«J'ai trouvé ça terrible».
Roland trouvait le temps long, le silence et la prière, très peu pour lui. «J'étais un gars travaillant. Quand on avait des temps libres, c'est-à-dire pas très souvent, ils nous proposaient de les aider, je levais toujours la main. S'occuper des fleurs? Je disais oui. La plomberie? Je disais oui.»
Et un jour, «qui veut faire des chapelets»?
Roland a dit oui. Il s'est assis avec le frère du juvénat, avec une paire de pinces, et a appris à faire des chapelets. «J'ai fait le premier pour ma mère.»
Il a fait des chapelets dans tous ses temps libres pendant trois ans, a déposé ses pinces pour se concentrer sur son cours classique. Croyant, d'une famille religieuse, Roland a «porté l'habit de 16 à 24 ans», chez les frères maristes. Il s'est laissé porter «comme un bateau par le courant».
Il est devenu professeur, a enseigné au secondaire pendant 35 ans, avait un faible pour le français et la musique.
Il a pris sa retraite le 12 février 1991, «à quatre heures moins quart».
Un jour, pas très longtemps après sa retraite, il s'est posé une question à laquelle il pensait trouver rapidement une réponse. «Je me suis demandé combien il y avait de chapelets différents. J'ai demandé à plein de gens, à des prêtres, personne n'avait la réponse...»
Il s'est mis en tête de la trouver, en répertoriant les chapelets.
Et en les fabriquant.
Roland est un patenôtrier, «ça vient de Pater Noster», notre père. Il a ressorti sa paire de pinces, celle qu'il avait eue à 13 ans, il a commencé sa «collection». Il n'aime pas le mot collection, «c'est plutôt un inventaire, une partie de notre patrimoine.»
On parle beaucoup de patrimoine ces temps-ci avec l'affaire du crucifix de l'hôpital Saint-Sacrement, Roland est évidemment tombé en bas de sa chaise quand il a vu ça. «C'est niaiseux au boutte! Si ça continue, va falloir que j'enlève les croix au bout de mes chapelets!»
Roland a, à ce jour, trouvé 451 chapelets et rosaires «officiels», il les a numérotés, classés, a monté un dossier pour chacun d'eux. Roland fait tout ça à la mitaine. «Je n'ai pas d'ordinateur, je reçois l'information par les gens qui viennent ici. Ils vont voir sur Internet et ils me font des photocopies.»
Chaque chapelet a un numéro et, surtout, un nom. «Les gens viennent ici, ils cherchent un chapelet en particulier. Il y a un homme qui est venu me voir, il cherchait les sept Pater, les sept Ave de Sainte-Brigitte. Il l'avait cherché partout. Je l'ai ici, c'est le numéro 190, il y a deux versions.»
Il est allé le chercher.
Le sous-sol de sa maison est un véritable musée, un antre, plus de 6000 chapelets accrochés sur les murs. Sur sa table de travail, dans un désordre organisé, de minuscules perles, des agrafes, des petites broches. Sur une table, à côté, un casse-tête. «J'en fais chaque jour, pour garder ma dextérité.
Roland a 82 ans.
«Je suis toujours dans mes chapelets, je suis passionné par ça! C'est ma quatrième paire de pinces, j'ai usé les autres! J'aime la texture, le grain, la symbolique... la piété. Je descends à 5h le matin jusqu'à 21h le soir, sept jours sur sept». Il s'arrête pour les repas et, «vers 10h30, tous les jours, ma femme et moi on fait un tour d'auto. On fait ça depuis 53 ans. On a nos circuits, on s'arrête parfois au restaurant pour dîner.»
Ils discutent. «C'est le temps pour se dire les choses.»
Et Roland retourne à ses chapelets. Il reçoit souvent des «clients», des gens qui cherchent un chapelet, il en vend quelques-uns, en donne souvent. «Depuis que j'ai commencé en 1991, j'en ai fait autour de 21 000, 22 000... Dans ça, il y en a 10 058 que j'ai fait pour une mission au Pérou.»
Le jour où je suis passée, il prévoyait en faire «sept ou huit».
Il ramasse son matériel à droite et à gauche, chez des antiquaires, dans les boîtes de bric-à-brac que les «piqueurs» lui apportent. «Je fouille dedans, je trouve des colliers, j'achète plein de choses qui peuvent me servir, des perles, des médailles, des reliques.»
Chaque fois qu'il découvre un chapelet, il en fabrique deux, identiques. Un pour lui, un pour le Centre d'interprétation du patrimoine religieux à Thetford Mines, où ils sont tous exposés.
Tous?
Il en manque un, le chapelet de l'enfant à naître. Roland me l'a montré, il l'a fait venir d'Ohio. «Regardez-le de près... qu'est-ce que vous remarquez?» Ça saute aux yeux. Les grains du chapelet sont des bulles de plastique transparent, avec un foetus dedans. Le musée a préféré ne pas exposer celui-là.
Un scandale est si vite arrivé.