Morphine et fentanyl: lueur d'espoir pour combattre la dépendance

Le chercheur Yves De Koninck indique que la découverte de son équipe pourrait aider les gens à se sortir plus vite de leur dépendance en annulant les symptômes du sevrage, mais sans affecter l'effet analgésique de la morphine ou de ses dérivés.

Lueur d'espoir pour les personnes dépendantes à la morphine et à ses dérivés, qui incluent le tristement célèbre Fentanyl, à l'origine de centaines de décès par surdose au pays. Une équipe de chercheurs a non seulement découvert le mécanisme à l'origine du syndrome de sevrage, mais a aussi testé avec succès sur des souris deux médicaments existants qui permettraient d'atténuer ce syndrome.


La morphine et ses dérivés sont des médicaments éprouvés pour traiter des douleurs graves et chroniques, rappelle en entrevue un des chercheurs, Yves De Koninck, de l'Institut universitaire de santé mentale de Québec (IUSMQ). 

Mais ces opiacés ont trois effets indésirables : ils induisent une tolérance, de sorte qu'il faut continuellement augmenter la dose pour obtenir le même effet, ils provoquent paradoxalement une hypersensibilité à la douleur et, enfin, ils sont associés à de pénibles symptômes de sevrage (anxiété, maux de tête, grelottements, bouffées de chaleur, spasmes et douleurs musculaires, vomissements, insomnie, hypertension, tachycardie, etc.) 

«Cette réaction générale du corps fait qu'il est très difficile pour les gens qui prennent de la morphine pendant une longue période d'en cesser l'usage», résume M. De Koninck.

«On avait déjà découvert que les symptômes de sevrage étaient liés à une réponse du corps distincte de l'analgésie en soi. [...] Là, on a identifié une molécule responsable d'une réponse exagérée dans le système nerveux. À force de prendre de la morphine, on stimule la production de cette protéine qui cause une activité anormale dans le système nerveux», explique le chercheur, qui enseigne à la Faculté de médecine de l'Université Laval.

L'équipe de M. De Koninck a alors vérifié si des médicaments existants agissaient sur cette protéine. Elle en a trouvé deux : le probénécide, utilisé pour traiter la goutte, et la méfloquine, qui sert à prévenir la malaria. Une chance inouïe, se réjouit le professeur.

«Souvent, quand on découvre un mécanisme, il faut développer de nouvelles molécules qui vont servir de médicaments, et ça, c'est un très long processus qui peut durer entre 5 et 10 ans. En ayant déjà des médicaments prescrits chez l'humain, on sauve plusieurs années de recherche. Les chercheurs pourront faire les premiers tests cliniques tout de suite pour voir s'ils sont efficaces pour prévenir le syndrome du sevrage à la morphine», explique Yves De Koninck, précisant que les résultats des tests précliniques (sur les souris) sont encourageants. «C'est très, très prometteur. On pourrait avoir quelque chose d'ici cinq ans», évalue le chercheur.

Normalement, les patients ou les toxicomanes prennent de la méthadone pour sevrer leur dépendance à la morphine ou à ses dérivés, rappelle-t-il. «Le processus de sevrage à la méthadone, qui est elle-même un dérivé de la morphine, se fait très lentement. Et c'est compliqué, les gens doivent être très encadrés. Les médicaments qu'on a trouvés pourraient aider les gens à se sortir plus vite de leur dépendance. Ils annuleraient les symptômes du sevrage, mais ils n'affecteraient pas du tout l'effet analgésique [et euphorisant] de la morphine», expose M. De Koninck. 

Accompagnement psychologique

Évidemment, ces médicaments ne seraient pas une panacée pour les toxicomanes qui prennent des opiacés pour leur effet euphorisant. Comme le souligne la psychologue Lucie Richer, de la direction des programmes Santé mentale et Dépendances du CIUSSS de la Capitale-Nationale, l'attachement des toxicomanes à la substance qui cause leur perte est souvent lié à un rituel d'apaisement de leur mal-être. «Le sevrage psychologique, c'est souvent ce qu'il y a de plus difficile pour nos usagers», rappelle-t-elle. 

«C'est sûr que pour ces gens-là, il faut un accompagnement psychologique pour les amener à accepter de se débarrasser de leur dépendance. Mais les médicaments [comme le probénécide et la méfloquine] leur enlèveraient une énorme barrière, qui est celle du sevrage. Ça faciliterait beaucoup les choses», croit Yves De Koninck.