Webster, le rappeur historien de Limoilou

Webster est né et a grandi dans Limoilou. Il a été l'un des premiers artistes de la capitale à faire carrière dans le rap, au milieu des années 90.

À 15 ans, dans son Limoilou natal, Webster s'est lancé dans le rap pour brasser la cage, vilipender les politiciens, dénoncer haut et fort les inégalités sociales. Son style ne donnait pas dans la dentelle. «Mes propos étaient assez agressifs. C'était une façon négative de voir les choses. Je veux maintenant travailler à trouver des solutions, plutôt que de juste pointer des problèmes. Je veux être un leader positif.»


L'adolescent d'hier en révolte contre l'ordre établi s'est assagi. À 36 ans, le grand gaillard au ton posé, à la dégaine cool et au look à la James Hyndman préfère parler de persévérance scolaire et de résilience, mais aussi et surtout de langue française et d'histoire, ses deux passions en dehors du rap.

Attablé devant un thé à la Brûlerie Limoilou, un endroit où ils sont nombreux à le saluer au passage, Webster savoure la nouvelle orientation donnée à sa carrière, il y a une douzaine d'années. Après avoir rappé en anglais, c'est maintenant dans la langue de Félix Leclerc qu'il le fait. Avec une immense fierté.

«J'ai commencé en anglais parce qu'à l'époque, on ne savait pas qu'on pouvait le faire en français. Ce n'était pas concevable de rapper en français.» Jusqu'à ce que survienne ce qu'il appelle la «Révolution française», où un courant venu de l'Hexagone a fini par s'imposer dans le petit monde du rap de la capitale. Lui, Limoilou Starz et le groupe 83, de la Rive-Sud, ont suivi la parade.

«Je sentais que le rap en anglais s'essoufflait. Il fallait que je chante en français si je voulais garder contact avec ma base [de fans]. J'avais une meilleure qualité littéraire en français qu'en anglais. J'y étais plus à l'aise pour jouer avec les subtilités de la langue. Il a fallu que je prenne le temps de me découvrir. Et ça m'a pris du temps...»

Webster est né et a grandi dans Limoilou. Il a été l'un des premiers artistes de la capitale à faire carrière dans le rap, au milieu des années 90.

Le dictionnaire Webster

Né de père sénégalais et de mère québécoise, Aly Ndiaye, de son vrai nom, détonne dans son groupe d'amis à l'adolescence. Il est bon à l'école et passe son temps dans les bouquins. «J'aime apprendre. J'étais tout le temps à la bibliothèque. Quand j'allais rejoindre mes amis au court de basket, j'arrivais avec ma pile de livres. Les gars m'écoeuraient, me disaient que je savais tout sur tout.»

À l'époque, le jeune Aly passe aussi beaucoup de temps dans le dictionnaire anglais... Webster. Un ami s'est mis à le taquiner. Le surnom est resté. Il en a fait sa marque de commerce.

Les années passent et ses copains commencent à faire les quatre cents coups. Par révolte, désoeuvrement ou simple paresse, plusieurs versent dans la criminalité et se retrouvent en prison. Le jeune Aly fait le choix de rester à carreau, le nez dans ses livres. «Mes amis me disaient : "Viens, on va aller braquer un dépanneur ou faire une maison." Je leur disais : "Désolé, j'ai un examen demain..."»

Le jeune Webster, un fan de Machiavel et de L'art de la guerre, de Sun Tzu, s'inscrit à l'Université Laval, où il décroche un baccalauréat en histoire. Un seul autre membre de son cercle d'amis et de connaissances a poussé aussi loin ses études, déplore-t-il.

Invité à Tout le monde en parle il y a deux semaines, pour participer au débat sur le black face, face à Louis Morissette, Webster revient sur la nécessité d'avoir «une plus grande sensibilité à la diversité culturelle», que ce soit à la télé, au cinéma ou sur les planches.

«C'est ce qui m'a poussé à faire du rap. Quand je regardais la télé, je ne me reconnaissais pas. Quand j'écoutais la radio, je ne m'entendais pas. Des comédiens noirs, il y en a au Québec. La plupart ne travaillent pas. Pourquoi ne pas leur offrir des rôles? C'est insultant pour eux», dénonce-t-il.

Au début de sa carrière, le rêve de Webster était d'en faire un métier et de voyager. Il peut dire mission accomplie. Depuis quelques années, il est devenu un ambassadeur de la langue française, à travers des ateliers d'écriture. Que ce soit dans les écoles et centres jeunesse du Québec, aux États-Unis, où il est en tournée pour trois semaines, ou au Japon, sa prochaine étape le mois prochain, il va à la rencontre des jeunes, bouquins de français sous le bras.

«Ça s'appelle l'utilisation créative du français à travers le rap. Dans le Bronx ou à Brooklyn, les chansons en français, ça n'intéresse pas les jeunes, mais le rap, ça leur parle, c'est beaucoup plus près de leur réalité.»

Rester ou partir?

Pour la suite des choses, Webster résiste à l'idée de quitter Québec, ville blanche par excellence. Autour de lui, ses amis noirs sont nombreux à avoir levé les voiles pour Montréal, exaspérés de subir le regard d'autrui. «Dans ma génération, les trois quarts sont partis, facile. Certains pour suivre leur famille, d'autres par envie, d'autres parce qu'ils étaient tannés de se faire regarder. Moi, je suis habitué, mais plusieurs en avaient assez. Ils avaient le goût d'être anonymes.»

Ali «Webster» Ndiaye persiste à résister aux chants des sirènes, par amour des siens et de sa ville, mais aussi par défi. «J'aurais pu aller à Montréal, mais je veux faire du rap à partir de Québec. C'est un terreau fertile. Tout le Québec regarde ce qui se fait ici.»

«Si j'avais à partir un jour, ce ne serait pas nécessairement pour Montréal, précise-t-il. Tant qu'à rester au Québec, j'aime mieux rester ici. Si je pars un jour, ce sera pour une autre province ou un autre pays. Je ne sais pas où la vie va m'amener...»

Au coeur du passé esclavagiste

Qu'ont en commun Marguerite d'Youville, le général Montcalm et Guillaume Couillard, le premier colon français anobli par le roi Louis XIV? Tous ont été propriétaires d'esclaves.

Un peu partout dans le Vieux-Québec, plusieurs endroits renvoient à un passé esclavagiste que peu de gens soupçonnent. Webster s'applique depuis peu à offrir des tours guidés pour lever le voile sur cette page méconnue de notre histoire. Le lancement officiel de ses instructives balades aura lieu en mai.

De la place D'Youville jusqu'à la place Royale, en passant par le parc de l'Artillerie et la côte de la Montagne, le rappeur historien démontre que l'esclavagisme a déjà eu pignon sur rue à Québec, autant sous le régime anglais que français. «À Québec, on a déjà compté jusqu'à 1000 esclaves répertoriés, ce qui veut dire qu'il y en avait peut-être le double. La moitié était noire, l'autre moitié amérindienne. On allait chercher les esclaves noirs dans les colonies anglaises.»

«Combien de gens savent que le premier Noir arrivé à Québec, en 1629, s'appelait Olivier Lejeune? Il avait huit ans et était l'esclave de Guillaume Couillard. Il a été l'un des premiers élèves de notre histoire académique parce qu'il étudiait chez les Jésuites.»

Dans la côte de la Montagne, où la Gazette de Québec et le Quebec Herald avaient leurs locaux, Webster en profite pour rappeler que ces journaux publiaient à l'époque des petites annonces pour la vente de «nègres». «Ils n'étaient pas vendus au marché, mais de particulier à particulier.»

Loin de lui l'idée d'offrir ces tours guidés pour remettre ces crimes sous le nez de ses concitoyens blancs. «Je ne le fais jamais pour culpabiliser, mais pour démontrer que nous avons une histoire plurielle depuis les débuts de la colonie.»

D'ailleurs, il ne cache pas que son propre arbre généalogique abrite quelques ancêtres esclavagistes. «Mon père faisait partie de la noblesse sénégalaise, dans l'empire wolof. Ils avaient des esclaves. Du côté de ma mère, c'est fort possible.»