OGM et pesticides: pour y voir plus clair...

BLOGUE / L'adoption des OGM a-t-elle diminué ou accru le recours aux pesticides ? Il s'en est dit et il s'en est écrit, des choses à ce propos depuis quelques années, mais elles ne sont malheureusement pas souvent bien appuyées/documentées, déplore le chercheur de l'Université du Wyoming Andrew Kniss dans ce formidable article paru dans le dernier numéro de Nature Communications. Le papier a la grande qualité d'être en accès libre et, autre qualité appréciable, c'est à mon sens un des textes les plus éclairants qui ait été écrit à ce sujet depuis longtemps. Un incontournable pour quiconque veut parler d'OGM et de pesticides sans raconter n'importe quoi.


En caricaturant un peu, mais à peine, on peut dire que les efforts pour documenter cette question jusqu'à maintenant se sont en grande partie résumés à additionner la masse de tous les pesticides utilisés en agriculture et à comparer les totaux avant et après l'arrivée des OGM. C'est grosso modo ce que cette étude de 2012 a fait, c'est ce que ce reportage a fait, c'est le réflexe premier (et normal) qu'ont bien des gens : regarder les quantités totales de pesticides.

L'ennui, c'est que cela met trop de substances différentes sur un même pied pour être un exercice utile. Si, par exemple, on remplace un herbicide très toxique par un autre qui l'est moins, il est bien possible que l'on doive en épandre davantage ; et si l'on doit utiliser deux fois plus du nouveau produit, mais qu'il est cinq fois moins toxique, ce sera clairement un gain pour l'environnement et/ou la santé humaine. Or en ne mesurant que la masse dispersée dans les champs, on conclura (à tort) que la situation est pire qu'avant.



Alors pour éviter ce genre d'écueil, M. Kniss a restreint son analyse aux herbicides (sa spécialité) et il fait deux choses, essentiellement. La première, c'est qu'au lieu de compter les kg d'herbicides, il a compté le nombre de «traitements par surface» : si, par exemple, pour 1 hectare de champ de maïs on recommande généralement d'appliquer 1 kg de glyphosate, alors cela compte pour «1 traitement» ; si on applique 1 kg/ha de glyphosate dans un champ donné, mais qu'on y ajoute la moitié de la «dose» recommandée d'un autre herbicide, alors cela donne «1,5 traitement» ; et ainsi de suite.

Dans l'ensemble, M. Kniss a trouvé une tendance à la hausse dans le maïs, le soya et le coton - trois cultures où plus de 90 % des surfaces cultivées aux États-Unis sont génétiquement modifiées pour résister aux herbicides. Mais cette tendance est généralisée à toute l'agriculture, souligne-t-il, notamment parce que les fermiers ont en partie délaissé la pratique des labours. Labourer la terre a des avantages (les graines «prennent» mieux, par exemple), mais un champ labouré garde moins son eau, va donc s'éroder davantage et perdre des nutriments essentiels pour les plantes. Les agriculteurs mettent donc de plus en plus la pédale douce sur les labours, mais comme cette pratique avait aussi comme avantage de détruire mécaniquement beaucoup de mauvaises herbes, ils doivent donc compenser en utilisant plus d'herbicides.

Or dans les chiffres de M. Kniss, cette hausse est plus faible pour le maïs, le soya et le coton - en moyenne entre 0,01 et 0,05 «traitements» de plus chaque année entre 1990 et 2015 - que dans trois autres cultures où il n'y a aucun OGM sur le marché et qu'il prend comme point de comparaison : 0,06 à 0,09 traitements de plus chaque année pour le riz, blé d'hiver et blé de printemps.

De là, on peut donc conclure que les OGM ont bel et bien réduit les quantités d'herbicides dont on aurait eu besoin sans le secours du génie génétique, mais pas par des marges énormes, disons-le. Cela semble d'ailleurs être un thème récurrent dans ce dossier dernièrement...



Maintenant, quand on tient compte de la toxicité, quel portrait cela nous donne? Pour le savoir, le chercheur du Wyoming a utilisé deux indicateurs simples, mais brillants. D'abord, le nombre de doses mortelles (ou LD50, soit la dose suffisante pour tuer 50 % des rats à qui elle est administrée) d'herbicides épandues en moyenne par hectare. Comme la toxicité varie d'un herbicide à l'autre, la LD50 varie tout autant - entre 112 et 9000 milligrammes par kg de poids corporel, dans les produits homologués aux États-Unis -, mais le fait de tout ramener à une «dose» produisant un effet précis (tuer la moitié d'un groupe) permet de mesurer la toxicité beaucoup plus intelligemment qu'en comptant des kg. (Ou plutôt, une partie de la toxicité, j'y reviens à l'instant.)

Résultat : contrairement aux quantités totales d'herbicides utilisées, la toxicité aiguë n'a pas augmenté, bien au contraire. Dans les trois cultures où les OGM sont fortement présents, elle a même littéralement fondu entre 1990 et 2015, passant 7000 à 820 LD50/ha pour le maïs, de 2500 à 500 LD50/ha pour le soya et de 1500 à 800 pour le coton (encore qu'on note une hausse en fin de période dans ce dernier cas). Ce n'est pas seulement le résultat du génie génétique - le riz a suivi la même tendance -, il faut le préciser, mais disons qu'il est on ne peut plus clair que la conversion massive de ces cultures aux OGM n'a pas empêché une baisse massive de la toxicité aiguë des herbicides employés.

Maintenant, comme la LD50 est un indicateur de toxicité «aiguë» (forte dose sur une courte période), mais qu'il existe aussi une toxicité «chronique» (faible dose à long terme), M. Kniss a répété l'exercice en remplaçant la LD50 par la «dose sans effet observable» (NOEL, en anglais) - laquelle indique, grosso modo, jusqu'où on peut augmenter la dose avant que les animaux s'en ressentent à long terme. Le portrait change alors pour la peine : le maïs s'est maintenu à environ 1,5 millions de doses sans effet par hectare (NOEL/ha) entre 1990 et 2015, le soya a beaucoup reculé (de 0,4 à 0,1 million de NOEL/ha) mais le coton, lui, a augmenté (de 1 à 1,8 million de NOEL/ha). Bref, pas de tendance claire.

Mais il y a tout de même deux choses à faire ressortir ici. Comme le note M. Kniss sur son blogue, la plupart des gains en toxicité réalisés depuis 1990 n'ont pas grand-chose à voir avec les OGM. Ils ont plutôt découlé de décisions gouvernementales de retirer du marché des produits particulièrement toxiques. Par exemple, dans la culture du maïs, l'alachlore et le cyanazine représentaient 85 % de la toxicité aiguë des herbicides utilisés dans la culture du maïs en 1990, mais des restrictions en ont ensuite réduit l'utilisation jusqu'à presque rien.

Cela dit, cependant, les anti-OGM font souvent valoir que le «problème» avec les OGM est qu'ils ont mené à une explosion des quantités de glyphosate (un herbicide extrêmement efficace, mais pour lequel les OGM les plus utilisés dans le monde, dit «Round Up Ready», sont conçus pour résister) utilisés dans nos champs - la Fondation David-Suzuki faisait encore du millage là-dessus pas plus tard que la semaine dernière. Or l'étude de M. Kniss montre à quel point tout le tapage que certains groupes font sur le glyphosate peut être mal fondé, justement parce que c'est un herbicide relativement peu toxique.

C'est la toxicité chronique qui est le point de mesure important, ici, puisque les doses qui percolent jusque dans les rivières et les traces qui persistent dans certains aliments sont très, très loin des doses aiguës. Et en 2015, si le glyphosate représentait 26 % des herbicides épandus dans le maïs, 43 % dans le soya et 45 % dans le coton, il ne représentait que 0,1, 0,3 et 3,5 % de la toxicité chronique dans ces cultures.



Alors comme le dit M. Kniss sur son blogue : oui, il faut trouver des façons de moins dépendre des herbicides, et l'augmentation généralisée de leur utilisation est véritablement «inquiétante». Mais il semble que les OGM ont contribué à limiter cette hausse, tant en intensité qu'en toxicité, encore que pas par des marges spectaculaires.

Et à moins de 4 % de la toxicité chronique, est-ce qu'il n'est pas évident que tout le foin qu'on fait sur les OGM et le glyphosate relève d'abord de la lubie idéologique? Que sans dire que le glyphosate est l'équivalent de l'eau pure (c'est toxique, bien évidemment), il y a des problèmes bien pires que ça à régler et qu'il faudrait peut-être passer à autre chose?

*****

Pour participer à la discussion sur le blogue de Jean-François Cliche, rendez-vous à http://blogues.lapresse.ca/sciences