C’était dans la nuit du 25 au 26 octobre 2012. Lors d’une opération de transbordement, le vent soulève de la poussière d’oxyde de fer provenant des installations d’Arrimage du Saint-Laurent au port de Québec. Le nuage s’abat principalement sur le Vieux-Limoilou, mais déborde sur une bonne partie de la basse ville.
Véronique Lalande, qui habite sur la 2e Rue, constate les dégâts le matin du 26. La citoyenne fait des liens avec toute cette poussière qu’elle ramasse régulièrement sur son balcon et les allergies dont elle souffre. Elle prend des photos, ramasse des échantillons et sonne l’alarme dans les médias et auprès de ses voisins.
C’est ce qui provoquera la rencontre avec Jean-Laurence Seaborn. Le documentariste engagé, qui vient tout juste de lancer Pas de piquerie dans mon quartier, se promène avec conjointe et enfant sur la piste cyclable le long de la rivière Saint-Charles quand il croise Mme Lalande, son bébé dans les bras, distribuant des dépliants sur la pollution atmosphérique en provenance du port de Québec.
Le résident de Limoilou réalise que «le port, c’est bien plus que des bateaux de croisières, c’est une mine à ciel ouvert».
Dans sa tête et dans son œil, c’est le déclic. «Je me suis dit qu’il fallait archiver ça. J’ai appelé mon frère et je lui ai dit : “Prépare les kodaks, charge les batteries, on est repartis!”»
Pendant cinq ans, les deux cinéastes ont suivi Mme Lalande et son allié et conjoint, Louis Duchesne, dans leur lutte contre Arrimage du Saint-Laurent, le Port de Québec et les autorités gouvernementales périphériques. Une lutte médiatique d’abord, puis judiciaire avec le dépôt d’un recours collectif, mais surtout une lutte citoyenne.
«Si le Port s’est mis à suivre sa poussière et a installé des canons à eau, ce n’est pas à cause du gouvernement, c’est à cause de l’action des citoyens», est convaincu Jean-Laurence.
En pleine campagne électorale
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la bande-annonce de Bras de fer est diffusée en pleine campagne électorale municipale. Le Limoulois voudrait que les candidats se préoccupent davantage de la santé de ses concitoyens et s’engagent à diminuer, sinon éliminer la pollution de l’air dans la basse ville. «On veut raviver le sujet, on veut que cette problématique-là soit réglée et on croit dans nos films qui ont un impact réel», dit le jeune homme.
Les frères Seaborn, qui ont accueilli Le Soleil dans leurs studios de la 3e Avenue, ne voient pas la caméra comme un obstacle dans leur travail de documentation, mais comme une alliée. «Un documentaire, c’est une relation qui se construit, une relation en accéléré. Tout à coup on est dans leur cuisine, tout à coup on les suit partout, Véro et Louis», relate Jean-Laurence.
Le plus difficile, se rappelle son frère, c’était de suivre les impulsions de leurs deux têtes d’affiche. «Des fois, on recevait un message texte : c’était Véronique pour nous dire qu’elle s’en allait à un rendez-vous dans 15 minutes. J’attrapais les caméras, je sautais dans mon auto pour aller à sa rencontre et filmer son arrivée. Quand elle me voyait, elle partait à rire», raconte-t-il.
Les deux duos se sont d’ailleurs soutenus les uns les autres dans les moments de fatigue et de découragement liés à la saga, mais aussi à la vie tout court.
Pas étonnant que les documentaristes aient pris difficilement l’annonce du déménagement du couple à Stoneham à l’automne 2016. C’est d’ailleurs la scène qu’ils ont eu le plus de difficulté à intégrer dans leur film. «Quand Véronique a annoncé qu’elle déménageait, on a eu le goût de déménager aussi», soupire Jean-Laurence. «Puis on s’est dit : il est hot le quartier. Il y a du monde trippant ici. Si tu déménages, tu perds ce monde-là», complète Jonathan.
Pour leur documentaire de 78 minutes, qui est maintenant terminé, les Seaborn ont accumulé plus de 100 heures de tournage et 50 heures d’archives. Une œuvre que l’on pourrait assimiler à du bénévolat puisque l’aide financière de la SODEC est arrivée en fin de parcours, pour l’adaptation au grand écran.
La sortie officielle est prévue cet hiver au Clap et au cinéma Beaubien à Montréal. Le film, distribué par Spira, sera également présenté région par région, accompagné par ses réalisateurs qui ont hâte d’aller à la rencontre du public.