Le constat est rendu un peu plus évident en plein mois de l’histoire des Noirs. Dans un mouvement olympique qui se targue de faire la promotion du sport pour tous, la question de la diversité, lors des JO d’hiver, a toujours été un talon d’Achille.
À PyeongChang, par exemple, la présence d’une quarantaine d’athlètes noirs sur 2952 est considérée par plusieurs comme une avancée. Après tout, pour des raisons géographiques, culturelles et socioéconomiques, il a fallu attendre 56 ans après la tenue des premiers Jeux d’hiver, à Chamonix, pour que des Noirs participent pour une première fois à la compétition, en 1980.
«Tout cela a commencé par les équipes de bobsleigh canadiennes et américaines qui se sont dit: ‘‘Pourquoi ne pas recruter des joueurs de football et des sprinteurs?’’ relate Stephen Mosher, professeur à l’Université Ithaca, dans l’État de New York, et spécialiste des enjeux raciaux dans le sport.
C’est ainsi que le Canadien Robert Wilson et les Afro-Américains Jeff Gadley et Willie Davenport ont marqué l’histoire olympique en se qualifiant pour les Jeux de Lake Placid. Le cheminement de Davenport, tout particulièrement, allait devenir la norme. Ex-champion olympique au 110 m haies ayant représenté son pays à quatre reprises aux Jeux d’été, il s’était mis au bobsleigh pour prolonger sa carrière d’athlète.
Ce faisant, le natif d’Alabama venait d’ouvrir une brèche pour les athlètes noirs aux Jeux d’hiver. Elle continuerait de s’agrandir dans les décennies suivantes, de la fameuse équipe de bobsleigh jamaïcaine, en 1988, à l’Américaine Vanetta Flowers, première athlète noire à remporter une médaille d’or aux Jeux d’hiver, en 2002, à Salt Lake City.
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Un sport «de deuxième génération»
«Contrairement à la plupart des sports d’hiver, nos athlètes ne sont pas développés au bobsleigh dès leur jeune âge. Ils proviennent d’autres sports. On cherche de la vitesse, de la puissance et de la force» explique Chris Durnan, porte-parole de Bobsleigh Canada, lorsqu’interrogé sur la forte proportion d’athlètes noirs dans son sport.
Sur 225 athlètes, la délégation canadienne présente aux Jeux en Corée du Sud compte six Noirs, dont cinq bobeurs : Brown, Wright, Barnett et leurs compatriotes Seyi Smith et Phylicia George. Or, tous ont d’abord fait de l’athlétisme, à l’exception de Lascelles Brown, qui, lui, pratiquait la boxe avant de joindre l’équipe nationale de bobsleigh de son pays d’origine, la Jamaïque, à la fin des années 90.
Il n’y a pas que les Canadiens. Les délégations britanniques et américaines comptent également cinq bobeurs noirs. La France, trois. Le Nigéria en est pour sa part à sa première participation aux Jeux d’hiver… grâce à son équipe féminine de bobsleigh à quatre. Encore là, les athlètes proviennent presque unanimement du monde de l’athlétisme.
Si la diversité du bobsleigh ne s’est pas propagée au reste des Jeux d’hiver, donc, c’est que le problème n’a jamais été réglé, explique Stephen Mosher. Trop peu d’enfants noirs pratiquent des sports d’hiver.
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Un problème de «perception culturelle»?
Pour des raisons purement géographiques, la proportion d’athlètes noirs, latins ou même asiatiques aux Jeux d’hiver ne sera jamais celle des Jeux olympiques d’été. Une large portion du globe ne possède tout simplement pas un climat propice à la pratique des sports d’hiver. Alors que 92 pays participent aux Jeux de PyeongChang, par exemple, 202 nations étaient des derniers Jeux d’été, à Rio.
Mais il y a plus que des facteurs géographiques, soutient Stephen Mosher. «Aux États-Unis, je crois qu’il y a une forte perception culturelle que les sports d’hiver est l’un des derniers bastions des Blancs. C’est absurde, évidemment, mais ce genre de perception peut mener à de l’auto-exclusion», explique-t-il. «Les enfants ont tendance à s’identifier à des athlètes qui leur ressemblent et il y a trop peu d’athlètes noirs dans les sports d’hiver.»
Il cite en exemple la patineuse artistique américaine Debi Thomas, première femme noire à obtenir une médaille aux Jeux d’hiver, en 1988. «Elle était incroyable, mais elle était une exception. Elle n’a pas été suivie d’une vague de patineuses noires. Pour qu’un athlète noir à lui seul ait un effet significatif pour une prochaine génération, il faudrait vraiment qu’il bénéficie d’une couverture extraordinaire.»
Or, le Comité olympique américain n’a jamais réellement mis de l’avant le succès des athlètes noirs aux Jeux d’hiver, estime Stephen Mosher. «Le Comité olympique américain parle beaucoup de diversité, mais, de mon vivant, ils ont manqué une chance après l’autre de réellement la promouvoir aux Jeux d’hiver.»
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«Le ski alpin, qui peut se payer cela?»
Bien sûr, poursuit le professeur à l’Université Ithaca, il y a également le coût des sports d’hiver. «Le ski alpin, qui peut se payer cela?» lance-t-il en exemple. Les coûts sont déjà élevés pour la pratique récréative du ski ou de la planche à neige et ne font qu’augmenter lorsqu’un athlète aspire à l’élite mondiale et doit aller s’entraîner régulièrement à des endroits comme Whistler ou Aspen.
Chose que peut rarement se permettre un enfant ne provenant pas d’une famille aisée financièrement. «Même le hockey est encore un sport très blanc. Le sport d’hiver par excellence pour les Afro-Américains et les Noirs de la région de Toronto, c’est le basketball en gymnase. C’est beaucoup moins cher.»
Certes, les dernières décennies ont vu s’élargir la classe moyenne afro-américaine et asiatique, rendant certains sports d’hiver plus accessibles à diverses communautés, mais le biais culturel envers les sports d’hiver est maintenant trop solidement ancré, croit Stephen Mosher. «Ce sera extrêmement difficile à renverser. Chose certaine, cela nécessiterait davantage d’investissements publics pour, d’une part permettre l’accès aux sports d’hiver à des jeunes de milieux plus défavorisés et, d’autre part, promouvoir les athlètes noirs qui obtiennent du succès dans les sports d’hiver.»
Contacté par Le Soleil, le Comité olympique canadien a préféré ne pas accorder d’entrevue sur le thème de la diversité durant les Jeux de PyeongChang, proposant de le faire après la compétition. «Nous avons un département d’Éducation, jeunesse et communauté, qui a le mandat de diversité et inclusion», a néanmoins précisé le porte-parole, Photi Soritopoulos.
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Une situation différente pour Kalyna Roberge
Contactée par Le Soleil, la patineuse de vitesse à la retraite Kalyna Roberge, dont la mère est originaire de l’île Maurice, est pour sa part nuancée sur le sujet de la diversité dans les sports d’hiver.
«Je me considère comme une Noire, mais c’est sûr qu’ayant grandi sur la Rive-Sud de Québec et ayant un père québécois, ma situation n’est pas comparable avec des enfants de familles afro-américaines, par exemple. Personnellement, j’ai eu mes frères plus vieux comme modèles pour m’inciter à faire du patin. Ils ont ouvert le chemin.»
Vrai que le Comité olympique canadien (COC) n’a jamais mis particulièrement de l’avant les succès de celle qui a remporté deux médailles d’argent olympiques (relais 3000 m) et un titre de championne du monde sur 500 m, chose rare pour une athlète canadienne noire. Mais il n’y a pas là matière à blâme, estime-t-elle. «Je pense que le COC n’a simplement jamais pensé à cela.»
À sa retraite du patinage de vitesse courte piste, Roberge avait pour sa part comme projet de tenter de développer le sport à l’île Maurice. La lourdeur administrative de ses démarches l’a toutefois découragée. «J’espère tout de même avoir laissé un peu ma trace en inspirant durant ma carrière des jeunes de tous les milieux et toutes les origines à au moins essayer mon sport.»