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Keolis a déposé en mai une requête de modification de desserte auprès de la Commission des transports du Québec (CTQ). Il est suggéré de rayer complètement des trajets vers Percé, La Tuque, Thetford Mines et Victoriaville et de diminuer le nombre de départs sur plusieurs autres routes régionales tout en préservant le corridor Québec-Montréal, le plus payant.
Le principe de l'«interfinancement» guide l'organisation du transport interurbain au Québec depuis des décennies. Les transporteurs se voient confier un monopole sur une route lucrative, mais doivent en échange desservir des régions éloignées où la rentabilité est plus difficile. Orléans Express exploite ainsi la ligne Québec-Montréal, qui finance le service dans le centre et l'est de la province. Ou plutôt finançait.
En entrevue éditoriale au Soleil, mardi, le président de Keolis Canada a sorti de sa poche de veston le petit appareil qui plombe ses résultats financiers : un téléphone intelligent. Grâce à Internet, désormais accessible partout, la clientèle naturelle des autobus s'est tournée vers le covoiturage, constate-t-il.
Concurrence pas chère
En l'espace de quelques clics, étudiants et travailleurs peuvent désormais réserver un siège dans l'automobile d'un particulier et franchir les 250 kilomètres séparant la métropole et la capitale pour 15 à 20 $. Le même trajet coûte environ 50 $ plus taxes en autocar. C'est «trop cher», de l'aveu même de M. Andlauer, qui se dit forcé de maintenir de tels prix pour soutenir ses parcours régionaux.
VIA Rail, transporteur ferroviaire subventionné par le fédéral, offre aussi des rabais alléchants entre Québec et Montréal.
Même en dehors des grands centres, Keolis doit composer avec une nouvelle concurrence, celle des transporteurs régionaux financés par les MRC. Autour de Québec, il y en a dans Portneuf, Lotbinière et sur la Côte-de-Beaupré. La Gaspésie et la Mauricie sont aussi très bien organisées.
«Le modèle s'est complètement brisé» entre 2009 et 2013, conclut le grand patron d'Orléans Express.
Il n'ose pas réclamer la déréglementation totale, car ses effets sont subis et pervers. Les transporteurs délaissent alors les routes régionales, peu ou pas rentables, pour se faire la guerre sur les tronçons où des profits sont encore possibles. C'est ce qui se passe en Alberta et aux États-Unis.
Fini les «runs de lait»
Pour rompre rapidement avec des pertes de 500 000 $ par mois, M. Andlauer avance plutôt un bouquet de mesures.
D'abord, la rationalisation des routes, qu'il estime incontournable, devrait se faire en collaboration avec les autorités régionales, selon lui. Des navettes financées par les MRC et les conférences régionales des élus (CRE) pourraient ainsi rabattre les clients vers des plaques tournantes (hubs) régionales.
Marc-André Varin, vice-président développement des affaires, marketing et communications de Keolis Canada, parle d'éliminer ainsi les «runs de lait» qui déplaisent tant aux clients.
Des discussions ont déjà été entamées en ce sens, avant même le dépôt de la requête de modification de desserte, mais le nombre important d'interlocuteurs rend l'exercice complexe. Ces derniers jours, des maires ont d'ailleurs dénoncé publiquement la proposition d'Orléans Express.
Denis Andlauer avance aussi la possibilité d'exploiter des tronçons moins fréquentés à contrat. Le donneur d'ouvrage encaisse alors tous les revenus, paie le transporteur à un tarif horaire convenu d'avance et... essuie les pertes. Il faudrait pour cela des subventions provinciales, car les autorités locales n'ont pas les moyens de ramasser la facture.
Le gouvernement pourrait aussi financer directement des routes moins payantes, supprimer les taxes sur les billets ou encore diminuer les frais d'utilisation de la gare d'autocars de Montréal, énumèrent les dirigeants de Keolis Canada.
Ceux-ci promettent de ne pas mettre d'argent dans leurs poches au-delà de la marge de profit de 7 % réclamée par le siège social. «On ne veut pas faire du 25 % de profit», assure le président, qui n'écarte pas un scénario de fermeture comme dans les Maritimes advenant un cul-de-sac.
Keolis espérait une décision de la CTQ pour le mois de juillet, mais devra patienter plusieurs mois encore. Des audiences publiques se tiendront à partir de la fin d'août dans quelques villes du Québec, a confirmé mardi Guy Mailhot, porte-parole de la Commission des transports du Québec. Toutes les parties espèrent une décision d'ici la fin de l'année.
Intercar: mêmes problèmes, même combat
Deuxième plus gros transporteur interurbain au Québec, Intercar livre sensiblement le même combat qu'Orléans Express pour garder une certaine profitabilité. «Les problèmes ne touchent pas seulement Orléans, ils concernent l'ensemble des corridors interurbains en Amérique du Nord», a lancé le propriétaire d'Intercar, Hugo Gilbert. «La baisse d'achalandage est généralisée, notamment parce que les voitures sont plus accessibles, elles consomment moins d'essence et aussi, il y a plus de covoiturage.»
Intercar, qui dessert le Saguenay-Lac-Saint-Jean et la Côte-Nord, a de plus déjà rationalisé ses services, au point où la plupart des liaisons ont le service minimal. «Ça ne veut pas dire qu'on va le faire, mais si jamais on fait une demande [auprès de la Commission des transports] dans les prochaines années, ce sera pour abandonner un service, pas pour le réduire, parce que c'est déjà au minimum», a ajouté le dirigeant.
Hugo Gilbert signale aussi que l'interfinancement, soit le financement des corridors non rentables par une hausse des revenus des corridors rentables, atteint ses limites dans le contexte actuel. «L'interfinancement est de moins en moins possible et il n'y a pas une compagnie qui y échappe. L'industrie va sûrement avoir besoin d'un coup de pouce de l'État, par le biais de programmes d'aide, d'allégement ou d'autres formules», a conclu celui qui préside aux destinées de la compagnie fondée par son grand-père en 1959.
Avec la collaboration spéciale de Steeve Paradis