Les autres tragédies des Îles

Le naufrage du Nadine, que l'on voit après qu'il a été renfloué, a fait huit morts dans la nuit du 16 au 17 décembre 1990.

L'écrasement d'avion du 29 mars, le deuxième mortel dans l'histoire des Îles-de-la-Madeleine, a rouvert de vieilles plaies qui, même après 25 ou 40 ans, n'avaient jamais cicatrisé complètement. Le récent drame comporte certaines similitudes avec deux événements qui ont secoué les Madelinots, il y a de nombreuses années.


Retour sur deux tragédies qui ont marqué la mémoire de ces insulaires qui vivent avec les risques liés aux transports aérien et maritime.

Le naufrage du Nadine

Le naufrage du chalutier Le Nadine est survenu dans la nuit du 16 au 17 décembre 1990 au large de la Grande Échouerie, dans le triangle des pointes de l'Est et d'Old Harry, aux Îles-de-la-Madeleine. Les marins étaient de retour d'un voyage de pêche au sébaste sur les bancs de Terre-Neuve. Huit des dix membres d'équipage y ont péri. 

Si cette tragédie a un point en commun avec l'écrasement d'avion du 29 mars, c'est que certaines victimes étaient issues d'une même famille, soit des frères ou des beaux-frères, tous originaires des Îles-de-la-Madeleine. Les victimes sont Pierre Cyr, Jacquelin Miousse, Émile Poirier, Augustin Vigneau, Mario Leblanc, Lauréat Deveau et Gérard Vigneau. Une seule des victimes n'était pas des Îles. Il s'agit de la biologiste Estelle Laberge, qui était en mission d'observation pour le compte de l'Institut Maurice-Lamontagne de Mont-Joli. D'ailleurs, l'auditorium de ce centre de recherche de Pêches et Océans Canada porte aujourd'hui son nom.

Les corps de deux des huit victimes n'ont jamais été repêchés. Seulement 2 des 10 occupants à bord du bateau ont survécu au naufrage. Il s'agit du capitaine Robert Poirier et de son frère Serge.

«Ici, les vieux pêcheurs ne s'expliquent pas encore ce qui a pu se produire, et toutes les hypothèses circulent», peut-on lire dans Le Soleil du 19 décembre 1990. «Serge Poirier [l'un des deux seuls rescapés] dit que Le Nadine a donné profondément de la bande avant de s'engouffrer rapidement. Si subitement que la plupart des victimes n'ont pas eu le temps de bien refermer leur habit de survie. La plupart, d'ailleurs, dormaient au moment du sinistre.»

Toujours selon Le Soleil, le capitaine du Nadine, Robert Poirier, a survécu au naufrage grâce à sa longue expérience de plongeur qui lui a permis d'enfiler son habit de sauvetage très rapidement. Avant d'être secouru par la Garde côtière canadienne, le marin aura passé de huit à neuf heures dans les eaux glaciales du golfe du Saint-Laurent.

Invité par Le Soleil à raconter son récit, le capitaine Poirier a décliné notre demande. Il a expliqué que la récente tragédie mortelle lui faisait revivre le sinistre du Nadine et que cela lui procurait beaucoup trop de souvenirs douloureux. Il a ajouté qu'il achevait l'écriture d'un livre sur le naufrage du Nadine, vu de l'intérieur, et qu'il n'avait pas l'intention d'en dévoiler le contenu avant sa parution.

Lors du dépôt de son rapport, en juin 1992, le coroner Jacques Bérubé n'avait pas été tendre à l'endroit du propriétaire du navire, soit Madelipêche, de Cap-aux-Meules. «Il qualifie les conditions de travail fournies par cette compagnie d'inadmissibles, d'injustifiables et de dangereuses», est-il écrit dans Le Soleil du 27 juin 1992. Le coroner faisait mention de plusieurs autres lacunes qui ont pu contribuer au sinistre.

Dans ses recommandations, Jacques Bérubé insistait particulièrement sur une meilleure formation à donner aux équipages des bateaux de pêche.

<p>L'écrasement du petit avion sur la piste d'atterrissage, le 4 décembre 1975, avait fait six victimes. Jusqu'à la récente tragédie, cet écrasement était le seul mortel à être survenu aux Îles-de-la-Madeleine. </p>

L'écrasement du petit avion sur la piste d'atterrissage, le 4 décembre 1975, avait fait six victimes. Jusqu'à la récente tragédie, cet écrasement était le seul mortel à être survenu aux Îles-de-la-Madeleine. 

(PHOTO FOURNIE PAR LE CENTRE D'ARCHIVES RÉGIONAL DES ÎLES-DE-LA-MADELEINE/PHOTO FOURNIE PAR LE CENTRE D'ARCHIVES RÉGIONAL DES ÎLES-DE-LA-MADELEINE)

Le premier écrasement d'avion mortel

Un avion à deux moteurs, un Cessna 401, s'est écrasé le 4 décembre 1975 sur une des pistes de l'aéroport régional. L'embrasement de l'appareil n'a donné aucune chance à ses six occupants.

France Boudreau s'en souvient comme si c'était hier. Elle n'avait que 19 ans et travaillait depuis quelques mois seulement à l'aéroport pour la Eastern Provincial Airways. «Mon collègue, André Arseneau, était en contact avec le pilote, se rappelle-t-elle. Il ventait fort.» Peu de temps après, elle a vu l'aéronef atterrir, puis tourner brusquement, comme s'il avait voulu changer de piste. «À ce moment-là, je l'ai vu se crasher, raconte la femme. On a pris un petit camion de pompiers qu'on avait à l'aéroport, mais il n'y avait plus rien à faire. J'ai vu les corps calcinés. Ils ont brûlé vifs dans l'avion.»

Mme Boudreau souligne que, pendant les deux jours qui ont suivi le sinistre, aucun avion n'y a atterri ni décollé. «On était trois employés dans l'aéroport, indique-t-elle. Ça nous avait shakés! Ça nous avait fait beaucoup de peine.»

La dame a été si traumatisée, sur le coup, qu'elle s'est interrogée sur la poursuite de sa carrière débutante. Puis, après une semaine de congé, où elle n'a pas vraiment dormi, elle a décidé de continuer. Après 40 ans, elle travaille toujours à l'aéroport comme agente de réservations. «J'ai réussi à surmonter ça», précise Mme Boudreau. Elle a cependant été si marquée que la récente tragédie du 29 mars l'a beaucoup remuée. «C'est venu me chercher, confie-t-elle. J'ai eu de la misère à dormir pendant quelques jours. Ça me faisait revivre l'accident de 1975. Je revoyais les images.»

Un autre résident des Îles-de-la-Madeleine n'a jamais pu, lui non plus, oublier ce «désastre», comme il le qualifie. Jean-Marc Landry est l'un des derniers à avoir parlé au pilote, Jacques Laporte, alors qu'il avait fait escale avec son avion à Moncton, au Nouveau-Brunswick, après être parti de Montréal. Le Madelinot, qui possédait une entreprise spécialisée en mécanique du bâtiment, avait travaillé avec deux ou trois de ces six hommes, qui se trouvaient dans l'avion. Selon lui, c'était des ingénieurs civils qui s'en venaient travailler sur l'isolation de l'usine à glaces de Cap-aux-Meules. 

Parmi eux, M. Landry connaissait surtout Laurent Jasmin. Le jour de l'accident fatal, il devait venir souper chez lui, comme il le faisait souvent lors de ses séjours aux Îles. «Laurent Jasmin était intéressé à possiblement venir s'établir en entreprise avec moi, mais tout a fini là, se désole encore l'entrepreneur madelinot. Ça m'a fait beaucoup de peine.»

Selon le journal Le Radar du 11 décembre 1975, l'accident aurait été causé par le train d'atterrissage de l'avion qui ne se serait jamais déployé. Voyant que les roues ne sortaient pas, le pilote aurait décidé de faire reprendre de l'altitude à son appareil et de continuer de voler. Rendu un peu plus loin, il aurait effectué un virage brusque avant de piquer du nez, puis de s'abîmer. Sous la force de l'impact, l'avion a été projeté au centre de la piste et il s'est embrasé.

<p>Jean-Marc Landry est l'un des derniers à avoir parlé au pilote, avant qu'il ne s'écrase sur la piste de l'aéroport des Îles-de-la-Madeleine, le 4 décembre 1975. </p>

Jean-Marc Landry est l'un des derniers à avoir parlé au pilote, avant qu'il ne s'écrase sur la piste de l'aéroport des Îles-de-la-Madeleine, le 4 décembre 1975. 

(PHOTO COLLABORATION SPÉCIALE JOHANNE FOURNIER/PHOTO COLLABORATION SPÉCIALE JOHANNE FOURNIER)

<p>Alors qu'elle travaillait à l'aéroport des Îles, France Boudreau n'a jamais pu oublier l'écrasement d'avion qui s'est produit sous ses yeux en 1975.  </p>

Alors qu'elle travaillait à l'aéroport des Îles, France Boudreau n'a jamais pu oublier l'écrasement d'avion qui s'est produit sous ses yeux en 1975.  

(PHOTO COLLABORATION SPÉCIALE JOHANNE FOURNIER/PHOTO COLLABORATION SPÉCIALE JOHANNE FOURNIER)

Quelques dates

29 mars, jour noir

À examiner les dates des tragédies qui sont survenues aux Îles-de-la-Madeleine, on en vient à croire que le 29 mars est un jour maudit.

29 mars 1959

L'incendie d'une résidence privée de Bassin, à L'Île-du-Havre-Aubert, fait cinq morts. Edmond Cyr, sa femme et trois de ses quatre enfants périssent dans le brasier. Seule une petite fille âgée de 18 mois survit à la tragédie.

29 mars 2008

L'Acadien II navigue dans la région de Neil's Harbour, à Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, alors qu'il éprouve des ennuis mécaniques. Il compte, à son bord, des chasseurs de phoque des Îles-de-la-Madeleine. Ceux-ci lancent un appel à l'aide auprès de la Garde côtière. Un brise-glace arrive sur les lieux. Lors des manoeuvres de remorquage, le navire chavire. Quatre marins se noient : Marc-André Déraspe, Carl Aucoin, Gilles Leblanc et Bruno Bourque. Le corps de l'un d'eux est disparu en mer. Deux autres marins, Claude Deraspe et Bruno-Pierre Bourque, sont secourus par d'autres chasseurs de phoque qui naviguaient non loin de là.

29 mars 2016

Un petit avion parti de Saint-Hubert, près de Montréal, avec cinq passagers, un pilote et un copilote à son bord, s'écrase sur le relief de Havre-aux-Maisons, à environ deux kilomètres de l'aéroport des Îles-de-la-Madeleine. L'ex-ministre fédéral et chroniqueur politique Jean Lapierre figure parmi les victimes, de même que sa conjointe Nicole Beaulieu, sa soeur Martine et ses deux frères, Marc et Louis. Les membres de cette famille avaient nolisé l'appareil pour venir prendre part aux funérailles de leur père Raymond, décédé la veille.