Un embryon humain dont la maladie héréditaire a été littéralement éliminée de son génome. Ce n'est pas de la science-fiction, mais bien une expérience réalisée récemment par des scientifiques américains, chinois et sud-coréens, étude publiée dans la prestigieuse revue Nature.
Derrière cette spectaculaire innovation, un procédé biologique expliqué en 2007 par l'équipe de Sylvain Moineau et par des collaborateurs français et américains, tient-il à préciser. Il s'agit du système CRISPR-Cas 9, que le chercheur a découvert alors qu'il travaillait sur des bactéries de lait et de fromage. Son équipe avait alors démontré que le système CRISPR (pour Clustered regularly interspaced short palindromic repeats), présent à l'intérieur des bactéries, permet à celles-ci de se défendre contre les virus s'attaquant à elles, virus que l'on appelle des bactériophages. «En 2010, mon équipe a démontré que le système coupait l'ADN [des bactériophages] de manière très, très précise», provoquant leur inactivation, explique Sylvain Moineau, rejoint par Le Soleil durant ses vacances estivales. «À partir de là, deux équipes [...] ont pris ça, et en ont fait un outil pour faire l'édition de génome.» C'était en 2012.
Récemment, une équipe internationale basée à l'Université des sciences et de la santé de l'Oregon, à Portland, a utilisé la technologie CRISPR-Cas 9 pour découper une mutation génétique précise de l'ADN d'un embryon humain. Cette mutation, si présente à la naissance, provoque la cardiomyopathie hypertrophique, une maladie cardiaque qui est la première cause de mort subite chez les jeunes athlètes.
Les chercheurs ont réalisé une fécondation in vitro d'ovules sains par des spermatozoïdes porteurs du gène défectueux. Les embryons obtenus ont par la suite subi une modification génétique grâce à la technologie CRISPR-Cas 9.
Au final, 72 % des embryons testés ne portaient aucune mutation du gène pouvant causer la cardiomyopathie hypertrophique. «Normalement, tu as 50 % des chances que ton embryon soit correct [étant donné que l'ovule ne portait pas la mutation]. Monter de 50 % à 72 %, c'est pas rien quand même», commente Sylvain Moineau. «C'est une augmentation assez marquée.»
Trois études similaires avaient été réalisées en Chine au cours des deux dernières années, mais aucune n'avait obtenu des résultats aussi encourageants, relate le Dr Moineau.
Si le chercheur tient à préciser que l'expérimentation publiée mercredi dans la revue Nature va bien au-delà de sa propre contribution à la compréhension de CRISPR-Cas 9, il admet qu'«il y a une partie de l'Université Laval là-dedans».
«Je suis absolument fasciné de voir le génie humain, et de voir comment tout un système peut être domestiqué pour en faire un outil aussi puissant», témoigne-t-il. «À la base, ça part quand même de recherches fondamentales. Tu ne peux jamais prévoir le genre d'impact que va avoir une découverte comme ça.»
Questions éthiques
Mais justement, un outil aussi puissant peut causer d'importants problèmes éthiques. De là l'idée «d'accentuer les discussions sur cette technologie-là», pense le Dr Moineau. «Il faut qu'on discute à savoir qu'est-ce qu'on accepte, qu'est-ce qu'on n'accepte pas. [...] C'est pas simple, parce que si c'était simple, ce serait fait. Est-ce que tu veux modifier la lignée humaine en faisant des petites éditions de génome? Pour des maladies génétiques, ça peut être souhaitable, mais peut-être que dans certains cas, ce n'est pas souhaitable. Je ne suis pas l'expert.»
«Il faut activer les discussions, parce que ça s'en vient vite. La technologie fait en sorte qu'on est bousculé.»
Le Dr Moineau se fait toutefois rassurant : «Développer des bébés sur mesure, on n'est vraiment pas rendu là. [...] Cette étude-là est un pas en avant important, mais il y a encore du travail à faire, et d'ailleurs, les auteurs le disent. Il faut augmenter encore le taux d'efficacité de la technologie» avant de pouvoir même considérer l'utiliser pour prévenir et traiter des maladies héréditaires.
Notons que l'expérimentation décrite dans Nature n'aurait pas pu être réalisée au Canada, car la modification d'embryons humains est interdite par la loi. Au sud de la frontière, de telles manipulations sont possibles, mais seulement si l'étude qui en découle n'est pas financée par de l'argent public.
Dans l'étude effectuée récemment à l'Université des sciences et de la santé de l'Oregon, les embryons humains ont été détruits quelques jours après la fécondation. Avec AFP