Après quelques semaines de suspens dans ce dossier, le président a dévoilé jeudi quelques détails sur son plan: une taxe de 25 % sur les importations d’acier et une autre de 10 % sur celles d’aluminium. Dans les deux cas, il s’agit de pourcentages plus élevés que ceux attendus.
«Nous allons signer cela la semaine prochaine», a déclaré M. Trump lors d’un rassemblement de leaders de l’industrie. «Et vous allez être protégés pour longtemps.»
Les grands détails du plan de M. Trump n’étaient pas clairs dans l’immédiat — notamment pour ce qui est de savoir si les tarifs allaient s’appliquer au Canada. Son voisin nordique est le premier exportateur d’acier et d’aluminium aux États-Unis, en tenant compte de l’intégration des industries automobile et militaro-industrielle.
Même si des observateurs jugent que ces tarifs visent principalement la Chine, les chiffres avancés par M. Trump semblent semblables à ceux avancés par le Canada dans son pire scénario envisagé. L’administration Trump avait indiqué qu’elle envisageait d’imposer un énorme tarif pour les quelques pays qui font du dumping d’acier, ou alors un seul tarif d’environ 24 % pour tous les pays.
Le Canada est le plus grand fournisseur d’acier et d’aluminium des États-Unis.
Techniquement, M. Trump a jusqu’au mois prochain pour prendre une décision à ce sujet. Mais selon certains médias, le président préférait imposer des tarifs les plus larges possible et était impatient de faire une annonce. L’administration aurait fait des pieds et des mains en coulisses pour finaliser les détails du plan, et certains responsables demandaient à M. Trump de remettre à plus tard sa décision.
Plusieurs proches de M. Trump lui ont pourtant demandé d’épargner le Canada.
Le Pentagone a publié une lettre lui demandant de ne pas viser ses pays alliés. Pendant des consultations, plusieurs intervenants ont exhorté l’administration Trump à faire une exception pour le Canada. Le Syndicat des Métallos compte des membres dans les deux pays — il est même dirigé par un Canadien, Leo Gerard, qui demande à Washington d’épargner son pays d’origine.
«De mettre le Canada dans le même bateau que le Mexique, la Chine, l’Inde ou la Corée du Sud [...] n’a pas de sens», a estimé M. Gerard lors d’un entretien.
«Le Canada devrait simplement être exclu, point. Nous avons une économie intégrée. Et si cela se défait, les États-Unis vont lourdement en faire les frais [...] Chaque fois que j’en ai eu l’occasion, j’ai tenté de faire remarquer aux décideurs les plus influents que le Canada n’était pas le problème en ce qui a trait au commerce international. Faire quelque chose qui pourrait écarter le Canada serait un désavantage pour [les États-Unis].»
Le Canada a exporté l’an dernier pour environ 9,3 milliards $ d’aluminium aux États-Unis, et pour environ 5,5 milliards $ d’acier. Pour les États-Unis, l’acier canadien représente une importante partie des importations, soit un peu plus de 15 % de toutes les importations. Pour le Canada, les États-Unis jouent un rôle crucial dans le paysage des exportations — près de 90 % des exportations canadiennes d’acier sont destinées au sud de la frontière.
Mais la question des tarifs va bien au-delà de l’Amérique du Nord.
Plusieurs experts en commerce ont prévenu que l’attitude des États-Unis pourrait inciter d’autres pays à les imiter, ce qui pourrait avoir un effet domino au chapitre des représailles. Le Mexique et l’Europe menacent déjà de répliquer avec d’autres tarifs.
Mauvaise décision, dit Couillard
Lors d’un point de presse durant une visite dans une brasserie artisanale à Stoneham, jeudi matin, le premier ministre Philippe Couillard a affirmé qu’il s’attendait à une telle décision, et a estimé que le président Trump faisait erreur.
«C’est encore une mauvaise décision, une décision malavisée des Américains. [...] Le problème du marché de l’aluminium, ce n’est pas le Québec ou le Canada, c’est la Chine, et donc on ne s’adresse pas au véritable enjeu.»
M. Couillard n’était pas immédiatement en mesure de préciser quelles procédures d’appel pourraient être entreprises, mais il a indiqué qu’il consulterait ses partenaires de l’industrie de l’aluminium pour envisager la suite des choses.
«Mais je peux vous dire que les Américains n’arriveront pas à leur objectif, a-t-il promis. Ils ont besoin d’aluminium, ils n’en font pas assez eux-mêmes.»
«L’industrie de la défense a mis en garde la présidence américaine sur les tarifs sur l’aluminium parce que c’est un métal stratégique très important. Alors ça va être la même chose que pour le bois, où ceux qui ont payé à la fin, ce sont les conservateurs américains.»
À Ottawa, le ministre du Commerce international François-Philippe Champagne a assuré que son gouvernement ne se laisserait pas faire.
«On suit la situation de très près. Tout tarif ou quota qui pourrait être imposé à l’industrie de l’aluminium ou de l’acier serait complètement inacceptable. Une telle décision aurait évidemment des impacts des deux côtés de la frontière, on l’a souvent dit. Et nous serons toujours là pour défendre les travailleurs, les travailleuses et l’industrie de l’aluminium et de l’acier au Canada», a-t-il martelé.
«Toute suggestion [voulant] que le Canada pourrait poser une menace à la sécurité nationale des États-Unis en matière de commerce est complètement injustifiée. Nous sommes les plus grands partenaires des Américains quand on parle d’acier, alors évidemment, nous, on va répondre si les États-Unis décident de prendre des mesures.»
Le ministre Champagne n’a toutefois pas précisé quel mécanisme de défense il utiliserait, se contentant d’indiquer que les Canadiens ont vu son gouvernement à l’œuvre dans des dossiers comme ceux de Boeing ou du bois d’oeuvre.
La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, était aussi outrée que son collègue. «En tant qu’allié clé de NORAD et de l’OTAN, ainsi que premier acheteur d’acier américain, le Canada considérerait que toute restriction commerciale sur l’acier et l’aluminium est tout à fait inacceptable», a-t-elle déclaré par communiqué.
Mme Freeland a rappelé que le Canada achète plus d’acier américain que tout autre pays au monde, achats qui représentent 50 % des exportations américaines dans le domaine.
À l’instar de M. Champagne, elle a fait état de représailles éventuelles, sans en préciser la nature. «Nous défendrons toujours les entreprises et les travailleurs canadiens. Si des restrictions devaient être imposées aux produits d’acier et d’aluminium canadiens, nous prendrons les mesures nécessaires pour défendre nos intérêts commerciaux et nos travailleurs.»
+
L'INDUSTRIE DE L'ALUMINIUM EN CHIFFRES
Neuf des 10 alumineries du Canada se trouvent au Québec.
Environ 90 % des 3,2 millions de tonnes produites au Canada émanent du Québec.
Au Québec, industrie de l’aluminium génère 10 000 emplois directs et 20 000 indirects.
Près de 80 % de la production canadienne est exportée vers les États-Unis.
+
L'INDIGNATION APRÈS L'ANNONCE
Union européenne
«Nous regrettons fortement» cette décision américaine, a réagi Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne.
«Au lieu d’apporter une solution, cette décision ne peut qu’aggraver les choses», a-t-il prévenu dans un communiqué. «Nous ne resterons pas les bras croisés pendant que notre industrie est frappée par des mesures injustes», a-t-il encore ajouté.
«L’UE entamera le plus tôt possible des consultations sur le règlement des différends avec les États-Unis à Genève», siège de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a ajouté, dans le même communiqué, la commissaire européenne au Commerce Cecilia Malmström.
Canada
«Tout tarif ou quota qui serait imposé à notre industrie canadienne de l’acier et de l’aluminium serait inacceptable», a déclaré jeudi le ministre canadien du Commerce international, François-Philippe Champagne.
Ce pays voisin des États-Unis est son premier fournisseur d’acier et d’aluminium.
Le gouvernement canadien est surpris d’une décision qui risque finalement de jouer contre les industriels américains.
«Les États-Unis affichent un surplus de 2 milliards $ dans le commerce de l’acier avec le Canada», a souligné pour sa part la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland.
Syndicat nord-américain
De son côté, le syndicat nord-américain des sidérurgistes United Steelworkers (USW), principalement actif aux États-Unis et au Canada, exige que les producteurs d’acier et d’aluminium canadiens soient exclus des mesures annoncées par Donald Trump.
«Clairement, le Canada n’est pas l’un de ces “mauvais acteurs” impliqués dans le commerce injuste et le dumping de l’aluminium et de l’acier vers les États-Unis», précise le syndicat.
Allemagne
L’association allemande de la sidérurgie Stahl a dénoncé «des mesures qui violent les règles de l’Organisation mondiale du commerce», exigeant l’intervention de l’Union européenne.
«Si l’Europe n’agit pas, notre sidérurgie va payer l’addition pour le protectionnisme américain», a encore prévenu, par communiqué Hans Jürgen Kerkhoff, le président de Stahl.
Royaume-Uni
«Nous avons été clairs sur le fait que nous sommes particulièrement inquiets de toute mesure qui pourrait avoir des conséquences sur l’acier du Royaume-Uni et ses industries d’aluminium», a indiqué par communiqué l’ambassade britannique à Washington, tout en assurant être en discussion avec les Américains. Avec AFP