Depuis 15 ans, Mignonne les habille. Elle confectionne à la main de petites robes de princesses pour les filles et des habits pour les garçons. Elle fait des chapeaux et des mitaines avec les retailles.
Ses vêtements sont étrennés, puis portés en terre.
La dame s'appelle vraiment Mignonne, je lui ai demandé l'histoire de son prénom, elle ne s'était jamais arrêtée à ça. Il y avait bien cette famille, des amis de ses parents qui habitaient aux États-Unis, ils avaient nommé une fille Mignonne, une autre Brunette.
Ses parents ont eu six filles, leur seul garçon est mort à deux ans.
Mignonne est la cadette, elle a toujours cousu. «Quand ma mère me faisait une robe, c'est moi qui tournais la manivelle de la machine à coudre. Elle disait : "plus vite, moins vite, recule..." C'était la même chose pour mes soeurs, chacune tournait la manivelle pour sa robe.» C'est son père qui avait «patenté» la manivelle.
Mignonne a «fait l'école d'agriculture pendant deux étés», elle n'y apprenait pas les travaux de la ferme, mais ceux de la maison. «On apprenait à coudre, à tricoter, on apprenait à monter une table, à bien se tenir. C'était une école ménagère, il y avait des techniciennes formées pour nous transmettre ces connaissances-là.»
Elle se souvient de la religieuse des Servantes du Saint-Soeur de Marie qui tenait l'école de Sainte-Croix à bout de bras, Sr Bernadette Beauchemin.
C'était un autre Québec.
En 2000, des bénévoles de l'hôpital Saint-François d'Assise et du CHUL ont demandé à Mignonne si elle voulait confectionner des «jaquettes» pour les bébés mort-nés, parce que les Scott towels, eh bien, c'est ordinaire.
Elle n'a pas dit oui tout de suite. «Ils m'ont présenté un prototype de robe et de pyjama, ça ne m'intéressait pas, le cou était trois fois trop grand. Il me fallait trouver le bon modèle, la bonne grandeur.» Elle a mis au point son patron, «neuf pouces pour le cou et quatre pour les bras».
Elle s'est attelée à sa machine à coudre.
Mignonne n'a jamais compté combien de robes et de pyjamas elle a fabriqués : «je fais trois robes dans une demi-journée». Tout ce qu'elle sait, c'est qu'il y a environ une centaine d'enfants qui voient le jour sans le voir au CHUL et à Saint-François d'Assise, deux des sept hôpitaux qu'elle approvisionne.
Elle habille aussi les bébés de Lévis, de Trois-Rivières, de Drummondville, de Thetford Mines et de Victoriaville.
Quand les bébés sont trop petits, «des fois une, ou deux livres», ils sont emmitouflés dans des enveloppes que Mignonne décore amoureusement avec des broderies pour cacher les «velcros». Même souci du détail pour les robes, dont elle borde le bas avec des dentelles et des petites perles.
«Ce qui compte, c'est avoir l'esprit à créer; c'est toujours le même patron, mais jamais la même décoration. La finition, c'est très important pour moi. Il y a une dame qui m'a dit : "tu fais tout ça pour mettre dans la terre?"»
Elle lui a répondu : «Ce n'est rien, pense au bébé, c'est bien pire. Les parents, eux, ils n'ont pas fait tout ça pour mettre dans la terre...»
Mignonne coud aussi pour d'autres bébés, ceux qui naissent en vie, et en état de manque, d'une mère toxicomane. Elle leur fabrique des couvertures. «Les bébés drogués, il y en a plus qu'on pense. En septembre 2010, il y a eu un record, 37 bébés dans le même mois, c'est là qu'on a commencé à faire les couvertures.»
Ils arrivent avec elle dans leur famille d'accueil.
C'est bien beau, tout ça, mais il faut du tissu pour fabriquer ces vêtements, et Mignonne commence à être à court. Elle a presque fini d'écouler le matériel que lui a donné Louis Garneau, «avant qu'il déménage sa production en Chine». Elle peut aussi parfois compter sur une entreprise de cercueils de Saint-Édouard.
«Le crêpe qu'ils mettent dans les tombes, ça fait des belles robes, et le velours, de beaux pyjamas.»
Rien ne se perd.
Elle aime les «chemises blanches d'hommes et de femmes», ça se travaille bien et ça fait de beaux vêtements. «Je fais trois robes dans deux chemises.» Elle récupère aussi des rideaux et autres draperies, les dentelles et les nappes qui ne servent plus. Pas celles qui sont juste bonnes pour la poubelle.
Elle a aussi besoin de tricot de coton, de doublure, d'élastiques, de rubans étroits, de draps et de taies d'oreillers, de flanelle, de tissus doux et soyeux, blancs ou de couleurs pastels. «J'aime faire du beau. Je veux faire du beau pour les princesses qu'on met dans la terre.» Pour les petits princes, également.
Mignonne fait du beau, elle fait du bien aussi.
*Je vous laisse le courriel de cette gentille dame de Sainte-Croix, ce n'est pas dans mes habitudes : migmigtg@hotmail.com