Fourberies et tourments à la Puccini

Les deux interprètes de Gianni Schicchi et Suor Angelica, Gregory Dahl et Gianna Corbisiero 

L'Opéra de Québec ouvre sa saison avec deux courts opéras de Puccini, Suor Angelica et Gianni Schicchi, l'un lyrique et l'autre comique. On y suivra les tourments d'une princesse déshonorée, recluse dans un couvent, et les fourberies d'un paysan qui accepte de se substituer à un mourant pour tenter de changer son testament.


Il s'agit des deux dernières parties d'un triptyque dont l'épisode tragique, Il tabarro, a été mis de côté. La première a eu lieu en décembre 1918, peu de temps après la fin de la Première Guerre mondiale, au Metropolitain Opera de New York. Puccini y avait triomphé huit ans plus tôt avec La fille du Far West, un western spaghetti qui récolta pas moins de 55 rappels.

Les interprètes des deux rôles-titres, Gianna Corbisiero et Gregory Dahl, nous donnent un avant-goût de ce doublé Puccini, qui nécessitera 27 solistes.



Gregory Dahl, un sauveur à la Pulp Fiction

Lorsqu'on lit que le rusé Gianni Schicchi est sollicité par la famille d'un mourant, outrée que celui-ci veuille léguer tous ses biens au clergé, on imagine sans peine un Scapin ou un Arlequin qui arrive à la rescousse. Gregory Dahl compare plutôt son personnage à Winston Wolfe du film Pulp Fiction, un criminel chargé de régler les situations désespérées.

«Je suis drôle dans la vie [on confirme], mais physiquement, je peux avoir l'air inquiétant. Mon Gianni n'est pas un tendre. Il est comme le type sérieux qui arrive après que les deux gars aient accidentellement tiré sur quelqu'un. Il y a du danger là-dedans, et c'est là que la comédie apparaît», explique le baryton, qu'on a vu dans des rôles plus graves, comme Macbeth à l'Opéra de Québec, et Sebastian dans The Tempest de Thomas Adès pour le Festival d'opéra de Québec.

Quelques vers de L'enfer de Dante ont inspiré le jeune auteur de Gianni Schicchi, un nommé Forzano. L'histoire est celle d'un paysan rusé qui profitera du désespoir de la famille d'héritiers d'avides pour s'octroyer l'héritage du riche mourant. «Les gens haïssent la famille, même si Gianni les roule dans la farine. Mais au final, il leur donne des terres. Je suis allé voir sur Internet à quel endroit c'était, et ce sont de belles terres, très grandes, ils sont corrects», indique Dahl, qui jouera le rôle pour la seconde fois.



«Ça date de 2008. On change, le rôle grandit, c'est la partie intéressante de ce travail, car au départ on est en compétition avec 20 autres barytons, puis 10, puis 5, puis on traverse l'océan. Mais on ne peut pas arrêter de travailler, j'ai toujours un coach, j'apprends toujours la musique et je sais tout le travail que ça demande», note-t-il.

Celui-ci devra modifier sa voix pour montrer qu'il imite le vieillard. «Si on ne le fait pas comme il faut, on peut vraiment se briser la voix. Pendant que je lui montrais des techniques de chant, mon fils est arrivé avec une voix que j'utilise maintenant tout le temps, parce que ça fait rire tout le monde, peu importe ce qu'on dit», raconte-t-il.

Tout le comique de cette histoire de dupeurs dupés ne repose pas que sur Gianni Schicchi. «Tous les personnages sont importants pour que le jeu fonctionne. Il y a des moments où Michael [Cavanagh] a ajouté des mouvements de groupe qui accentuent beaucoup l'effet comique. Il est fantastique. Il comprend vraiment tous les rouages de l'histoire», souligne le baryton.

Gianna Corbisiero: mystère cinématographique

Il y a quelques années, la soprano Gianna Corbisiero a joué le rôle de la diva Florence da Costa dans le film Elephant Song de Charles Binamé. «Il a pris une pièce de théâtre et l'a interprétée dans son film, en jouant avec les images, sans dire les choses. Je retrouve un peu de ça dans cette mise en scène de Suor Angelica», indique-t-elle.

Cloîtrée loin des regards dans un couvent depuis qu'elle a mis au monde un enfant illégitime, la jeune femme interprétée par Gianna Corbisiero se désole et souffre. «Elle veut savoir ce qui est arrivé à l'enfant, mais personne de sa famille ne lui parle depuis sept ans», raconte la soprano. Même si sa tante, la princesse, qui sera interprétée par Sonia Racine, vient lui annoncer le décès de l'enfant, la mise en scène devrait contribuer à semer le doute dans l'esprit des spectateurs. Surtout que la tante souhaite que Suor Angelica transfère sa fortune à une de ses soeurs, prête à se marier... «Puisque ce n'est pas écrit, on peut interpréter. Mais on veut garder ça ambigu, c'est le public qui va décider d'y croire ou non.»



La belle ténébreuse sera entourée d'un choeur de femmes et de plusieurs religieuses, alors que la musique de Puccini est enveloppée d'une ambiance feutrée et d'un parfum de prière.

«C'est un des plus beaux airs jamais écrits par Puccini. Ça ressemble un peu à Madama Butterfly, les harmonies sont très riches. Vocalement, il y a beaucoup de drame et de lyrisme, décrit Mme Corbisiero. Même si c'est juste une heure, c'est compact. C'est une épreuve d'athlétisme vocal et dramatique.» Plus l'heure avance et plus le drame devient houleux, alors qu'il est question de mort, de poison et d'apparition divine. 

La soprano compare l'épopée, où elle n'a qu'une seule occasion de prendre une gorgée d'eau, au deuxième acte de Tosca, qu'elle a interprété en 2015 à l'Opéra de Québec. «Je ne dois pas être trop dramatique trop vite, il faut laisser le temps aux émotions d'émerger, sans les jouer. Il faut que ça m'habite pour aller chercher un effet moins mélodramatique et plus cinématographique», indique-t-elle.

Vous voulez y aller?

Quoi: Suor Angelica et Gianni Schicchi de Puccini

Qui: Opéra de Québec

Quand: 22 octobre à 19h et 25, 27 et 29 octobre à 20h

: Grand Théâtre de Québec



Billets: 52 $ à 145 $ pour les billets réguliers

Info: 418 643-8131 et operadequebec.com