Projet Lab-école: peut-être pas si loin du but

Le pied carré coûte cher et les commissions scolaires ont coupé sur les espaces communs ces dernières années. Les architectes jouent d'astuce en «punchant» l'escalier central, nouveau point de rencontre. Ici, un concept de CCM2, à l'école Beau-Séjour

La firme de Québec CCM2, autrefois Côté Chabot Morel, a conçu plus d'une cinquantaine d'écoles. Si toutes ne sont pas des modèles, reconnaissent d'emblée ses architectes, la dernière en lice, Metis Beach, pourrait se rapprocher de l'école du futur.


Pour concevoir l'école primaire Harfang-des-Neiges, à Stoneham, la firme CCM2, en consortium avec Onico, s'est inspirée du site boisé. Le plus d'arbres possible ont été conservés et le concept architectural reprend la verticalité des troncs.

Cette petite institution anglophone de Métis-sur-Mer, qui sera rénovée et agrandie cet automne, reprend plusieurs éléments discutés ces derniers jours dans la foulée du projet Lab-école.

L'architecte Mathieu Morel, impliqué de près dans ce dossier, décrit une cour entre le bâtiment existant et l'agrandissement, une scène avec un toit couvert pour faire des classes à l'extérieur ou des spectacles, des bacs de bois avec plantations, une salle d'entraînement et une salle multifonctions pour la communauté.

Des idées qui recoupent la proposition portée par l'architecte Pierre Thibault, le chef Ricardo Larrivée et le promoteur sportif Pierre Lavoie de penser l'école québécoise «en dehors de la boîte», de la rendre plus agréable et stimulante. Proposition entendue par le ministère de l'Éducation, qui injecte un budget annuel de 1,5 M $ à cette vaste réflexion.

«Je trouve ça intéressant que les gens prennent le temps de s'y attarder. S'il faut des vedettes pour le faire, et que ça devienne un enjeu politique, on va peut-être pouvoir passer à travers la question pour vrai, sans que ce soit superficiel», lance Mathieu Morel, très interpellé.

Les sept écoles que CCM2 a signées au cours des cinq dernières années ne font pas rougir de honte, bien au contraire. Architecture invitante, bois, larges fenêtres, couleurs vitaminées, circulation fluide. Des exemples à suivre? En partie, mais Mathieu Morel croit pouvoir aller beaucoup plus loin.

À l'école Beau-Séjour de Québec, CCM2 a utilisé un espace libre sous l'escalier de secours pour créer une alcôve coussinée où les enfants peuvent lire.

Se donner les moyens de  créer

«Donnez-nous les moyens de doter le Québec des plus belles écoles et on va le faire. On les a, les idées. C'est juste qu'on n'a pas les programmes ni les budgets pour les mettre en place», poursuit l'architecte.

Avec ses associés et son équipe, ils tentent constamment de repousser les limites. Car les normes actuelles ne donnent pas de latitude. «Les commissions scolaires doivent respecter les budgets déposés au ministère de l'Éducation. Elles nous disent : "On a besoin de tant de classes, on a le droit à tant de pieds carrés". Il n'y a plus de liberté pour les espaces de socialisation, il n'y a plus de cafétéria, les élèves mangent dans les classes», se désole Mathieu Morel.

Les architectes jouent donc d'astuce pour créer des milieux d'échanges intéressants. Comme «puncher» l'escalier central. «C'est le seul espace qui n'est pas régi. On en profite, on ouvre un peu les planchers et on se dit que c'est là que les gens se croisent», souligne Mathieu Morel.

Il préfèrerait miser sur des salles multifonctions où luncher, se rassembler et qui pourraient servir de mini-centres communautaires en dehors des heures de classe. «L'école, son défaut, c'est qu'à partir de 15h30-16h, on la ferme.»

Dans le même esprit, il rêve de classes plus versatiles, de mobilier déplaçable. D'autant plus que les façons d'enseigner ont évolué. «Il faut s'asseoir avec les enseignants. Chacun a sa façon d'aménager sa classe.»

CCM2 s'efforce de mieux penser les gymnases, de les fenestrer. Pour chaque école conçue dernièrement, les architectes ont réduit l'empreinte du bâtiment au sol pour occuper le moins de terrain possible et maximiser les aires de jeux à l'extérieur. «Ce qui est triste, c'est que le réflexe est souvent de recouvrir de gravel ou d'asphalte à la grandeur. Je pense qu'il faudrait plutôt garder une portion de cour naturelle et végétalisée pour permettre aux enfants de lire sous un arbre, de courir dans un boisé», soulève Mathieu Morel.

Sa réflexion porte même sur les vestiaires, installés à même le corridor, à proximité des classes. L'avantage est que les élèves n'ont qu'à attraper leurs manteaux en sortant, tout en étant surveillés par l'enseignant. «Mais quand ils rentrent, ils salissent l'école au complet. Il y a peut-être moyen de garder les lieux plus propres, mais il faudrait changer les éléments programmatiques», soit les normes en place, poursuit l'architecte.

Construire des écoles exemplaires coûtera plus cher, convient Mathieu Morel. Mais comme l'architecte Pierre Thibault, il estime que la différence en vaut la peine, puisque toute la communauté en bénéficiera.

«Je pense qu'en augmentant les coûts de seulement 10 ou 15 %, on pourrait faire des miracles», plaide l'architecte et papa d'une fillette de six ans.

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L'exemple de Metis Beach

Perspective d'ensemble du projet. Le défi était de respecter le caractère historique du village et la nature environnante.
Le projet d'école Metis Beach, imaginé pas CCM2 en consortium avec Proulx Savard, comprend une salle multifonc­tions qui pourrait servir à la communauté.

Le projet d'agrandissement de l'école Metis Beach Intermediate, réalisé par la Commission scolaire Eastern Shores, pourrait... faire école! La firme de Québec CCM2 a eu beaucoup de latitude dans ce dossier. «La commission scolaire a été totalement ouverte aux idées plus poussées», souligne l'architecte Mathieu Morel.

Le projet comprend le transfert de quatre classes primaires dans l'agrandissement et la création de quatre nouvelles classes de niveau secondaire, d'un laboratoire de sciences et technologies, d'un gymnase double, d'une salle d'activités physiques, d'une salle multifonctions qui pourrait profiter à la communauté.

Tous les locaux sur le périmètre extérieur de l'école Boréal, à Boischatel, sont dotés de larges fenêtres. Un système de géothermie permet de chauffer en hiver et de rafraîchir en été. Une conception de CCM2 en consortium avec Onico.

«Tricotés serré»

Sur place, Mathieu Morel a jasé avec un professeur qui lui a expliqué l'importance de ces installations pour les gens de Métis-sur-Mer, «tricotés serré». Ce jour-là, il a vu l'enseignant sortir dehors pour donner son cours. Tout simplement.

En suivant les normes du ministère de l'Éducation, l'agrandissement occupait tout le terrain sur les esquisses. CCM2 est retournée à sa planche à dessins et a préféré intégrer le gymnase en demi-sous-sol pour laisser plus d'espace aux jeux extérieurs.

La firme prévoit remettre les plans et devis du projet Metis Beach en juin et la construction devrait commencer cet automne.

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Une route a été tracée au sol et des panneaux avec des animaux indiquent s'il faut ralentir, courir, ramper, reculer.

5 clés pour des écoles agréables

1 Optimiser l'entrée de lumière naturelle, même à l'intérieur, en aménageant des cloisons vitrées.

2 Optimiser les lieux de socialisation pour que les gens puissent se rencontrer.

3 Minimiser l'empreinte au sol des écoles pour maximiser les aires de jeux extérieures.

4 Intégrer les principes du développement durable. Par exemple, un système de géothermie peut chauffer l'air en hiver ou le rafraîchir quand le soleil plombe par les grandes fenêtres. Des classes bien tempérées aident à la concentration.

5 Dès que possible, mettre du bois. «Ça fait du bien à tout le monde.»

Source: CCM2

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S'inspirer d'ailleurs

Une image qui dit tout, un aménagement qui donne envie d'aller à l'école le matin.
Le pied carré coûte cher et les commissions scolaires ont coupé sur les espaces communs ces dernières années. Les architectes jouent d'astuce en «punchant» l'escalier central, nouveau point de rencontre. Ici, un concept de CCM2, à l'école Beau-Séjour

Pour penser l'école autrement, les instigateurs du projet Lab-école proposent d'aller voir les meilleurs exemples dans le monde. Des sites consacrés à l'architecture, comme ArchDaily.com, permettent aussi de s'inspirer, plans et analyses à l'appui.

Mathieu Morel, architecte chez CCM2, attire notre attention sur deux projets de garderies-écoles en Slovénie (goo.gl/SJPBTO et goo.gl/DScgTJ). Des aires ouvertes qui encouragent la philosophie «tout le monde partout». Des parois coulissantes qui modulent l'espace. Des escaliers aux marches colorées et numérotées, des formes géométriques et leur nom au plafond, des glissades entre les niveaux, des tableaux noirs pour dessiner, une route tracée sur le plancher et des panneaux avec des animaux pour indiquer s'il faut ralentir, courir, ramper, reculer.

«C'est génial! Ce sont souvent des petites choses simples et faciles à faire, comme des murs d'escalade à même la façade. Mais ça prend de l'ouverture», plaide Mathieu Morel.

Il cite aussi comme exemple les espaces scandinaves, épurés et apaisants. Alors que les classes au Québec sont souvent surchargées.

L'architecte reconnaît qu'«il n'y a rien comme se déplacer et échanger avec les gens» pour comprendre un projet à l'étranger. Mais il estime qu'avec Internet, Skype, Facetime, il est maintenant plus facile de suivre les innovations aux quatre coins du globe. «Ça nous motive, on est prêt à faire ça. Mais il y a une culture à développer autour avant de pouvoir l'appliquer ici.»

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Réfection par petits bouts

Le gouvernement québécois a annoncé plus d'un milliard de dollars pour rénover les écoles. Qui en ont grand besoin témoigne l'architecte Mathieu Morel. «Quand on visite, c'est décourageant. C'est dramatique de voir la situation dans le réseau d'écoles.» Sa firme CCM2 fait des réfections, mais les enveloppes budgétaires sont si restreintes qu'il faut s'en tenir au strict minimum, dit-il. «On refait les toilettes, on change les fenêtres. Une année, on rénove une portion de façade, une autre année, une autre portion. Ils sont obligés de diviser les travaux.»

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Éviter le modèle «Duplessis»

Même si sa firme cumule les projets d'école, l'architecte Mathieu Morel plaide pour un plus grand partage des contrats. «Il ne faut pas que ce soit toujours les mêmes. Je suis ouvert à la compétition et aux nouvelles idées. Il ne faudrait pas en venir à recréer le modèle de Duplessis. C'est une autre inquiétude qui plane.» L'architecte fait ici référence à ces établissements des années 1950, revêtus de brique, bâtis selon le même plan architectural sur deux ou trois niveaux. Mathieu Morel explique qu'à l'heure actuelle, certaines commissions scolaires font des appels d'offres pour reprendre des plans d'école existante. «Ça coûte moins cher en honoraires comme le concept est déjà fait.» Une école signée CCM2 a d'ailleurs été reproduite. À l'instar des idéateurs de Lab-école, il croit plutôt que chaque établissement a sa particularité, sa personnalité. «Et il faut que ça ressorte dans l'aménagement.»  Alexandra Perron