La grève de 1957 à Murdochville: l'éveil des ouvriers

Le 19 août 1957, une marche rassemble 500 grévistes et sympathisants à Murdochville.

Il y a 60 ans, le 10 mars 1957, 1000 travailleurs de la Gaspé Copper Mines de Murdochville entamaient leur grève. Sept mois et deux morts plus tard, ils y mettront fin sans avoir fait de gain. Toutefois, sans leur lutte, qui a mené à une meilleure protection des droits syndicaux, la Révolution tranquille aurait pu être une Révolution sanglante, estime l'historien Jean-Marie Thibeault.


En 1953, Murdochville est fondée pour exploiter son cuivre au coeur de la Gaspésie. La mine, le concentrateur et la fonderie drainent des travailleurs de toute la péninsule. En 1956, les Métallos demandent une accréditation syndicale, avec l'appui de plus de 80 % des travailleurs.

La Gaspé Copper Mines ne veut pas de ce syndicat. Sous Duplessis, en pleine guerre froide, les syndicalistes sont considérés comme des communistes et ont mauvaise presse. La reconnaissance syndicale sera donc le premier moteur des grévistes.

La compagnie fait traîner le dossier à coups de tracasseries juridiques. M. Thibeault va jusqu'à dire que Gaspé Copper Mines «cherche la confrontation». Dans les jours qui précèdent la grève, elle fait venir des camions remplis de nourriture, de poêles et de lits, «comme pour pouvoir soutenir un siège». Le 8 mars, elle met à pied le président du syndicat, Théo Gagné. 

Le 10 mars, les travailleurs entérinent le vote de grève pris en septembre. Le lendemain, la production stoppe. Les grévistes dressent une tente dans le stationnement de la fonderie. Ils feront jouer Le Rapide blanc d'Oscar Thiffault et ses «Awignahan» à répétition pour énerver les cadres qui campent dans les bureaux.

La grève est illégale, puisque le syndicat n'est pas reconnu. Le 12 avril, une injonction interdit le piquetage. Des femmes de grévistes prennent le relais. En juillet, des policiers interceptent six manifestantes. La seule qui n'a pas de bébé dans un landau se sauve avec sa pancarte. Un policier la rattrape. Elle passera une nuit en prison, accusée notamment «d'assaut sur un policier». L'épisode est raconté par le syndicaliste Roger Bédard dans son livre La grève de Gaspé Copper.

Un premier mort

La tension monte. Le 25 avril, 80 policiers provinciaux sont appelés en renfort des 25 déjà sur place. Le 12 juillet, un trio de grévistes dynamite le tuyau de la «tailing dam», qui transporte des rejets du concentrateur. L'un des artificiers amateurs, Hervé Bernatchez, meurt de ses blessures. 

M. Thibeault a des doutes sur l'un des dynamiteurs, Nestor Henley. «C'était un gréviste extrémiste. Il parlait toujours de poser des bombes [...]. Après le dynamitage, il a disparu. On l'a retrouvé dans les bureaux de la Noranda Mines [la société mère] à Toronto et il est devenu un témoin pour la compagnie. A-t-il changé de bord? Ou était-il un agent infiltré qui faisait exprès pour provoquer?»

Entretemps, la production a repris le 29 avril, avec des briseurs de grève. Parmi eux, des Hongrois qui ont fui leur pays envahi par l'URSS, et que la compagnie recrute à Toronto. «On leur demande : voulez-vous une job dans les mines? On les met dans un autobus scolaire, sur des routes de gravelle. À Sainte-Anne-des-Monts [100 km avant Murdochville], on leur dit : il y a des communistes qui font la grève. Si vous êtes des communistes, débarquez. Si vous êtes des démocrates, restez», rapporte M. Thibeault.

Le 19 août, environ 500 manifestants, dont Michel Chartrand, Pierre-Elliot Trudeau et René Lévesque, marchent à Murdochville. Une pluie de roches s'abat sur eux, du haut d'un talus, où se tiennent des briseurs de grève et des «agents de sécurité» embauchés par la compagnie. 

Saccage

Après le départ des marcheurs, ces «agents» saccagent une trentaine de voitures et le bureau du syndicat. Des grévistes sont poursuivis, dont Edgar Fortin, qui se réfugie dans sa maison, criblée de roches par les agents. «Il a sorti son fusil et leur a tiré aux pieds. Il est rentré chez lui et a fait une crise de coeur. Le médecin de la compagnie dit qu'il est mort de mort naturelle. Moi, je dis qu'il est mort de peur», affirme M. Thibeault.

Le 7 octobre, les 200 grévistes restants abandonnent la partie. «C'est une défaite totale au plan individuel, dit l'historien. Mais au plan collectif, la grève de Murdochville est l'éveil des ouvriers.»

Duplessis meurt deux ans après la fin de la grève. Paul Sauvé devient premier ministre. «Il s'empresse de passer le "Bill 8", surnommé loi Théo Gagné ou loi des Gaspésiens», rappelle M. Thibeault. Cette loi interdit de congédier des travailleurs à cause de leur militantisme syndical. Elle réforme la Commission des relations ouvrières, qui devient indépendante du gouvernement. 

«L'exemple de Murdochville a fait dire au gouvernement et aux compagnies : les travailleurs sont des êtres humains», dit M. Thibeault. Il n'ose pas imaginer à quoi auraient pu ressembler les années 60 et 70, «les pires années de confrontation ouvrière, si on avait continué à faire ce qu'on a fait aux travailleurs de Murdochville».

Le long travail de conviction d'Aurélien Hautcoeur

Aurélien Hautcoeur, 79 ans, de Pabos, a travaillé pour Gaspé Copper Mines de 1954 à 1975.

Après la grève de 1957, Aurélien Hautcoeur retrousse ses manches pour convaincre les anciens briseurs de grève de se joindre au syndicat des Métallos. Un travail de longue haleine, qu'il mènera sous une couverture de colporteur, et qui a mené à l'accréditation du syndicat en 1965.

M. Hautcoeur avait 17 ans lors de son embauche par la Gaspé Copper Mines. «Quand je suis rentré là, on nous obligeait à parler anglais, parce que tout était en anglais». Unilingue francophone, le jeune homme avait préparé quelques mots pour le cadre anglophone qui l'interrogeait. «J'avais juste en tête de tricher sur mon âge. Quand il m'a demandé "What's your name?" [Comment tu t'appelles?] J'ai répondu "Eighteen!" [Dix-huit!]» 

M. Hautcoeur, 79 ans, pratiquera plusieurs métiers à Murdochville : manoeuvre, conducteur de machinerie, foreur, instructeur. Au début, la sécurité était mauvaise : «J'ai vu quatre morts dans la même semaine», dit-il.

Un jour, au volant d'un camion de la compagnie, «j'ai manqué de breaks. Je me suis arrêté sur un pilier», dit M. Hautcoeur. Il va le dire à un contremaître, qui lui répond : «Si tu veux pas le chauffer, tu viendras chercher ton temps [ta dernière paye]». «J'ai répondu que j'allais faire un rapport à la Commission des relations ouvrières.» Il sauve son emploi.

Après la grève de 1957, M. Hautcoeur reprend le travail à la mine et devient représentant à temps partiel pour Les Produits Rawleigh, qui vendaient des aliments et des médicaments de porte en porte. «Ça me permettait d'aller rencontrer les scabs. En même temps, je leur faisais signer des cartes. Je leur disais qu'il fallait qu'ils s'organisent, qu'il n'y avait pas assez de sécurité. Je ne les appelais pas des scabs. Je leur disais : c'est pas votre faute, vous ne saviez pas ce qui se passait là.»

En 1965, M. Hautcoeur avait fait signer 50 % des travailleurs plus dix. «J'ai fait venir Émile Boudreau [un représentant des Métallos]. On a fait le calcul, on avait assez pour déposer une demande d'accréditation. Dans l'après-midi, j'ai dit à la compagnie que je m'absentais pour des raisons personnelles et j'ai fait signer 14 cartes de plus. Si jamais il y avait des démissions, je les avais.»  Geneviève Gélinas (collaboration spéciale)

Chronologie

1909  Découverte d'importants indices de cuivre par les frères Miller dans l'arrière-pays gaspésien, dans le canton Holland 

1951-1952  Noranda Mines aménage de toutes pièces Murdochville, qui reçoit un statut de municipalité en 1953. Du minerai est extrait à partir de 1952. À l'automne 1952, plus de 90 % des employés de la Gaspé Copper Mines joignent le syndicat des Métallurgistes unis d'Amérique (les Métallos), affilié au Congrès canadien du travail (CCT). Une demande d'accréditation est envoyée à la Commission des relations ouvrières du Québec. La compagnie s'y oppose. 

1953  L'Union internationale des employés des mines, affiliée au Congrès des métiers et du travail du Canada (CMTC) tente de recruter les travailleurs de Murdochville. Gaspé Copper Mines favorise ce syndicat.

1954  La Commission des relations ouvrières accorde l'accréditation à l'Union internationale des employés des mines. Toutefois, le CCT et le CMTC fusionnent, pour former le Congrès du travail du Canada. Les travailleurs de Murdochville gardent allégeance à l'endroit des Métallos.

1955  La fonderie de cuivre débute son exploitation.

1956  Gaspé Copper Mines empêche par des voies juridiques l'émission du certificat de reconnaissance syndicale. Le syndicat demande néanmoins la négociation d'une première convention collective, mais la firme refuse. 

1957  Le 8 mars, la firme suspend le président du syndicat, Théo Gagné. Le 11 mars, les employés déclenchent la grève après un vote tenu la veille. Gaspé Copper Mines embauche 800 briseurs de grève dans le courant du printemps et de l'été. La grève prend fin le 7 octobre. Plusieurs des grévistes ne sont jamais repris par la compagnie.

1965  Les Métallos obtiennent leur certificat de reconnaissance syndicale à Murdochville.

1999  Minéraux Noranda ferme sa dernière mine à Murdochville, en octobre.

2002  La compagnie ferme sa fonderie de cuivre en avril.  Gilles Gagné (collaboration spéciale)

Source principale : Histoire de la Gaspésie, Boréal Express/Institut québécois de recherche sur la culture.