«On ne fait pas exception des autres villes. La santé mentale prend de plus en plus de place dans le travail des policiers.» Jean Minguy est agent de liaison en santé mentale au Service de police de la Ville de Québec (SPVQ). Le policier a terminé la première année d'un projet-pilote de trois ans.
L'un des problèmes, c'est que la formation ne suit pas au même rythme. Lui-même patrouilleur, M. Minguy sait bien que les policiers ne possèdent pas toutes les compétences requises pour travailler avec cette clientèle.
«Nous ne sommes pas des psychologues ni des travailleurs sociaux. Les jeunes policiers, en particulier, ne sont pas nécessairement bien préparés, en plus du manque d'expérience de vie. À cet âge, tu entres dans la police avant tout pour arrêter des criminels.»
L'an passé, le SPVQ a offert 26 journées de formation réparties entre les membres de son effectif. D'autres journées de formation sont prévues cette année.
Est-ce suffisant? Possiblement pas, croit le commandant Réjean Pleau, coordonnateur du projet-pilote. Au moins, les patrouilleurs apprennent-ils quelques notions de base. «Baisser le ton, ne pas rentrer dans la "bulle" de la personne ou ne pas lui toucher. Parfois, ce sont des choses simples à savoir qui permettent de mener l'intervention à bien», explique-t-il.
Ce dernier rappelle l'événement survenu à Montréal à l'hiver 2014 au cours duquel un policier avait menacé un itinérant de l'attacher à un poteau à - 40 °C pendant une heure s'il ne cessait pas d'être agressif en mendiant. «Ça avait choqué beaucoup de monde. Moi, j'ai vu un policier qui était à bout. Il voulait bien faire, mais ne savait pas comment.»
Certains services de police ont développé des modèles d'intervention novateurs. À Memphis, rapporte l'agent Minguy, un policier patrouille accompagné d'un intervenant spécialisé en santé mentale. Ils répondent aux appels pour des personnes en crise.
Montréal expérimente une approche différente. Des policiers ont été formés en santé mentale. Ils agissent comme des équipes spécialisées sur le terrain. «Lorsque des patrouilleurs se consacrent à la santé mentale, ça crée des meilleurs liens avec les clientèles plus vulnérables dans certains secteurs», note M. Minguy
Enfin, à Gatineau, le service a embauché un travailleur social disponible en tout temps pour supporter les policiers dans leurs tâches.
«On peut faire mieux»
Meilleure formation des policiers et des urgentologues, guichet de services unique. Bien que les solutions existent pour améliorer la prise en charge des personnes avec un problème de santé mentale en état de crise, elles doivent être assorties d'une volonté politique.
Le docteur Pierre Laliberté est directeur des soins à l'Institut universitaire en santé mentale de Québec (Robert-Giffard). Malgré les trous qui existent dans la couverture de services offerts, il note que la région est bien organisée.
«Les policiers voudraient plus de services en situation de crise. On sait que ce n'est pas parfait. On peut faire mieux. D'après une enquête, Québec et Saguenay sont toutefois parmi les régions les mieux équipées», note-t-il, faisant l'éloge du travail policier en la matière, même s'ils devraient être mieux formés.
Normes québécoises
Formation, guichet unique. Le Dr Laliberté a l'impression de revivre les discussions qu'il a eues avec d'autres collègues il y a plus de deux ans. Il participait à un comité provincial formé par le ministre de la Santé de l'époque, Yves Bolduc, pour élaborer des normes québécoises en matière d'intervention policière, notamment, auprès des personnes avec un problème de santé mentale en état de crise.
De fait, les travaux du comité ont abouti à un rapport qui a été transmis au ministère de la Santé. Selon M. Laliberté, le fruit de leur travail semble avoir souffert des changements de gouvernement. Comme bien d'autres rapports, celui-ci est toujours sur les tablettes.
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Un trou dans les services
Au moment où la police de Québec cherche à améliorer ses pratiques, elle lance un appel au système de santé pour combler «le trou» dans les services offerts aux personnes en crise.
Le SPVQ croyait bien avoir trouvé une partie de la solution à ses problèmes en confiant de façon systématique à l'organisme PECH, Programme d'encadrement clinique et d'hébergement, les personnes arrêtées en état de crise. Le but est de désengorger les urgences des hôpitaux et d'éviter la détention et la judiciarisation à outrance de personnes qui, souvent, «dérangent» plus qu'elles ne commettent de réels délits.
Faute d'un budget suffisant, PECH n'a pu répondre à la hausse des demandes. Depuis juin 2014, le service de crise est offert seulement de jour du lundi au vendredi. Un autre organisme, le Centre de crise de Québec, aide aussi les policiers. Cependant, il ne peut combler les besoins à lui seul.
«Ça ne fait pas notre affaire, cette réduction de service, lance Jean Minguy. En effet, PECH offre même de se rendre sur les lieux de l'intervention pour aider les policiers et assure un suivi auprès de l'individu arrêté. Dans un monde idéal, il y aurait un organisme auquel on pourrait confier en tout temps les personnes en crise et un intervenant formé pourrait nous aider», ajoute-t-il.
Selon lui, la prise en charge d'une personne en état de crise est simplifiée lorsqu'elle est remise entre les mains d'un organisme de première ligne. Au contraire, l'amener à l'urgence demande souvent plus de temps aux patrouilleurs. Il arrive même que la crise soit terminée lorsque la personne est examinée par un urgentologue. Dans pareil cas, il retourne chez lui, trop souvent sans suivi.
«La santé mentale, c'est notre rôle. Mais on ne veut pas le faire tout seul», fait remarquer le commandant Réjean Pleau. Actuellement, c'est davantage du cas par cas qu'un protocole clair pour chaque intervention.»
Travail en vase clos
Il considère que la police et le système de santé travaillent encore trop en vase clos. «Nous avons vécu une situation où des gens des services sociaux ont établi des protocoles que nous devons appliquer sans nous avoir fait participer aux discussions», rapporte M. Pleau.
Heureusement, quelques dossiers cheminent. Bientôt, le SPVQ annoncera un protocole d'entente avec le centre de prévention du suicide. Une nouvelle bien accueillie puisque les personnes suicidaires représentent le cas type d'intervention des policiers en lien avec les appels d'état mental perturbé.
Le cas Castagnetta
Le changement de culture policière envers les cas de «santé mentale» est encore relativement nouveau. Pour preuve, le Service de police de la Ville de Québec a créé il y a seulement quatre ans le code d'intervention État mental perturbé.
«Auparavant, on les rentrait en cellule; aujourd'hui on ne fait plus ça», soutient le commandant Réjean Pleau.
Son commentaire n'est pas sans rappeler la mort de Claudio Castagnetta. L'homme de 32 ans, fortement intoxiqué par les drogues, avait été arrêté le 18 septembre 2007 rue Saint-Joseph à l'aide d'un pistolet Taser. Il avait passé une nuit en cellule avant d'être amené à l'hôpital où il est décédé sans avoir obtenu à temps les soins pour le sauver.
Le coroner Jean Brochu avait montré du doigt «un problème de culture chez les policiers et les agents des services correctionnels», les ayant menés à ignorer sa détresse évidente. Notamment, il vomissait et on lui avait mis un casque de hockey parce qu'il se frappait la tête.
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Loi P-38 › Lorsque les policiers privent de sa liberté une personne en crise, même si aucun acte criminel n'a été commis, ils agissent en vertu de la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. Elle est aussi connue sous son petit nom, la P-38. Dans ces circonstances, un agent de la paix peut, sans l'autorisation du tribunal, amener contre son gré une personne dans un établissement de santé. Dans d'autres cas, la police applique aussi des ordonnances de la Cour pour obliger une personne à suivre des traitements. L'an passé, la police de Québec a appliqué 125 ordonnances du genre.