Au-delà des raisons logistiques et purement électoralistes qui justifient ce changement de cap, il faut déplorer la vision étroite, bassement économiciste et utilitariste de la «diversité» et de l’immigration déployée par le gouvernement, de même que son refus de faire la lumière sur les dynamiques de racisme systémique à l’œuvre au Québec.
Un flou conceptuel
Notons d’abord le décalage entre la récente volte-face du gouvernement Couillard et sa fermeté (apparente) au moment d’annoncer la mise sur pied d’une consultation sur le racisme systémique, au printemps dernier. Les libéraux n’ont visiblement pas pris la mesure du processus dans lequel ils s’engageaient, ni d’ailleurs de la constellation d’éléments qu’il fallait avoir le courage d’affronter pour faire face à la dimension institutionnelle et systémique du racisme. Plus que d’un recul, il s’agit carrément d’une démission de leur part.
Notons aussi l’inflexion du vocabulaire et l’inversion des priorités du gouvernement: il ne s’agit plus, en effet, de lutter contre le racisme mais d’abord de favoriser «l’intégration» des «Québécois issus de la diversité», et ce, principalement sinon exclusivement au marché de l’emploi. L’essentiel de cette consultation portera dès lors sur les dimensions purement économiques, l’enjeu du racisme étant repoussé au second plan, comme s’il était marginal.
Notons enfin le flou conceptuel: de qui parle-t-on au juste lorsqu’on fait allusion aux «Québécois issus de la diversité»? Mot fourre-tout relevant presque de la novlangue, le terme «diversité» nous empêche d’y voir clair tant il amalgame des groupes radicalement différents et soumis à des discriminations ayant peu en commun.
La consultation du gouvernement Couillard, en portant son attention sur «l’intégration des personnes issues de l’immigration», demeure également aveugle à une donnée fondamentale: celle de la racisation. Bien que les personnes immigrantes soient confrontées à des difficultés à géométrie variable les empêchant de mettre en œuvre leur citoyenneté au sens plein, force est de constater que les obstacles sont encore plus nombreux pour les personnes racisées. Souvent nées au Québec, celles-ci font face au racisme, aux préjugés, à l’islamophobie et à des dispositifs institutionnels et législatifs contribuant à leur stigmatisation. Soulignons par ailleurs que l’orientation du Forum évacue complètement le racisme systémique à l’égard des peuples autochtones.
Une vision économiciste
De passage à Sherbrooke le 10 novembre dernier, le premier ministre Philippe Couillard présentait l’immigration «comme un outil économique», en s’empressant d’ajouter que «tout discours anti-immigration […] nuit à l’économie du Québec». Affirmant être à l’écoute des «chefs d’entreprise» lui demandant de leur amener des travailleurs «de n’importe où […] n’importe quelle couleur, n’importe quelle religion», le premier ministre disait vouloir «offrir une solution à ces employeurs-là».
Les personnes immigrantes et racisées sont réduites ici, comme dans la démarche du Forum, à leurs seuls rôles de travailleuses, de consommatrices et de contribuables. On fait fi du fait que bien qu’elles soient souvent très scolarisées, elles sont fortement incitées à occuper des emplois exigeants, vils et souvent sous-payés,délaissés par les membres de la majorité. Malheureusement, les lois et les règlementations qui confinent à la précarité ces personnes et qui questionnent la responsabilité de l’État seront, comme toujours, les angles morts de la discussion.
La démarche déployée par le gouvernement est également aveugle aux discriminations systémiques touchant les personnes racisées, que ce soit en matière d’accès au logement, de profilage policier ou de judiciarisation abusive. Sans oublier les crimes haineux et la banalisation de discours racistes se présentant sous des couverts vertueux et énoncés comme des évidences.
Loin de se cantonner à la seule sphère économique, ces discriminations et ce racisme systémiques sévissent au-delà des murs de l’entreprise, dans la rue, dans les médias, tout comme dans les débats et les espaces de délibération citoyens, notamment les médias sociaux.
Ce Forum sur la valorisation de la diversité ne saurait donc tenir lieu de réflexion sérieuse sur les dynamiques de racisme systémique. Cette réflexion urgente ne pourra d’ailleurs jamais se faire correctement sans sortir des ornières de la partisannerie. Elle devra aussi reposer sur une enquête véritablement indépendante et rigoureuse dont le mandat devrait être confié à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDDPJ), en mettant celle-ci vraiment à l’abri des ingérences politiques. Ajoutant sa voix à celle de nombreux mouvements sociaux, syndicaux et citoyens, le Centre justice et foi invite la classe politique à donner à la CDDPJ les moyens de mener cette enquête sur les discriminations et le racisme systémiques au Québec. Les enjeux sont trop importants pour notre société et pour les personnes immigrantes et racisées. Il en va de notre capacité à faire société ensemble.
L’équipe du Centre justice et foi: Emiliano Arpin-Simonetti, Frédéric Barriault, Élisabeth Garant, Mouloud Idir, Jean-Claude Ravet, Adèle Tourte et Marc-Olivier Vallée.