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On veut faire plaisir, mais...

Dorénavant, recevoir la visite de Bonhomme a un prix, santé financière oblige.

CHRONIQUE / Vous savez c'est quoi, une prétérition?


C'est une figure de style. C'est parler de quelque chose en faisant semblant de ne pas en parler. Ça peut ressembler à «je pourrais vous dire que votre femme vous trompe, mais je ne le ferai pas».

On s'entend, le message est passé.

Ça peut être «je ne suis pas raciste, mais». La personne fait accroire qu'elle n'est pas raciste, et boum, elle l'est.

C'est ce qui vient après le «mais» qui fait tomber le masque.

La fille des communications du Carnaval a lancé une belle prétérition cette semaine, dans le texte de ma collègue Patricia Cloutier, qui dévoilait que, dorénavant, les organismes qui veulent la visite de Bonhomme doivent vendre un minimum de 50 bougies ou de 25 effigies. Ça vaut pour les écoles.

La fille des communications, pour justifier la nouvelle politique, a dit : «Oui, on veut faire plaisir aux gens, mais on aimerait aussi retrouver la santé financière. [...] C'est sûr qu'il y en a quelques-uns [des établissements] qui sont déçus. Mais pour nous, la santé financière est un objectif trop important.»

Trop.

Ce n'est pas moi qui le dis.

On dit vouloir plaire aux carnavaleux, mais on comprend qu'il passe après les états financiers. Et c'est peut-être pour ça que le Carnaval a du plomb dans l'aile, parce que le carnavaleux, qu'il ait ou non une haleine de caribou, a la désagréable impression que la fête est d'abord un exercice comptable.

Ça ne date pas d'hier, le Carnaval que l'on connaît a été fondé en 1954 par des gens d'affaires de la ville.

Les premières années, la reine était la duchesse qui vendait le plus de bougies.

Quand elles sont revenues il y a trois ans, les duchesses devaient réaliser un projet rassembleur pour leur duché, une activité, n'importe laquelle, pourvu que ça mette un peu de piquant au Carnaval.

Vous savez c'est quoi, la mission des sept duchesses, cette année? Présenter une campagne pour la vente de la bougie, en élaborant une stratégie de communication marketing.

Le président du conseil d'administration du Carnaval, Alain April, l'a expliqué en septembre, sans recourir à la prétérition.

Il a dit : «Le nerf de la guerre, c'est la vente de bougies et c'est d'aller chercher des revenus. La vente de l'effigie et de la bougie, c'est ce qui va nous démontrer que les gens aiment leur Carnaval [...] Ce sont de jeunes femmes d'affaires qui vont participer à la vente de bougies dans leur duché, tout simplement.»

Tout simplement.

C'est bien écrit sur le site Web, dans les critères de sélection des duchesses : «Vous aurez à vous démarquer par l'originalité de vos stratégies de communication, de vente, de recrutement et de mise en marché. Vous devrez également faire preuve de ri­gueur car le bilan de campagne que vous aurez à remettre sera jugé et pourrait vous permettre de devenir la Reine de cette 62e édition.»

Pour la magie de la fête, on repassera.

Sur la photo officielle des duchesses, on voit les jeunes femmes avec Bonhomme, ils sont en arrière-plan. Devant, une Hyundai Accent.

Sur le site du Carnaval, on peut effectuer une recherche par types d'activités, j'ai demandé les incontournables. J'ai sursauté, le déjeuner des gens d'affaires fait partie des sept activités incontournables, avec le défilé, le palais de Bonhomme, le bain de neige Qualinet, la course en canot, le concours de sculpture et la Symphonie hivernale.

Les duchesses n'en font pas partie.

Je l'ignorais, le déjeuner des chefs d'entreprise est une tradition carnavalesque depuis 1985. Cette année, le 29 janvier, le président d'IKEA Canada, Stefan Sjöstrand, prononcera une conférence pour la somme de 189,71 $, taxes incluses. Avec une effigie en prime. On est loin du brunch western.

Il y a, pour le défilé, une formule VIP : 54,88 $, taxes et frais de service inclus.

Et sachez que, pour prendre un selfie avec Bonhomme, l'effigie est obligatoire pour les huit ans et plus.

Les temps sont durs pour les festivals, je sais. Et ça oblige les événements à faire des contorsions pour boucler leur budget, quitte à placarder les sites de marques de commerce et à vendre leur âme au diable.

C'est ce qui est arrivé à Expo Québec.

Et si l'âme de notre fête d'hiver était restée à ses vraies origines? Pas en 1954, mais en 1894, lors du tout premier Carnaval, où déjà, on faisait un palais de glace, des statues de glace, du curling, des courses de canots, de vélo sur glace, des compétitions de souque-à-la-corde. Avec des feux d'artifice à la fin.

Où les gens avaient du plaisir, point barre.