Marijuana: Québec cherche la voie à suivre

Le gouvernement Couillard est loin d'être prêt à indiquer l'encadrement législatif et réglementaire qui sera privilégié au Québec, même si la loi fédérale pourrait entrer en vigueur dès juillet 2018. 

Le Québec cherche toujours la voie à suivre, alors que le gouvernement fédéral s'apprête à déposer jeudi son projet de loi visant à légaliser l'usage de la marijuana à des fins récréatives.


Le gouvernement Couillard est loin d'être prêt à indiquer quel type d'encadrement législatif et réglementaire sera privilégié au Québec, même si la loi fédérale pourrait entrer en vigueur dès juillet 2018.

Cette échéance est très courte, selon le gouvernement Couillard, car tout reste à faire pour le comité interministériel qui a reçu le mandat de jeter les bases de la position québécoise. Le comité s'est réuni pour la première fois mercredi.

Le processus enclenché par Ottawa «est très rapide pour un sujet d'une telle complexité», a commenté le premier ministre Philippe Couillard, en Chambre.

Il a aussi déploré que le gouvernement fédéral ait choisi de ne pas consulter les provinces «en amont», avant de rédiger son projet de loi.

Bouchées doubles

Mis devant le fait accompli, le gouvernement devra donc prendre les bouchées doubles afin de fournir à temps les réponses requises et mettre en place les outils nécessaires, qu'il s'agisse par exemple du réseau de distribution à créer ou des ajustements à apporter pour prévenir et sanctionner la conduite automobile avec les facultés affaiblies.

Une des préoccupations du gouvernement sera de s'assurer que le Québec intervient de pair avec l'Ontario en cette matière, a indiqué le premier ministre Couillard.

En fin de journée, en marge de la réunion hebdomadaire du conseil des ministres, la ministre responsable, Lucie Charlebois, a annoncé qu'un comité interministériel Québec-Ontario serait créé, en ajout au comité interministériel québécois existant. Une rencontre est prévue «dans les plus brefs délais» avec les homologues ontariens, a dit Mme Charlebois.

«On va travailler, on ne va pas chômer», a-t-elle ajouté, qualifiant elle aussi l'échéance de juillet 2018 de «rapide».

«Une grande réflexion»

Du côté du Parti québécois, on réclame un processus de consultation. La légalisation prochaine de la marijuana exige la tenue d'une vaste consultation publique à travers le Québec, selon l'opposition péquiste.

Cette consultation du public et des experts devrait prendre la forme d'une commission parlementaire itinérante, un peu sur le modèle de celle tenue il y a quelques années relativement à l'aide médicale à mourir, selon le voeu exprimé mercredi par le chef de l'opposition officielle, Jean-François Lisée, qui s'est dit personnellement en faveur de la légalisation de cette substance controversée, tout comme le premier ministre Couillard.

«Il y a une grande réflexion» à faire sur cette question, avait commenté brièvement mercredi matin la ministre Charlebois, qui chapeaute le comité interministériel devant analyser la situation. Elle a dit que sa plus grande préoccupation allait à la santé, la prévention et la sécurité du public.

«Notre but n'est pas de banaliser [l'usage du cannabis], mais d'encadrer» sa consommation, a commenté M. Couillard, qui se garde bien de vouloir «donner des leçons de morale» aux jeunes.

Le premier ministre et la ministre Charlebois n'ont pas voulu se prononcer sur le type de consultation publique qui devrait accompagner le processus législatif à venir autour de cette question.

De son côté, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, s'est montré très critique de la position fédérale dans ce dossier et des conséquences de la légalisation du cannabis.

«Comme parent, comme ancien ministre de l'Éducation, j'ai vu tellement de jeunes être brûlés par le pot, des consommations qui se transforment en maladies mentales, comme la schizophrénie. Actuellement, là, c'est un drame, la drogue dans nos écoles, même nos écoles secondaires», a-t-il commenté en point de presse, en disant craindre que la drogue soit désormais banalisée.

«C'est un problème grave de notre société. Je ne voudrais pas que ce soit encore pire», a-t-il dit.

Les psychiatres suggèrent de fixer l'âge légal à 21 ans

À son tour, l'Association des psychiatres du Canada (APC) recommande au gouvernement Trudeau de fixer à 21 ans l'âge légal minimal pour la consommation de cannabis, plutôt que 18 ans, comme c'est le cas pour l'alcool.

Dans une déclaration de principes émise mercredi, l'Association recommande également que des restrictions soient établies sur les quantités et la teneur en THC permises jusqu'à l'âge de 25 ans.

Le THC, ou tétrahydrocannabinol, est l'ingrédient qui provoque les effets recherchés par les consommateurs de cannabis.

Cette position de l'Association des psychiatres rejoint en tous points celle défendue par l'Association médicale canadienne dans son mémoire présenté en août 2016.

L'Association des psychiatres estime que de telles limites sont essentielles pour protéger le bien-être mental des jeunes adultes dans la législation à venir.

S'appuyant sur la recherche scientifique, elle fait valoir que la consommation précoce et régulière de cannabis est susceptible d'avoir une incidence sur «la mémoire, l'attention, l'intelligence et la capacité de traiter des pensées et des expériences (...) et accroître le risque de développer un trouble psychotique primaire ainsi que d'autres problèmes de santé mentale, comme la dépression chez les personnes déjà vulnérables à ces maladies.»

Les limites d'âge - de 21 ans pour la consommation et de 25 ans pour les quantités et le dosage - sont basées sur le fait que le cerveau humain continue de se développer jusqu'à l'âge de 25 ans environ.

Selon le docteur Phil Tibbo, membre du comité de recherche de l'APC, chef du programme de détection précoce de la psychose de la Nouvelle-Écosse et auteur principal de la déclaration de principes, «le cannabis à forte teneur en tétrahydrocannabinol peut entraîner une détérioration cognitive importante ou des problèmes de santé mentale graves, y compris l'aggravation du trouble panique et d'autres troubles anxieux».

L'Association des psychiatres fait valoir que le cannabis sera légalisé au plus tard dans 15 mois et qu'il est essentiel d'être préparé à son impact potentiel sur la santé mentale des jeunes.

Sa déclaration est appuyée par l'Académie canadienne de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, l'Académie canadienne de psychiatrie gériatrique, l'Académie canadienne de psychiatrie et l'Académie canadienne de médecine psychosomatique.

Les ados risquent des problèmes de santé mentale, prévient un expert

Un psychiatre consulté par le gouvernement Couillard l'a mis en garde contre les possibles dérives associées à la légalisation du cannabis.

Les adolescents seraient particulièrement vulnérables, a affirmé le docteur Didier Jutras-Aswad, en entrevue avec La Presse canadienne, mercredi.

M. Jutras-Aswad est médecin psychiatre, chercheur et directeur de l'Unité de psychiatrie des toxicomanies du Centre hospitalier de l'Université de Montréal.

Il est également professeur au département de psychiatrie de l'Université de Montréal.

Schizophrénie

Selon lui, les adolescents qui consomment du cannabis régulièrement sont deux à trois fois plus à risque de développer des problèmes de santé mentale, notamment la schizophrénie. Le cannabis, qui altère le développement normal du cerveau des jeunes, serait aussi un déclencheur de maladies psychotiques latentes.

«Il y a un consensus chez les scientifiques et les experts quant à cette association-là», a dit M. Jutras-Aswad.

«L'autre grand champ, je dirais, c'est toute la question de l'effet du cannabis sur les fonctions cognitives, par exemple, l'attention, la mémoire, l'impulsivité, où on sait que le cannabis a cette propriété d'altérer, de diminuer les fonctions cognitives, d'avoir un impact négatif sur plusieurs fonctions du cerveau.»

La marijuana plus forte qu'avant

Le docteur Jutras-Aswad a affirmé que la marijuana est de 300 à 400 pour cent plus forte qu'elle l'était il y a 30 ans.

Une personne sur dix qui consomme du cannabis va développer une dépendance à la substance ou un trouble lié à son usage, a-t-il dit, en ajoutant que les jeunes Canadiens sont parmi ceux qui consomment le plus de pot au monde.

De plus, ces personnes ont plus de risques de consommer d'autres drogues illicites, comme la cocaïne, l'héroïne ou les amphétamines, a-t-il indiqué.

Sans vouloir «démoniser» la marijuana, M. Jutras-Aswad a ajouté que son usage menait à l'initiation et au maintien du tabagisme.

Le Québec devra travailler pour prévenir l'usage problématique du cannabis, a dit celui qui en a vu de toutes sortes à l'Unité de psychiatrie des toxicomanies du CHUM.

«Il faut connaître les risques réels, mais en même temps, je pense qu'il ne faut pas les exagérer», a-t-il dit. «Si on dit à tous les jeunes que le cannabis cause la schizophrénie, les jeunes vont nous répondre : «Ben, dans la cour d'école, j'ai plein d'amis qui prennent du cannabis pis c'est pas vrai que tout le monde a développé une schizophrénie.»»

«Il faut arriver à donner des informations qui sont justes, qui sont assez nuancées, mais en même temps qui sont compréhensibles et assez vulgarisées, et ça, je pense que ça va être le grand grand défi des gens qui sont responsables de la santé publique, notamment au Québec.»

D'après lui, le gouvernement Couillard devra se pencher uniquement sur les enjeux de santé publique, et non penser «à faire de l'argent».

Il recommande que le réseau de distribution de cannabis soit placé sous l'égide de l'État, mais non intégré aux succursales de la SAQ, car «on pourrait s'inquiéter de la consommation combinée des deux substances».