J’ai passé deux heures avec Gaétan Barrette, jeudi matin, pour voir où s’en allait sa réforme de la santé, et comprendre ce qui l’amène à bousculer le système de façon aussi radicale. «J’ai eu la naïveté de croire que je pourrais faire avancer des choses dans l’espace public par une approche cartésienne, par la persuasion, m’a-t-il raconté. Naïveté avec un N majuscule. J’ai cru ça avant d’arriver en politique, et je me suis rendu compte que c’était impossible après environ six mois, un an».
Un de ses prédécesseurs lui a déjà conseillé de se limiter à un seul objectif en santé pour être assuré du succès, au lieu de disperser ses efforts. Il n’a pas suivi ce conseil parce qu’il estime que le système forme un réseau interrelié, et qu’en réglant un problème quelque part, on ne fait que le transposer ailleurs si on n’a pas une vue d’ensemble.
Une parenthèse avant d’aller plus loin : j’ai toujours pensé qu’il faudrait attendre quelques années avant de faire un bilan sérieux d’une telle réforme. Cela implique que Gaétan Barrette devra avoir le temps de la consolider pour en voir les résultats, ce qui est loin d’être acquis à 9 mois des élections, dans un contexte politique aussi incertain.
Sous Jacques Parizeau, le ministre Jean Rochon avait lancé des changements importants au réseau de la santé, mais les critiques ont eu sa tête. Rochon a toujours déploré qu’on ne lui ait pas laissé le temps de terminer son œuvre. Ses successeurs, dont Philippe Couillard, ont été incapables ou n’ont pas osé se lancer dans une entreprise aussi risquée. Ce qui n’a pas empêché les nombreuses critiques à l’endroit du système, tous partis confondus. Gaétan Barrette aussi fait l’objet de critiques multiples, sauf qu’il a osé imposer sa loi.
Verra-t-on des signes évidents du bien-fondé de son approche à la fin du mandat actuel? Il en voit déjà plusieurs, dont celui-ci : au 1er décembre, la liste des gens inscrits auprès d’un médecin de famille s’était accrue de 1,1 million de Québécois. Ses critiques rétorquent qu’il ne suffit pas d’être inscrit auprès d’un médecin pour avoir un rendez-vous. Gaétan Barrette est d’accord, et c’est là qu’il voit son grand défi dans un prochain mandat : l’assiduité des médecins, et surtout «l’accès adapté» aux patients pour la prise de rendez-vous. Déjà en vigueur dans plusieurs cliniques, ce changement implique que les médecins libèrent une grande partie de leur grille horaire au lieu de la combler des mois à l’avance pour des examens de routine annuels. Les patients peuvent donc voir leur médecin la journée même ou dans deux ou trois jours, au lieu d’encombrer les urgences.
Autre changement : la numérisation des dossiers dans le Carnet santé Québec, intégré à un portail comprenant aussi Rendez-vous santé Québec et le guichet d’accès aux médecins de famille, qui vise à améliorer la gestion du réseau. Un exemple concret : les gens dont les médecins de famille prennent leur retraite ou abandonnent la pratique devraient recevoir un message par courriel à partir de juillet, leur offrant une inscription auprès d’un autre médecin dans leur quartier.
Le ministre mise également sur ces changements pour obtenir une plus grande transparence du réseau au complet. Il sera possible, selon lui, de vérifier non seulement la quantité, mais également la qualité des interventions, et de comparer la performance d’une région ou d’une institution à l’autre. On pourrait même faire des sondages auprès des patients, afin de vérifier leur satisfaction et leur opinion. Dans le système actuel, il est trop difficile d’avoir des données complètes et fiables pour en voir les failles et apporter les correctifs, selon le ministre.
Gaétan Barrette est intarissable lorsqu’il s’agit d’expliquer sa réforme. Il peut vous citer plein de cas démontrant qu’il est dans la bonne voie, mais il reconnait qu’il y a des embuches ou des contraintes. Il veut 2000 super infirmières de plus d’ici 10 ans. On en forme 170 cette année à Trois-Rivières, mais on n’a pas suffisamment de formateurs pour augmenter la cadence. Les obstacles au changement sont nombreux, et prennent parfois des formes surprenantes. Ainsi, ses recettes pour les repas dans les CHLSD, concoctées par des experts, se heurtent à une résistance syndicale. Et pire encore, la meilleure des recettes ne donne rien de bon si le cuisinier du CHLSD a un talent limité. Or le ministre a pu constater que parfois, c’est la réalité. Faudra-t-il donner des cours de cuisines aux cuistots?
Ce n’est pas simple, la santé. L’an dernier, à la même époque, Gaétan Barrette avait déclaré au Soleil que son fantasme était d’obtenir un deuxième mandat à la tête de ce ministère. Il a encore le même fantasme.