Le 20 juillet, la Cour supérieure a rendu une décision en faveur de quelque 1300 cadres dont les postes avaient été abolis en mars 2015 dans la foulée de la loi 10 modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé (et créant les CIUSSS et les CISSS).
Le litige concernait plus particulièrement un règlement adopté à la hâte sur les indemnités de départ, que le ministre Barrette voulait réduire de 24 à 12 mois.
Dans sa décision, la juge Suzanne Ouellet a décrété que le ministre avait enfreint la loi en adoptant ce règlement. Selon elle, l’Association des gestionnaires d’établissement de santé et de services sociaux (AGESSS) aurait dû être dûment consultée, ce qui n’a pas été le cas.
Ce revers judiciaire aurait pu coûter jusqu’à 200 millions $ au gouvernement, selon l’AGESSS.
Or jeudi dernier, le ministre Barrette a déposé le projet de loi 160 «confirmant certaines dispositions applicables aux cadres des établissements de santé et de services sociaux». En clair, le projet de loi, qui ne contient que quatre articles, donne force de loi aux dispositions invalidées par la Cour supérieure.
Un article stipule même que les dispositions du projet de loi 160 «sont applicables malgré toute décision administrative, quasi judiciaire ou judiciaire rendue après le 23 mars 2015».
«Dangereuse dérive autoritaire»
Le dépôt du projet de loi a fait bondir l’AGESSS, qui y voit une «dangereuse dérive autoritaire». Selon sa présidente, Chantal Marchand, cette manœuvre témoigne du «mépris» du ministre Barrette envers les tribunaux.
«Il devait aller en appel du jugement de la Cour supérieure, et là, on apprend que sa demande d’appel est suspendue jusqu’à ce que le projet de loi soit sanctionné. La population devrait craindre ce précédent. C’est une atteinte au processus démocratique et au principe de la séparation des pouvoirs. Et en plus, le législateur, c’est notre employeur…» a-t-elle réagi au bout du fil.
Solution la plus simple
Le spécialiste en droit constitutionnel de l’Université Laval Patrick Taillon explique que le ministre aurait pu aller en appel du jugement de la Cour supérieure, mais «comme le gouvernement a le contrôle [de la chambre], la solution la plus simple, c’est de changer la loi».
Quant à l’article rendant les dispositions du projet de loi 160 «applicables malgré toute décision administrative, quasi judiciaire ou judiciaire rendue après le 23 mars 2015», M. Taillon précise qu’il «n’aura jamais les effets qu’il laisse croire» et qu’il «n’empêchera jamais le tribunal de se saisir d’un dossier».
«Le législateur ne peut pas priver la Cour supérieure de sa compétence. Tout au plus peut-il l’inviter à faire preuve de retenue. La compétence de la Cour supérieure repose sur la constitution, et la constitution est au-dessus de la loi», rappelle Patrick Taillon.