L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), le syndicat qui représente la plupart des scientifiques fédéraux, a publié ce matin un sondage sur leur liberté de parole et l'ingérence politique dans leur travail. Les mêmes questions leur avaient été posées en 2013, quand les politiques de musèlement du gouvernement Harper défrayaient les manchettes, ce qui permet la comparaison.
Grosso modo, les résultats montrent une nette progression, mais la question de savoir si c'est «mieux» ou «moins pire» reste entière. Par exemple, il y a encore 40 % des scientifiques fédéraux qui jugent que leur «capacité à élaborer des politiques, des lois et des programmes fondés sur des preuves scientifiques et des faits est compromise par l’ingérence politique». C'est bien moins qu'il y a cinq ans (71 %), mais 2 sur 5, cela reste beaucoup. Beaucoup...
On aura plus de détails dans mon article ou dans l'étude elle-même. J'aimerais soulever ici une couple petits points supplémentaires à ce propos :
- D'abord, comme je le signale dans mon texte, ces chiffres-là viennent avec un petit astérisque. Le questionnaire a été envoyé à 16 000 scientifiques fédéraux, seulement 3000 y ont répondu. C'est le genre de méthodologie et de taux de réponse qui peuvent introduire des biais. Mais bon, comme la métho est constante, elle permet quand même de mesurer les changements.
- Et parlant de changements, justement, est-ce qu'on doit vraiment se surprendre qu'ils soient relativement minces, deux ans et demi après le changement de régime et l'abolition des politiques de musèlement du gouvernement Harper ? C'est facile à dire a fortiori, mais il me semble que non. On voyait depuis longtemps des signes qu'il y avait des limites à la liberté de parole que les libéraux étaient prêts à accorder aux scientifiques fédéraux — en particulier, leur refus d'enchâsser ce droit dans les conventions collectives. Et puis, ce n'est pas comme si la volonté du PM était le seul facteur à l'œuvre. Dans toutes les hiérarchies, il y a une tendance générale des directions/patrons à vouloir exercer un contrôle sur leurs subalternes, c'est la nature même des choses. Dans tous les gouvernements, les fonctionnaires (scientifiques ou non) ont un devoir de loyauté envers le gouvernement, ce qui implique une réserve dans certains dossiers chauds — et c'est normal. Dans toutes les démocraties, les décisions reviennent aux élus, ce qui implique que des considérations de PR vont entrer en ligne de compte et qu'il y aura toujours une tentation d'ingérence.
Bref, il y a pas mal de forces en cause ici, il me semble, qui peuvent faire pencher des gouvernements vers l'opacité et l'ingérence politique dans le travail de leurs scientifiques. Ce n'est pas une fatalité, remarquez, et cela ne signifie pas davantage que c'est acceptable — d'un point de vue démocratique, ça ne l'est clairement pas. Mais ce que «l'expérience naturelle Harper-Trudeau» nous indique, il me semble, est ceci : la liberté de parole des scientifiques gouvernementaux est une pierre de Sisyphe. Le style et les idées du parti au pouvoir font une différence, mais il y a suffisamment de facteurs qui penchent vers l'opacité pour qu'on doivent mener ce combat de manière plus ou moins permanente.
Un peu comme pour la protection des sonneurs d'alerte en général, d'ailleurs.
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