Chronique|

Pénurie de salaires décents

«Ce n’est pas d’une pénurie de main-d’œuvre dont nous souffrons, mais d’une pénurie de salaires décents», martèle l’interlocuteur du Soleil, un quinquagénaire propriétaire d’une petite entreprise qui emploie des soudeurs.

Notre soudeur n’en pouvait plus d’entendre les nouvelles dans les médias sur la pénurie de la main-d’œuvre, particulièrement dans le secteur de la fabrication métallique.


«C’est une insulte à l’intelligence des Québécois de répéter sur toutes les tribunes qu’il y a actuellement une pénurie de main-d’œuvre, notamment chez les soudeurs et les assembleurs-soudeurs. Augmentez les salaires de 5 $ l’heure et je vous assure que les postes vacants vont être pourvus rapidement par des gens hautement qualifiés.»

«Ce n’est pas d’une pénurie de main-d’œuvre dont nous souffrons, mais d’une pénurie de salaires décents», martèle notre interlocuteur qui refuse que son nom apparaisse dans le journal. 

«Je ne veux pas me faire tirer des roches. Nous sommes des soudeurs de père en fils dans ma famille. J’ai une petite entreprise et je paie correctement mes gars. En moyenne 28 $ l’heure. Et je n’ai pas de problème de rétention des employés», raconte le quinquagénaire.

«Vous savez, le salaire, c’est le nerf de la guerre dans une stratégie de recrutement de nouveaux employés. Vous ne réussirez jamais à attirer un ours avec des graines de tournesol! Surtout pas un soudeur. Un métier difficile, s’il en est un. Vous risquez constamment de vous brûler. Vous travaillez dans la boucane. Vous êtes, la plupart du temps, debout, accroupis ou couchés par terre.»

En parcourant les sites d’emploi, le Montréalais est renversé de constater qu’une entreprise offre un salaire horaire de 18,67 $ à 21,77 $ selon l’expérience pour pourvoir un poste de soudeur-assembleur possédant moins de deux ans d’expérience.

«Comprenez-vous maintenant pourquoi les centres de formation professionnelle ne parviennent pas à attirer les jeunes? Avec un salaire d’entrée de 18,67 $, je comprends parfaitement les jeunes de regarder ailleurs. Surtout qu’ils ont l’embarras du choix par les temps qui courent.»

«Il est temps que les employeurs cessent de se plaindre et consentent enfin des salaires décents à leurs travailleurs. Ça vaut pour le secteur de la fabrication métallique. Ça vaut aussi pour d’autres domaines de notre économie. Pensons à la restauration et au camionnage, par exemple.»

Éviter les généralités

Raymond Langevin est analyste du marché du travail au Comité sectoriel de la main-d’œuvre dans le secteur de la fabrication métallique industrielle.

«Il y a un fond de vérité dans la description faite par votre interlocuteur. Pour certains, le salaire d’un apprenti-débutant peut être rebutant. Toutefois, il faut faire attention aux généralités. À Mont­réal, il n’y a pas de pénurie de soudeurs. Ce n’est pas le cas, par contre, dans la région de la Chaudière-Appalaches ou de l’Abitibi», fait-il remarquer au Soleil, en soulignant qu’il peut arriver que le salaire d’entrée soit plus bas dans le manufacturier qu’ailleurs, mais la progression dans l’échelle salariale se fait généralement plus rapidement.

«Dans la Chaudière-Appalaches, le taux de chômage est de 2,3 %. Si Chantier Davie, un gros employeur de soudeurs, n’a pas de nouveaux contrats prochainement et doit procéder à des licenciements massifs, il n’y aura plus de pénurie dans cette profession dans la région. Des centaines de soudeurs seront alors disponibles. En Abitibi, les minières attirent toutes les ressources disponibles avec de très bons salaires. Le restaurant McDonald’s du centre-ville de Val-d’Or a même dû fermer temporairement ses portes faute de personnel», explique M. Langevin.

La rareté des ressources fait en sorte que le taux horaire salarial moyen d’un assembleur-soudeur de la Chaudière-Appalaches était légèrement supérieur à celui d’un collègue d’une autre région en 2016. 

Par exemple, le taux horaire moyen d’apprenti-débutant était de 18,14 $ comparativement à 17,67 $ pour l’ensemble du Québec. 

Celui d’un assembleur-soudeur expérimenté affichait 20,78 $ comparativement à 20,61 $ ailleurs dans la Belle Province. 

Dans le cas d’un assembleur-soudeur expert, le taux horaire moyen dans la Chaudière-Appalaches était de 23,67 $. Il était de 23,41 $ pour l’ensemble du Québec.

Il s’agit ici des taux de 2016. La plupart d’entre eux ont été légèrement ajustés en 2017. 

Selon la firme Randstad, le salaire annuel médian dans le secteur manufacturier au Canada est d’environ 36 000 $.

À Québec, le salaire annuel moyen dans le secteur de la fabrication varie entre 21 000 $ et 43 000 $.

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UN POSTE, QUATRE CANDIDATS

À Québec, selon Randstad, les entreprises du secteur de la fabrication n’ont guère l’embarras du choix lorsqu’elles doivent pourvoir un poste au sein de leur organisation.

Disons que le bassin de candidats est assez maigre dans une région qui affichait, en novembre, un taux de chômage de 4,4 %. Le plus bas au pays.

En effet, pour un poste à pourvoir dans une entreprise de fabrication, il y a à peine quatre candidats!

À Montréal, à titre comparatif, il y a 14 candidats par poste.

Seize par poste à Toronto et à Vancouver. Dix-huit à Halifax. Trente-trois à Ottawa. Trente-neuf à Calgary. Cinquante-et-un à Edmonton. 

Ce manque de main-d’œuvre, à Québec et partout au Canada, est causé principalement par les nombreux départs à la retraite. 

«Il n’y a pas suffisamment de travailleurs compétents pour les remplacer», affirme Randstad en soulignant que la valorisation de la formation universitaire au détriment des formations professionnelles a fait en sorte d’éloigner la jeune génération des métiers dans l’industrie manufacturière.