Une citoyenne ayant vue sur le fleuve et la rive sud a transmis au Soleil une photo prise cet été montrant bien la brèche dans la falaise. Avec les arbres en feuilles, le contraste est encore plus saisissant que sur les images prises cette semaine. «Ça fait des mois qu’on regarde ça avec les voisins et mes invités m’en parlent aussi. Tout le monde dit: c’est effrayant ce qu’ils ont fait en face», a raconté la femme, qui préfère ne pas être nommée.
Fin juin, dans nos pages, un résident de Québec se plaignait aussi que «la tronçonneuse de la Ville de Lévis a eu raison de la colline boisée de Saint-Nicolas». Contacté cette semaine, André Demers a évoqué un déboisement «sauvage» qui le prive du paysage naturel, sans accroc, qu’il contemplait depuis plus de 40 ans.
Martin Vaillancourt, directeur général du Conseil régional de l’environnement de Chaudière-Appalaches, a aussi parlé d’un cas de déboisement «excessif». Qu’une éclaircie soit faite au sommet pour permettre l’implantation de résidences, il veut bien. Mais tout raser pour replanter, comme c’est le cas pour la quasi-totalité du développement résidentiel de Roc-Pointe, lui apparaît «contre-productif».
Stéphane Boutin, propriétaire du Groupe CSB, qui possède les terrains visés sur la rue du Pèlerin, réplique avoir demandé et obtenu tous les permis requis auprès de la Ville de Lévis avant de couper les arbres au printemps.
En entrevue téléphonique au Soleil, il a expliqué que son but est d’arrêter l’érosion dans la falaise afin de permettre la construction d’immeubles en copropriétés ou de résidences unifamiliales sur le plateau. Le zonage permet jusqu’à 72 logements sur deux lots d’une superficie totale de 14 000 mètres carrés et d’une valeur combinée d’un million de dollars.
Sur recommandation d’un ingénieur, CSB a donc installé des tuyaux et des diffuseurs qui redistribuent l’eau de surface dans les crans rocheux. Un reboisement est planifié afin de reconstituer rapidement la canopée, indique M. Boutin. «Dès l’année prochaine, vous allez voir un couvert forestier qui va se refaire. Ça va être beaucoup plus dense, comme un tapis vert dans la falaise», plaide-t-il, ajoutant que «les grands arbres empêchaient les petits arbres de pousser».
«L’idée, depuis le début, c’était de rebâtir la végétation», a insisté l’entrepreneur, qui dit travailler le dossier depuis neuf ans. D’après lui, le coup d’œil à partir de la rive nord pourrait même être amélioré.
Le directeur de l’urbanisme de la Ville de Lévis nous a confirmé que CSB avait tous les permis en main pour procéder à la coupe à blanc. Dominic Deslauriers a exposé que les falaises et les talus rocheux ne font pas systématiquement l’objet d’une protection sur le territoire lévisien. Il faut toutefois les recommandations d’un ingénieur et une autorisation du conseil d’arrondissement avant d’y faire des interventions.
Pas d’obligation
Dans le cas qui nous occupe, le promoteur pourrait d’ailleurs construire des condos dans l’espace déboisé et stabilisé s’il en faisait la demande. Les détails de son projet seront étudiés lors du dépôt de la demande de permis.
C’est alors que la Ville de Lévis fera connaître ses exigences en matière de couvert végétal. «Pour l’instant», aucune obligation de replanter n’a été formulée.
M. Deslauriers assure que «la notion de paysage est assez importante» pour la municipalité et que «le paysage en bordure du fleuve est d’intérêt».
Dans les cartons depuis longtemps, le développement immobilier du secteur Roc-Pointe a l’avantage de concentrer la population près des ponts et des grands axes routiers, mais pourrait affecter le paysage fluvial, concède le fonctionnaire.
«Dans l’immédiat du changement, l’impact apparaît grand. Je l’ai constaté moi aussi de la rive nord, on voit qu’il y a eu une intervention. […] Lorsque les aménagements seront constitués, le choc sera moins important, il y aura atténuation», fait valoir M. Deslauriers.
Comme chaque fois lorsqu’il est question de Roc-Pointe, la Ville de Lévis met aussi de l’avant que 19% des milieux naturels seront préservés à terme, soit presque deux fois plus que dans le projet initial fortement contesté.
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DES DÉCENNIES POUR EFFACER LES TRACES
Un expert du paysage exprime de sérieux doutes sur l’intervention réalisée dans la falaise de Lévis et la régénération espérée.
Gérald Domon est une sommité en matière de paysage au Québec. Le Soleil lui a soumis la photo de la trouée vue de la rive nord. Le directeur scientifique associé de la Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal précise qu’il donne son opinion sur cette seule base, n’ayant pas visité les lieux.
«On enseigne depuis au moins trois décennies que quand une coupe sévère d’arbres doit être faite, il faut à tout prix ménager la ligne de crête des montagnes, des buttes et des talus puisque c’est sur elle que porte en premier le regard. Si la photo est exacte, on n’a pas tenu compte de cette évidence», a réagi M. Domon.
«Ce cas montre bien que lorsqu’on traite du paysage, on doit le faire en fonction du bassin visuel, c’est-à-dire de tout l’espace où le point d’intervention est visible, et non du seul territoire municipal. Le paysage s’accommode très mal des limites administratives!» a-t-il fait remarquer dans un échange de courriels.
Interrogé sur le reboisement promis par le promoteur, l’expert s’est montré perplexe. «Le retour d’un couvert forestier comparable à l’initial au plan de la hauteur et de la densité est de l’ordre des décennies. Aussi, le retour à la composition initiale demeure, compte tenu de la modification des caractéristiques du site [sol, drainage], hypothétique. C’est pour cela que la tendance à l’international, tout comme dans nos enseignements, est de composer avec la nature plutôt que de tenter de la reconstruire», a-t-il expliqué.