Chronique|

Il a fallu l'amour

Gaëtan a converti son entrepôt de livres en atelier, et en galerie d'art. C'est là qu'il replonge dans les tableaux de Danielle, une femme qu'il a beaucoup aimée.

CHRONIQUE / Gaëtan Genest a un nom d'artiste, Genest de Brière, la particule le relie à une femme qu'il a aimée.


Beaucoup.

Et il la retrouve quand il peint, il peint les tableaux qu'elle a laissés derrière elle, il y a 12 ans, quand le cancer l'a emportée. «J'ai passé 20 ans à créer avec elle. J'ai ajouté son nom dans mon nom d'artiste pour que le tableau ne soit pas l'oeuvre d'un artiste mort, mais d'un artiste vivant.»



Je vous ai déjà parlé de Gaëtan, il y a trois ans, il donnait sa librairie, une minuscule librairie rue Maguire, avec 20 000 livres dedans.

Il en avait autant, peut-être même plus, dans l'entrepôt qui était aussi sa maison. Il a presque tout donné aussi les bouquins qu'il y accumulait depuis un quart de siècle. «Il y en avait partout.» Il en a gardé «quelques-uns», environ 5000, cordés dans d'imposantes bibliothèques au centre de la pièce.

Il vient de peindre le plancher, il ne le voyait plus depuis longtemps.

Il a toujours ce même amour pour les livres. Aussi pour les écrivains. «Comme lecteur, m'avait-il dit à l'époque, on reçoit leur écriture comme quelque chose de divin.» Deux de ses trois filles ont choisi cette voie. «C'est le domaine de l'art le plus difficile, parce qu'il n'est pas à la portée de tout le monde, contrairement à la musique et à la peinture. Il faut savoir lire pour entrer dans une oeuvre.»



Le langage des pinceaux est universel.

Je l'ai rencontré cette semaine, rue Bell, derrière Ex Machina. Il a converti l'entrepôt en atelier, et en galerie d'art, c'est là qu'il replonge dans les tableaux de Danielle. «Quand je suis devant un tableau, je ne suis pas avec elle, je vois seulement l'oeuvre d'art. Je reprends chacune des toiles, je fais des cadres, je change certains éléments, comme les fonds souvent, que je rends plus vivants.»

Comme ce grand tableau accroché près de la fenêtre, sur fond rouge vif, d'une mère qui étreint son enfant. «Il y avait une porte derrière, je l'ai enlevée. Entourer quelqu'un de ses bras, c'est ouvrir une porte, on n'a pas besoin d'en avoir une autre.»

Sur un autre tableau, il a refait quelques lignes.

«Quand je travaille dans un tableau, je suis dans la crainte de scraper un travail de tant d'années. J'ai peur de ne pas être en mesure de l'améliorer, d'éteindre, de faire disparaître un élément. Des fois, le geste ne correspond pas à l'intention où à l'impression de connaître, comme la perspective.»

Jusqu'ici, il n'en a pas «scrapé».



Il a terminé une cinquantaine de Genest de Brière, il lui en reste une trentaine dans l'arrière-boutique. «Après ça, j'arrête de peindre. Je n'ai pas l'intention de peindre seul.»

Son but sera atteint, il aura redonné vie aux personnages de Danielle. «Elle est une dessinatrice depuis l'âge de 10 ans. Elle s'en allait dans le garde-robe, ça brassait chez elle, et elle créait sa famille. Elle dessinait des personnages conviviaux, comme ce vieillard, là. Elle aime les gens.»

Gaëtan parle de Danielle au présent.

Mais il a fallu qu'il tombe en amour avec une autre femme pour retrouver la beauté dans l'art de Danielle. «J'avais perdu le goût à l'art, j'avais un dédain. Quand je voyais un tableau, je voyais la vie d'artiste qui l'avait tuée. C'est une vie difficile et le tableau, c'était la misère de l'artiste.»

Jusqu'à ce que France arrive dans sa vie. «Il a fallu l'amour pour faire tourner l'ombre vers la lumière. Ma personnalité a été remodelée. J'ai retrouvé le goût d'aimer vivre.»

Il s'est alors donné une «mission, de rejoindre cette famille qui erre en ce moment. Je veux que les gens se reconnaissent dans leur convivialité». Quand il vend un tableau, l'acheteur doit lui donner vie. «Il faut un engagement. S'il ne lui parle plus, je vais le racheter. Ça m'est arrivé une fois.»

Les personnages de Danielle ne doivent pas finir où ils sont nés, dans un garde-robe.

Gaëtan n'a pas vendu beaucoup de tableaux, «mais chaque fois, il y a une histoire, une anecdote. C'est très difficile de vendre de l'art».



Il se donne environ deux ans pour terminer l'oeuvre de Danielle. «Ses tableaux, il n'y a rien de plus beau sur la Terre. Il y a un côté sociologique à ses personnages. Elle nous donne une histoire de sentiments humains, des histoires d'errances, elle était attirée par les gens seuls. Par les errants.»

J'ai demandé à Gaëtan s'il en était un. «J'en étais un, puisqu'elle m'a aimé.»