En entrevue éditoriale au Soleil, Mme David explique que les universités devront collaborer dans le monde numérique si elles veulent demeurer compétitives à l'international. «C'est la mondialisation de l'enseignement supérieur», qui l'exige.
Au dernier budget, une enveloppe de 100 millions $ a été prévue pour soutenir le numérique en enseignement supérieur. Une partie de cet argent sert à jeter les bases de eCampus Québec. Mme David ne donne pas de date d'échéance pour la naissance de cette plate-forme, car elle est tributaire de la Stratégie numérique québécoise, qui n'a toujours pas été dévoilée.
Plusieurs pays dans le monde ont misé ces dernières années sur la création de telles plates-formes. La France a par exemple investi beaucoup d'argent dans France université numérique (FUN). Le site Web eCampus Ontario, créé en 2015 et regroupant des cours de 45 universités et collèges de la province voisine, est un modèle qui intéresse «beaucoup, beaucoup» la ministre.
Moins de campus bétons
Suivant la tendance mondiale, les étudiants québécois ont démontré qu'ils étaient de plus en plus friands de formation en ligne, qui permet de suivre des cours où ils le veulent et quand ils le veulent. Parfois, l'étudiant doit se présenter en classe seulement pour quelques laboratoires ou pour passer son examen. Une tendance que la ministre ne pense pas voir s'essouffler. «J'ai l'impression qu'on va se calmer un petit peu sur les gros campus bétons. Je pense qu'on va aller de plus en plus aux campus numériques.»
À l'heure actuelle toutefois, les universités québécoises ne sont pas toutes au même niveau. Certaines tâtent le terrain de la formation en ligne, tandis que d'autres sont très avancées, comme l'Université Laval et la TELUQ. Mais que faire pour que les universités, habituées d'être en compétition l'une avec l'autre, soient ouvertes à collaborer? «Quand on met un peu d'argent, peut-être que ça aide», lance la ministre.
Mme David ne souhaite pas non plus tout uniformiser. «Jamais on ne pourra dire qu'il y a un seul cours de mathématiques dans toutes les universités du Québec.» Elle souhaite toutefois que l'étudiant s'y retrouve mieux et puisse choisir parmi un plus large éventail de cours en ligne qui seront reconnus par les autres universités.
Travailler en équipe
L'an dernier, l'université à distance TELUQ a déposé un mémoire à la ministre militant en faveur de la création d'une telle plate-forme. «Le Québec n'a pas les moyens d'avoir 18 cours en ligne équivalents, montés par chaque université», soutient Martin Noël, directeur général de la TELUQ. Créer un bon cours en ligne, qui comprend par exemple des vidéos et de l'interaction entre les étudiants et le professeur, peut coûter des millions de dollars. C'est pourquoi M. Noël croit que sur ce terrain, les universités devront travailler en équipe. «Je pense qu'on n'a pas le choix, mais c'est encore timide. Chacun protège encore un petit peu son territoire.»
Les cégeps s'intéressent aussi à la formation en ligne et travaillent à un modèle de collaboration entre les institutions, qu'ils proposeront ensuite à la ministre. «On a fini d'attendre les bonnes idées du ministère. On a compris que si on ne prenait pas en main notre destin en proposant des choses, c'est l'impasse», commente Bernard Tremblay, pdg de la Fédération des cégeps.
C'est pourquoi la Fédération examine attentivement le modèle d'Ontario Learn, une plate-forme qui regroupe les cours à distance de 24 collèges publics de l'Ontario. «Tout le monde est d'accord dans notre réseau pour dire qu'il faut qu'on travaille de façon concertée», ajoute M. Tremblay.
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En bref
Balises pour les salaires des recteurs
Tel que prévu, la ministre David déposera un projet de loi cet automne pour encadrer les salaires et les autres bénéfices des recteurs d'université. «Mon objectif, c'est qu'on n'ait plus à en parler parce qu'il y aura plus de transparence.» La ministre dit comprendre que les différentes universités au Québec aient une histoire et des traditions qui ont imposé différentes façons de faire avec les années, par exemple octroyer une voiture de fonction ou une résidence personnelle au recteur. Mais aujourd'hui, comme ces universités sont toutes financées à plus de 50 % par de l'argent public, la ministre estime que le gouvernement peut imposer des «balises communes».
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Le terrain glissant des stages rémunérés
La ministre David sait qu'elle avance sur un terrain glissant lorsque les étudiants lui demandent d'être payés pour leurs stages de fin d'études. «C'est pas une question facile.» Chose certaine, elle ne veut pas décider «au cas par cas» et favorise plutôt une «réflexion sociale» sur le sujet. Mme David rappelle que les étudiants ont toujours droit aux prêts et bourses lorsqu'ils font leur stage de fin d'études. Elle est toutefois consciente que plusieurs entreprises privées et même la fonction publique paient leurs stagiaires, alors qu'en enseignement par exemple, le dernier stage n'est pas payé. «Il va falloir avoir l'équité envers toutes ces professions majoritairement féminines.»
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«Le système est sclérosé», dit Bernard Tremblay en entrevue au Soleil
Bernard Tremblay n'en peut plus d'attendre. Le pdg de la Fédération des cégeps considère qu'il est «urgent» que les programmes collégiaux soient tous remis à jour, afin que les formations répondent mieux aux défis actuels de la société et du marché du travail. «Le système est sclérosé et c'est notre image, notre réputation qui en souffre.»
En entrevue éditoriale au Soleil, M. Tremblay ne mâche pas ses mots envers le ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur (MEES), qui contrôle tout à partir de Québec, mais qui n'arrive pas à suivre le rythme. «Avant d'aller aux toilettes, il faut leur demander la permission!», illustre-t-il.
Le ministère aurait déjà eu 35 professionnels à son service pour réviser les 133 programmes techniques qui sont enseignés dans les cégeps. «On me dit qu'aujourd'hui, il en reste 5», indique M. Tremblay. Il ne critique pas le choix du gouvernement de faire subir une cure minceur à sa fonction publique. Sauf que les processus n'ont jamais été révisés, déplore-t-il.
M. Tremblay propose une décentralisation des pouvoirs, afin que les cégeps aient plus d'autonomie. Le MEES pourrait toutefois garder la mainmise et le dernier mot sur les programmes enseignés.
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À l'heure du numérique et d'un marché du travail qui change à la vitesse grand V, M. Tremblay croit que les formations doivent s'ajuster rapidement. «Il n'y a rien qui bouge. C'est très inquiétant pour l'avenir. Nous on veut évoluer, mais il nous manque des outils pour le faire», déplore-t-il.
Ministre consciente
La ministre de l'Enseignement supérieur Hélène David admet que la révision des programmes prend trop de temps et que son ministère «n'a pas atteint ses objectifs». «On n'a pas livré comme société, comme ministère, autant d'évaluations de programme qu'on aurait dû.» La ministre souhaite que les formations puissent être révisées en 2 ans, alors que le processus prend environ 7 ans à l'heure actuelle. «Les entreprises nous disent qu'après ce temps-là, elles sont déjà rendues ailleurs», indique Mme David, qui leur donne raison.
La ministre n'a pas l'intention toutefois de proposer une méthode rapide pour régler la situation, car il ne s'agirait que d'un «pansement» temporaire, juge-t-elle. «Il faut s'attaquer au problème de fond», lance Mme David, sans toutefois entrer dans les détails de ce qu'elle compte faire.
M. Tremblay espère que la ministre David a un plan d'action en tête, car pour l'instant, il constate qu'elle «ne s'attaque pas aux enjeux qui vont faire évoluer les cégeps en profondeur».