Le fleuve, allié naturel pour nettoyer la Saint-Charles

Pour pouvoir profiter de la Saint-Charles, il faut d'abord contrer l'envasement actuel des berges et les sédiments qui remplissent le fond de la rivière à la hauteur des quartiers Saint-Sauveur et Saint-Roch.

Régis Labeaume a révélé en décembre vouloir redonner la rivière Saint-Charles aux citoyens en s'attaquant ces prochaines années aux sédiments qui empêchent des activités comme le kayak, la pêche ou le patin sur le cours d'eau au coeur de la basse ville. Le maire de Québec a assuré qu'il existait une solution «naturelle» pour régler ce vaste problème. Laquelle? L'hypothèse privilégiée pour l'instant: ouvrir grandes les vannes du barrage Joseph-Samson et utiliser les marées du fleuve pour nettoyer le tout. Une solution «porteuse», mais qui comporte certaines limites.


«Il est temps que les gens jouissent de la rivière», a déclaré le maire de Québec au Soleil lors d'une entrevue de fin d'année le 17 décembre. Mais avant toute chose, il faudra contrer l'envasement actuel des berges et les sédiments qui remplissent le fond de la rivière à la hauteur des quartiers Saint-Sauveur et Saint-Roch.

Un problème notoire, connu des experts de la Ville et des chercheurs depuis des années. Et que M. Labeaume s'est mis en tête de régler une fois pour toutes. Mais comment?

Le maire s'était bien gardé de dévoiler la méthode envisagée pour libérer le cours d'eau de ses tonnes de vases et d'autres substances. Mais, avait-il assuré, la Ville pourrait aller de l'avant sans avoir besoin de permis du ministère de l'Environnement.

«On n'aura pas besoin de permis. Attendez un peu, mais quand je serai prêt, vous allez voir que la nature fait bien les choses», avait avancé M. Labeaume.

Dans ce contexte, le scénario le plus plausible - le seul, en fait - est celui d'ouvrir plus souvent le barrage Joseph-Samson et de laisser entrer temporairement l'eau du fleuve.

À la Ville de Québec, on a testé sporadiquement l'ouverture des vannes depuis 2011. «On a fait des projets expérimentaux de l'utilisation des marées. Ça a donné des résultats concrets, mais ce n'est pas assez», note toutefois le porte-parole de la Ville, Jacques Perron.

«On devrait aller en études additionnelles pour voir quelles sont les meilleures approches, soit de façon naturelle du mouvement de l'eau ou d'autres comme l'intervention humaine et mécanique», poursuit-il.

Et dans ce cas, il sera bien difficile d'éviter la nécessité d'un permis du ministère de l'Environnement. «Le ministère dit que pour tant de mètres cubes, tu n'as pas besoin d'un certificat d'autorisation. Pour tant d'autres, tu as besoin d'un certificat», explique M. Perron, sans s'avancer sur les détails auxquels le maire de Québec faisait allusion au moment de l'entrevue au Soleil.

Au ministère de l'Environnement, on refuse de s'avancer pour l'instant, n'ayant encore reçu aucune demande et ne sachant pas de quelle «solution naturelle» parlait M. Labeaume.

Barrage utile, mais désuet

Construit en 1963 le long du boulevard Jean-Lesage au moment de l'assainissement et du bétonnage de la rivière Saint-Charles, le tunnel Joseph-Samson «venait régler des problèmes d'embâcles», explique Jacques Perron. «Il a son utilité, il a permis le développement autour de la rivière.»

Or, voilà que le barrage a aussi eu pour effet de réduire considérablement le courant de la rivière. Ralenti, le débit n'arrive plus à trimballer avec lui toutes les substances en suspension. Celles-ci ont fini par s'accumuler au fond de la rivière, jusqu'à réduire la diversité de son écosystème. Un phénomène qui s'est accéléré avec l'enlèvement du béton de la Saint-Charles, graduellement remplacé par de la terre, des arbres et des plantes lors des grands travaux de renaturalisation entrepris en 1996 sous l'administration de Jean-Paul L'Allier.

Dans le mémoire de maîtrise qu'il a consacré en 2012 à la gestion des débits au barrage Samson, l'ingénieur hydraulique Philippe-Hubert Roy-Gosselin s'est penché sur l'ouverture des vannes pour nettoyer la rivière des sédiments. Il y souligne que des tests plus poussés devront être menés, mais que les «observations sur le terrain indiquent déjà de forts changements positifs», peut-on lire dans le mémoire. «L'année même de l'ouverture, les sédiments ont commencé à être évacués et la faune aquatique a commencé son retour», a-t-il dit.

Le hic, c'est que le barrage est en très mauvais état. «La vanne est complètement finie. Chaque fois, on se demande si on va pouvoir la refermer», illustre M. Roy-Gosselin en entrevue au Soleil.

Dans son mémoire, il évoquait la mise en place «d'une vanne modulante contrôlée à distance», pour «faire varier les niveaux d'eau en rivière dans le but d'entraîner les sédiments et d'améliorer l'oxygénation de l'eau».

Une telle cure de jeunesse au barrage Samson pourrait coûter cher. Pour l'instant, dès cette année, les ingénieurs et experts municipaux évalueront les travaux de réfection. Une somme de 200 000 $ en ce sens apparaît d'ailleurs au programme triennal d'immobilisations depuis 2015.

«On commence à peine à débroussailler tout ça», réitère Jacques Perron, prudent. «Oui, ça fait partie des volontés de la Ville d'améliorer la qualité de l'eau de la rivière Saint-Charles et les activités qu'on pourrait y faire. Mais pour l'instant, on en est vraiment au stade préliminaire.»

<p>Dans les années 60, on entreprend de bétonner les rives du cours d'eau et d'y aménager une promenade.</p>

Dans les années 60, on entreprend de bétonner les rives du cours d'eau et d'y aménager une promenade.

(Archives Le Soleil/Archives Le Soleil)

Trois maires, trois chantiers

Améliorer le sort de la Saint-Charles a été l'un des objectifs des maires de Québec ces dernières décennies.

Années 60 et 70: bétonnage et assainissement

Autrefois véritable «dépotoir à ciel ouvert», la rivière Saint-Charles a été nettoyée par l'administration du maire Gilles Lamontagne dès la fin des années 60. On entreprend alors de bétonner les rives du cours d'eau et d'y aménager une promenade. À défaut de donner une allure naturelle à la rivière, ces travaux, ajoutés à la construction du barrage Joseph-Samson quelques années plus tôt, auront permis d'en contrôler le débit et de favoriser le développement du secteur.

<p>Dans les années 90, on entreprend de renaturaliser le cours d'eau.</p>

Dans les années 90, on entreprend de renaturaliser le cours d'eau.

(Archives Le Soleil/Archives Le Soleil)

Années 90: l'heure de la renaturalisation

Au milieu des années 90, le maire Jean-Paul L'Allier s'attaque aussi à la Saint-Charles. Exit le béton et son caractère austère. On entreprend alors de renaturaliser le cours d'eau en commençant par une première phase au parc Cartier-Brébeuf en 1996. La promenade de béton est démolie et on restaure les berges avec des plantes et des arbustes. La renaturalisation a coûté plus de 20 millions $ pour un projet total de 155 millions $, considéré comme un héritage majeur du maire Jean-Paul L'Allier, décédé le 5 janvier dernier.

Années à venir: «jouir de la rivière»

Les berges renaturalisées de la rivière Saint-Charles auront toutefois souffert d'envasement ces dernières années. Une importante accumulation de sédiments freine les activités qu'il est possible de pratiquer sur ce cours d'eau névralgique du centre-ville de Québec. Marchant dans les traces de ses prédécesseurs, le maire Régis Labeaume a annoncé en décembre qu'il souhaitait faire enlever ces sédiments. Plus creuse et avec un lit mieux défini, la rivière Saint-Charles verrait ainsi ses rives se dégager et les berges pourraient être aménagées avec divers ponts ou petits quais. Un projet de «dizaines de millions de dollars sur plusieurs années» que l'administration Labeaume prévoit entreprendre dès cette année ou l'an prochain.

Un projet à faire rêver

Faire du canot sur la rivière Saint-Charles en plein centre-ville? À la Société de la rivière Saint-Charles, on en rêve. Mais pas moyen de mettre le pied sur les berges tant les bords de la rivière sont «vaseux».

«On en rêve depuis des années de pouvoir faire du canoë-kayak», lance le directeur des opérations de la Société de la rivière Saint-Charles, Guillaume Auclair. «Il y en a tout le temps qui en font, pas que c'est illégal, mais la qualité de l'eau n'est pas là, alors ce ne sera jamais encouragé», dit-il.

«Nous on veut que ça bouge», ajoute celui qui ne manque pas d'idées pour redonner la rivière aux citoyens.

«Ce que veut dire le maire Labeaume, c'est qu'en réglant la question de sédimentation, on redonne un lit à la rivière et ça devient un cours d'eau pour la navigation et la pratique d'activités sportives qui est beaucoup plus intéressant», se réjouit M. Auclair.

Lui aussi croit que doter le barrage Samson d'une vanne modulante, contrôlable à distance pour faire entrer les marées du fleuve comme l'évoquait Philippe-Hubert Roy-Gosselin dans son mémoire de maîtrise en génie [lire autre texte] est peut-être la situation envisagée. «Il n'y a pas beaucoup de solutions pour enlever la sédimentation, hormis accélérer le débit», dit-il. Les tests faits ces dernières années ont déjà fait une différence, note M. Auclair.

Chose certaine, les récentes déclarations du maire de Québec, qui prévoit s'attaquer aux problèmes de la Saint-Charles réjouit les responsables de la Société de la rivière Saint-Charles. Ils estiment pouvoir de nouveau se permettre de rêver d'activités estivales ou hivernales, comme le patin, un dossier qui avait été mis sur la glace depuis des années. «Je regardais des photos d'archives, c'est incroyable. C'est sûr que si ça peut revenir, on serait super contents.»