.

Valeurs et croyances

Dans le noir, avec de la farine sèche, le ténébrion vit sa vinaigrette pendant trois mois avant d’être récolté. Quand Louise Hénault-Ethier fait leur «mise à mort», au congélateur, elle avoue avoir une petite pensée pour eux. «Je les trouve tellement charismatiques!»

Dans son questionnement éthique, elle réfère au bouddhisme, une religion qui refuse de faire du mal aux animaux. «Un bœuf qui nourrit un village entier représente une âme. Mais s’il faut 300 insectes pour nourrir une personne, ce sont 300 âmes.»

Qu’en pensent les végétariens? Ceux qui le sont pour des raisons environnementales peuvent être tentés par les insectes, croit la chercheuse. Comme ceux qui réagissent à la cruauté envers les animaux. Le congélateur ressemble un peu à l’hiver qui vient les faucher. «Des gens trouvent ça moins cruel que l’abattoir.»  

Les ténébrions sont faciles à élever, dans le noir, avec de la farine sèche.

Une industrie de niche

Une fédération des producteurs d’insectes comestibles du Québec vient de se former il y a un mois (fpicq.com). Elle se donne pour mission d’encadrer ses membres dans la mise en marché de produits destinés aux humains et aux animaux. Ils seraient une vingtaine à ce jour.

«C’est vraiment difficile à estimer parce que les compagnies naissent et meurent aussi vite», signale Louise Hénault-Ethier. «Il y en a partout. Ça va et ça vient, mais ça va finir par décoller et par  être plus solide.»

Selon son directeur de recherche Grant Vandenberg, professeur au département des sciences animales à l’Université Laval, il s’agit pour l’instant d’un marché de niche.

«On n’est pas encore prêt en Amérique du Nord à manger des insectes. Éventuellement, peut-être», dit-il, en rappelant que le homard était consommé par les pauvres à une époque.  

Il va falloir arrêter de nourrir nos animaux avec des grains de qualité, des céréales qu’on pourrait donner aux humains