«Ça change la dynamique. Les élèves se sentent plus chez eux. Ils sentent que la classe leur appartient», commente l'enseignante. Le but de sa transformation n'est toutefois pas qu'esthétique, il est plutôt pratique. «Être assis toute la journée, c'est long. Les jeunes ont besoin de bouger et même avec le cours de gym et les récréations, c'est pas assez.»
Dans son école située à Cap-Santé, les travaux en petits groupes sont de plus en plus privilégiés. «Les élèves ne voulaient jamais travailler à leurs bureaux, de toute façon. Ils finissaient par travailler par terre, dans le corridor ou ailleurs», explique celle qui était aussi «tannée» de dire aux jeunes de ne pas se coucher sur leur pupitre ou d'y mettre leurs pieds.
Avec quelques cas de trouble de l'attention avec hyperactivité (TDAH) dans sa classe, l'idée de changer le mobilier a mijoté au cours de l'été. Marie-Ève Gagné a pris son inspiration de profs américains, sur les médias sociaux Pinterest et Instagram. La tendance du «flexible seating» commence à être bien implantée aux États-Unis. Comme elle ne voulait pas dépenser une fortune pour son projet, elle a obtenu un divan et un meuble de rangement de sa directrice. L'école avait déjà en sa possession une table ajustable, où les jeunes peuvent se tenir debout. «J'ai réussi à voler quelques petites choses de la maison, à soudoyer mon chum pour qu'il fabrique la table basse», lance-t-elle en riant. De son côté, elle a passé une partie de l'été à coudre des coussins et sa mère lui a donné des paniers pour que les enfants y rangent leur matériel scolaire.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/XXGZ4DJT6VHUXLIFI3MHTIORXQ.jpg)
«Les élèves, au début de l'année, ils ont fait un saut. Il y a eu un petit doute dans leur regard», raconte l'enseignante. «Avant, je me sentais bizarre et je pensais que ça allait mal aller, mais là, j'aime ça, parce qu'on peut se concentrer mieux si on travaille quelque part où on veut travailler», commente Florence Caron, l'une des élèves. Les pupitres n'ont pas été rangés très loin, mais l'enseignante n'a pas le goût de les ramener.
Elle a établi certaines règles pour que tout se déroule bien: aucun élève n'a le droit de monopoliser une place toute la semaine et l'enseignante se garde le droit de changer un élève de place s'il se comporte mal ou s'il n'arrive pas à terminer son travail.
L'aménagement de la classe incite davantage à la discussion, remarque la prof. Lors du passage du Soleil, les jeunes levaient fréquemment la main et se répondaient l'un l'autre. Un garçon qui trouvait son pouf trop loin l'a rapproché, un autre a enlevé ses souliers et une fille s'est couchée sur le tapis, sans que les autres soient dérangés.
Des «conditions gagnantes»
Marie-Ève Gagné n'a pas la prétention d'avoir trouvé «la recette miracle» qui règle tous les problèmes. Elle avait toutefois «les conditions gagnantes» pour aller de l'avant avec l'idée, étant donné qu'elle a un petit groupe (16 élèves) auquel elle a déjà enseigné en quatrième année. Ayant un local assez grand, elle s'est assurée d'avoir plus de places que d'enfants, afin que celui qui veut changer de position trouve une place libre facilement.
Mère d'un garçon dans la classe de Mme Gagné, Rachel Léger est restée «bouche bée» lorsqu'elle a appris, en début d'année, qu'il n'avait pas de pupitre à lui. Mais déjà, elle constate des effets positifs sur celui qui souffre de déficit d'attention et d'une forme de dyslexie. «Il aime pas ça, lever la main pour poser des questions, mais on dirait que, cette année, il est moins impressionné par son environnement. Il interagit davantage dans la classe et avec ses collègues», raconte Mme Léger.
Une bonne idée, mais non aux classes 100% ballons
Noémi Cantin, professeure d'ergothérapie à l'Université du Québec à Trois-Rivières, aime bien l'idée de donner un choix de position aux enfants dans une classe.
«Les jeunes, tout comme les adultes, devraient se lever toutes les 20 minutes au cours de la journée», dit-elle. «À la base, la grande majorité des enfants sont mal assis aux pupitres des écoles du Québec», se désole l'ergothérapeute.
Ce qu'elle voit le plus souvent, ce sont des pupitres trop hauts, où les pieds des enfants ne touchent pas le sol et où les coudes ne peuvent se déposer correctement. Les chaises sont également trop grandes et soutiennent le haut du dos, au lieu du bas. «C'est pas mauvais de sortir du carcan où tout le monde doit être assis tout le temps, mais on n'a pas besoin non plus de tout changer dans la classe», exprime-t-elle.
Par exemple, il est bon que les jeunes mettent leur matériel dans un panier rangé au fond du local, afin qu'ils puissent bouger chaque fois qu'ils changent d'activité ou de matière.
De petits ajustements aux pupitres, comme un support surélevé, permettent également de changer de position selon qu'on écrit ou qu'on lit. «Il faut faire attention aux différentes modes», avertit toutefois Mme Cantin.
Elle connaît des écoles qui ont décidé de remplacer toutes les chaises par des ballons de yoga. Une mauvaise idée, selon elle, car ces ballons sont souvent trop gros pour les enfants, qui finissent par s'asseoir «tout croche» et développer de mauvaises postures. «L'idée, c'est de faire bouger les élèves et de les faire changer de position souvent.»
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/54NG7PVIG5CF3CJF3JFQBDDAWY.jpg)
Et les vélos-pupitres?
L'inventeur des vélos-pupitres, Mario Leroux, trouve qu'offrir différentes positions aux jeunes dans une classe est «une excellente idée». «Rester assis une journée entière, c'est épouvantable. L'enseignante, elle, peut se promener entre les bureaux, mais l'élève est pris sur sa chaise. Ça n'a pas vraiment de sens», croit-il.
Celui qui est d'abord orthopédagogue a développé un vélo-pupitre qu'il a commencé à vendre dans les écoles il y a neuf mois. L'engin s'adresse avant tout aux jeunes qui ont un diagnostic de TDAH, mais profite aussi à ceux qui souffrent d'anxiété.
«Les jeunes ne restent pas sur le vélo-pupitre toute la journée. L'idéal, c'est d'en avoir un par classe et de faire des périodes de 15 à 20 minutes», indique M. Leroux.
Au début, les écoles en achetaient un pour l'essayer, mais aujourd'hui les commandes rentrent pas dizaines, du Québec d'abord, mais aussi du Nouveau-Brunswick, de l'Alberta, et même de la France et de la Belgique.
Bouger pour réussir, la petite entreprise de M. Leroux située à Blainville, commence à prendre de l'expansion. Le Grand Défi Pierre Lavoie est un bon client, étant donné que les commissions scolaires n'ont pas toutes le budget pour se procurer des vélos-pupitres, qui valent chacun 1650$. Silencieux, ces engins ne dérangeraient pas les autres élèves de la classe et permettraient aux enfants hyperactifs de mieux se concentrer.
En un mot
Flexible seating: Consacrée en anglais, cette expression n'a pas encore été vraiment traduite en français, selon les recherches du Soleil. Il s'agit d'offrir dans une classe un environnement où les élèves pourront s'asseoir de différentes façons ou même se tenir debout. L'orthopédagogue Mario Leroux parle de «classe multipositions».