L'architecture qui se trame ici, dans les voûtes du Vieux-Séminaire de Mgr Laval, nous projette en pleine science-fiction.
Un monde futuriste où il devient possible de concevoir des maisons et des immeubles à l'ordinateur. Puis d'aller les imprimer in situ en 3D avec une encre de béton au bout d'un bras robotisé; d'en imprimer ou découper les matériaux et les faire assembler par des drones avec une précision impensable pour le bras humain.
Pour l'heure, les étudiants de l'École d'architecture de l'Université Laval n'en sont encore qu'à imprimer de petits objets en plâtre, en plastique ou en résine.
Le volume de ce qui peut être imprimé en 3D est limité par la taille des imprimantes du «FabLab» de l'Université.
Quand on regarde les «sculptures» et les maquettes qui ne dépassent guère une vingtaine de centimètres, on peut penser qu'on est loin encore de l'architecture et de la construction.
Sans compter qu'il faut un temps fou pour ces impressions avec une machine qui dépose «l'encre» couche par couche jusqu'à ce que la forme s'élève.
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Il faut cependant jeter un coup d'oeil aux vidéos de prototypes d'imprimante grandeur nature en Asie, aux États-Unis et en Europe pour comprendre ce qui s'en vient.
«L'utopie est en train de devenir réalité», annonce Samuel Bernier-Lavigne, qui enseigne la conception et la fabrication numérique à l'École d'architecture.
C'est la révolution la plus importante depuis la découverte de la perspective à la Renaissance, croit GianPiero Moretti, directeur de l'École.
On en est encore aux balbutiements, mais l'architecture ne peut plus ignorer l'émergence de ces nouvelles technologies.
Le cours d'introduction à la conception numérique de M.Bernier-Lavigne a été donné pour la première fois à l'hiver 2015, mais vient de devenir obligatoire dans le cursus du baccalauréat. Cent dix étudiants y étaient inscrits cet hiver.
Titulaire d'un doctorat de l'Université Laval, M. Bernier-Lavigne a séjourné à Lyon, à New York, à Zurich, à Amsterdam et ailleurs.
Il y a travaillé dans des bureaux d'architectes à des projets d'impression 3D allant parfois jusqu'à la taille «urbaine».
Il compte parmi les architectes du Québec qui maîtrisent le mieux ces nouveaux outils : scan 3D, conception à l'ordinateur, impression 3D, découpage et fraisage de matériaux au laser, etc.
Le jeune prof collabore avec des bureaux de Québec, mais il faudra sans doute attendre la nouvelle génération pour que la pratique se généralise.
En attendant, les exemples de ce qui devient possible se multiplient.
Chez Gramazio Kohler (Zurich), on construit des tours et des murs de brique avec des drones.
À Amsterdam, l'entreprise MX3D s'apprête à «imprimer» en 2017 un pont métallique au-dessus d'un canal.
Sa technologie, qui allie architecture, robotique et génie mécanique, permet de créer des formes inédites et des courbes complexes qui annoncent une véritable transformation de l'art et de l'industrie.
On voit dans ses vidéos d'entreprise un bras robotisé avec une buse qui recule comme dans un moon walk, laissant derrière des touches ou des filets de métal.
Les formes se sculptent à rebours, sans moule ni gabarit, avec une précision déroutante.
Un prototype du pont a été construit en atelier. La prochaine étape est d'aller l'imprimer au-dessus de l'eau.
Beau clin d'oeil. Sur le site qui permet de créer des raccourcis d'adresses URL, j'ai dû cocher la case «Je ne suis pas un robot» pour obtenir le lien vers les sites de conception et de fabrication robotisées du pont d'Amsterdam.
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En 2014, un entrepreneur chinois a réussi à «imprimer» 10 maisons de béton en 24 heures, battant de vitesse et d'ampleur tous les projets de même nature.
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On peut trouver que le résultat est un peu sec et brutal. On aimerait un peu plus de finesse et de confort, car on imagine mal habiter ces boîtes de béton toutes identiques, mais ce n'est que le début.
Les formes et la complexité des structures vont évoluer. Il est possible de les varier presque à l'infini avec l'ordinateur et il ne reste ensuite qu'à appuyer sur «print».
Des structures et des formes improbables qu'il serait impossible à bâtir par des ouvriers humains pourront l'être par des ordinateurs et des robots.
On pourra construire dans des endroits difficiles ou accidentés grâce aux relevés des scans 3D.
La solidité des maisons imprimées n'est pas vraiment source d'inquiétude, croit M.Bernier-Lavigne.
Au besoin, les architectes pourront imprimer plusieurs matériaux pour une même structure. «Couler» par exemple une armature métallique pour l'envelopper ensuite de béton.
D'autres expériences sont menées ailleurs, en France notamment.
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Amorcée au Massachusetts Institute of Technology (MIT) à la fin des années 70, l'impression 3D coûtait à l'époque «les yeux de la tête» et fut protégée par des brevets, ce qui a freiné sa diffusion.
L'expiration des brevets depuis une dizaine années a relancé la recherche et les applications possibles.
On est passé des maquettes et des petits objets à des structures plus grosses, puis bientôt à des maisons et éventuellement à des édifices. On évoque déjà l'impression de gratte-ciel imprimés en 3 D. On ne voit plus de limites.
Dans un texte paru l'automne dernier, ma collègue Michèle LaFerrière proposait un lien vers une vidéo décrivant l'impression 3D d'une base lunaire.
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On y voit une fusée déposant sur la lune un tracteur robotisé qui ramasse la poussière et la transforme en «encre» pour imprimer ensuite en 3D un module digne de Cosmos 1999.
Ces nouvelles technologies pourraient permettre aux architectes de mieux contrôler leurs «oeuvres», de la conception à la réalisation.
Pour peu que les ordinateurs et les machines soient bien programmés et ne plantent pas, les résultats seront plus précis et plus audacieux. On réduira les erreurs humaines d'exécution et les accidents dans les chantiers.
Samuel Bernier-Lavigne doute que des maisons pourront être entièrement imprimées en 3D. Pas maintenant.
Mais on peut facilement imaginer en fabriquer ou en imprimer des constituantes. Déjà qu'il est possible de la meubler avec des objets de déco et des meubles imprimés 3D.
Le meilleur pronostic est qu'on n'a aucune idée encore où tout ça peut nous mener.
Je t'imprimerai la Lune et la Terre en 3D. Des monts de Vénus à la cuisse de Jupiter.
- S'il vous plaît, dessine-moi un mouton... 1
... Je sortis de ma poche une feuille de papier et un stylographe. Mais je me rappelai alors que j'avais surtout étudié la géographie, l'histoire, le calcul et la grammaire et je dis au petit bonhomme (avec un peu de mauvaise humeur) que je ne savais pas dessiner. Il me répondit :
-Ça ne fait rien. Tu me l'imprimeras en 3D.
1 ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY. Le Petit Prince.