Marc Boutin au Lieu: redessiner la ville

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Depuis plus de 40 ans, Marc Boutin dessine la ville de Québec sous tous les angles pour mettre en images tangibles les idées d'aménagement urbain des citoyens. L'exposition La ville affrontée nous permet de plonger, en quelques plans, dessins et articles publiés dans Droit de parole, dont il est un des cofondateurs, au coeur des luttes urbaines qui ont secoué et façonné la capitale.


On entend souvent que les comités de citoyens bloquent les projets. Que quelques entêtés empêchent le développement. Marc Boutin, qui s'implique dans divers comités de citoyens depuis les années 70, prône pourtant un militantisme où l'inventivité est reine et où la discussion génère des solutions concrètes.

Plutôt que des blocs de condos massifs et des hôtels de verre, le géographe et architecte de formation dessine des passerelles au-dessus des grands boulevards pour que les enfants puissent rejoindre le parc. Il cartographie des milieux de vie denses, urbains, mais où la verdure, le ciel et les commerces de proximité ont toujours leur place.



«Il considère l'orientation du soleil, le fait que c'est un quartier central et touristique, il y a un accès à une terrasse pour que tout le monde ait accès au paysage, il y a toujours des espaces de parcs ou de jardins, pour ne pas que les gens soient étouffés», relève la commissaire Hélène Matte devant un dessin de qui pourrait devenir la plaie ouverte qui accueillait autrefois l'église et le Patro Saint-Vincent de Paul, dans la côte d'Abraham.

Le quartier chinois, l'école Saint-Roch, l'îlot Berthelot, le mail Saint-Roch, la cour de l'école Saint-Jean-Baptiste, l'îlot Irving, l'îlot Esso, le Centre Durocher et l'église Saint-Vincent de Paul ont tous été, au fil des ans, des points névralgiques de la ville, des zones d'affrontements entre la vision des promoteurs, les désirs des autorités municipales et ceux des citoyens. 

«Ces projets alternatifs sont rarement sortis vainqueurs, note Hélène Matte. Pourtant, ils n'ont pas été vains. Le fait de lutter, c'est déjà ne pas être vaincu par le désenchantement.» Le géographe est encore d'un optimisme indéfectible. S'il a vu le quartier chinois être avalé maison par maison, il se réjouit qu'à la toute fin, la construction de l'autoroute n'ait pas eu raison de l'îlot Fleurie. L'îlot Berthelot, derrière la coopérative d'habitation de l'Escalier, a été préservé et les enfants du quartier Saint-Jean-Baptiste continuent d'y jouer. «Une maquette que Marc avait faite à l'époque a influencé le maire L'Allier pour le parc Saint-Roch», note également la commissaire.

L'art dans tout ça



Sur les murs de l'espace d'exposition du Lieu sont disposés des dessins originaux et des reproductions grand format. Le dessin le plus ancien montre les façades bien reconnaissables des maisons de la rue Richelieu. On trouve le dessin finement exécuté d'une vue aérienne des terres des Soeurs de la Charité, que certains rêvent de voir transformées en projet d'agriculture écologique et communautaire plutôt qu'en développement résidentiel de banlieue.

On comprend bien que la proposition artistique de Marc Boutin est un projet de vie, ce qui ne nous empêche pas de relever le souci du détail, l'intelligence de la prise de vue, le sens du contraste et la vie qui anime ses dessins.

Il y a une certaine beauté, doublée d'un peu de tristesse, de voir une petite maison de la Grande Allée littéralement encerclée par des tours de condos. La survivante semble défier l'envahisseur qui lui fait de l'ombre.

Sur les plans, le labyrinthe organisé des rues a quelque chose d'organique. Une série colorée au pastel sec nous entraîne dans Charlevoix ou à Saint-Tite-des-Caps, dans ce que Boutin appelle «la lointaine banlieue», comme si la ville était un coeur battant qui étend ses racines très loin sur le territoire.

Il y a des textes, aussi, puisque de son propre aveu, Boutin écrit plus qu'il ne dessine. On peut le lire dans Droit de parole depuis 1974. «On est sur notre lit de mort, on n'a plus d'argent. Mais on va continuer à vivre, on va devenir clandestin! lance Marc Boutin avec un large sourire. Ça fait 40 ans qu'on est au bord du précipice et on a toujours trouvé les moyens de continuer.»

Le géographe citoyen est loin d'avoir terminé sa lutte, voyant déjà devant lui les dossiers du déménagement du Marché du Vieux-Port, les transformations du bassin Louise et l'aménagement de l'îlot Saint-Vincent-de-Paul se transformer en dessins d'architecte.



La ville affrontée est présentée jusqu'au 5 février au 345, rue du Pont, à Québec.

Carol-Ann Belzil-Normand: se plier au cadre, déborder de l'écran

Arrêt sur image de la vidéo <i>Architecture sensible</i>

Trois vidéos d'animation et des dizaines de petits objets de céramique composent l'univers vibrant et flexible d'À peu près prêt(e), une exposition signée Carol-Ann Belzil-Normand qui explore les lignes primitives, la grille, les objets organiques, le cadre et le corps féminin.

Vidéo d'animation et céramique? Le mix semble inusité, mais n'est pourtant pas sans précédent. L'artiste cite le travail de l'Américaine Lilli Carré, qui mélange dessin, films et sculptures. Belzil-Normand explore quant à elle le textile, la broderie et l'imprimé lorsque son travail déborde de l'écran. 

Les vidéos constituent une trilogie, mais peuvent aussi être vues comme des oeuvres autonomes. «Le premier [Refoulement] est un retour spontané et intuitif à la ligne», note l'artiste, qui voulait se déconditionner de sa formation en cinéma d'animation. Voilà donc sous nos yeux des lignes qui se tordent et se transforment de plan en plan, comme une danse primitive. Chaque page du livre qui accompagne la vidéo comporte trois images qui déconstruisent les métamorphoses, comme des haïkus visuels.

Dans la seconde vidéo, La grille, elle joue avec l'inévitable quadrillé qui conditionne la mise en page et la mise en espace, le faisant apparaître et disparaître pendant que des éléments organiques - plante, pizza, bras, pied - entrent en scène en produisant des effets comiques et absurdes. C'est à cette étape qu'elle s'est justement mise à façonner des parties du corps et des odalisques en céramique, qui seront le point de départ d'un prochain projet.

Elle délaisse les effets stroboscopiques (un rappel des films de Pierre Hébert, qu'elle affectionne) pour sa dernière vidéo, Architecture sensible, la plus courte mais la plus achevée de la proposition. On y suit les contorsions d'une femme aux seins très longs, aux membres longilignes et flexibles, au visage imperturbable et aux cheveux comme une toison. «Ma première intention était de créer un corps féminin qui s'adaptait à l'espace architectural. C'est finalement l'espace de l'écran qui a conditionné sa métamorphose», explique l'artiste, qui cite les animations du studio Rubber House.

Pièces de céramique de l'exposition <i>À peu près prêt(e)</i> de Carol-Ann Belzil-Normand

La jeune artiste n'a pas fini d'explorer les possibilités de son médium et de ses débordements. Elle vient de déposer un mémoire sur la frivolité, qui est pour elle une manière de construire ou d'agir en délaissant les codes établis, pour créer un rapport plus intime au film. 



Jusqu'au 5 février au 620, côte d'Abraham, à Québec. 

Nathalie Bujold: broderie vidéo et instruments à cordes

Une image de la vidéo<i> Études vidéographiques pour instruments à cordes</i> de Nathalie Bujold montrant Stéphanie Bozzini du Quatuor Bozzini.

Jamais la Grande galerie de l'OEil de Poisson ne m'aura paru si longue et si magique. Pour la présentation d'Études vidéographiques pour instrument à cordes, l'espace d'exposition est devenu un grand espace de projection où trois écrans accueillent les broderies vidéo hypnotiques de Nathalie Bujold.

Celle qui a connu les premières années du centre d'artistes, avant que celui-ci ne s'installe dans la coopérative Méduse, développe son travail vidéo depuis 1999. «Comme je suis une artiste sans atelier [puisqu'elle préfère investir dans des équipements plutôt que dans un local], j'ai commencé avec la sculpture, mais j'ai transformé graduellement ma pratique jusqu'à faire de moins en moins de bruit et de moins de poussière», explique-t-elle. Textiles, art imprimé, photographie et vidéo sont arrivés comme des planches de salut.

«Et la vidéo me permettait d'avoir un métier», note Bujold, qui a fondé la maison de production L'esprit pratique et qui gagne sa vie comme monteuse et vidéaste. «Ça a amélioré ma dextérité. Ma pratique artistique et mon métier se sont nourris», constate-t-elle.

L'artiste, qui a grandi en Gaspésie, où elle a commencé une formation en piano qui l'a menée à Québec, voit un lien naturel entre la musique et la vidéo, où le rythme et l'assemblage des sons et des images créent des correspondances. Pour Études vidéographiques..., elle s'est également inspirée de l'encyclopédie des ouvrages de dames, où il y a beaucoup d'enchevêtrements - dentelles, tricots et autres constructions textiles.

Elle a fait jouer les musiciens du Quatuor Bozzini, qui se consacre à la musique contemporaine, puis s'est inspirée de leurs gestes et de la musicalité des airs entendus. Les bariolages du violoniste ont créé des courbes dans l'image, alors que les harmoniques interprétés par la violoncelliste ont incité Bujold à démultiplier l'image de la musicienne. «Je me considère pas comme une compositrice, mais comme une arrangeuse, une échantillonneuse», indique celle qui a aussi joué avec la bande sonore pour étirer les notes ou changer la vitesse des enchaînements.

Son oeuvre vidéo donne l'impression de voir la musique se déployer sous nos yeux dans un jacquard grandiose et mouvant, qui nous happe hors du monde.

Jusqu'au 12 février au 580, côte d'Abraham, à Québec.