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Le phénomène est connu dans les milieux médicaux sous le nom de «paradoxe de l'obésité» et a fait couler pas mal d'encre ces dernières années dans les revues savantes. Car malgré tous les effets néfastes et prouvés que le surpoids peut avoir, notamment sur les artères (voir le tableau), plusieurs études récentes montrent que la mortalité reste obstinément plus basse chez les gens qui font de l'embonpoint que chez ceux qui ont leur «poids santé». Par seulement quelques pourcent, mais quand même: avec tout ce qu'on entend sur le surpoids, cela reste étonnant, et bien des chercheurs tentent de comprendre.
Cette semaine, l'Institut Fraser a ramené cette question dans l'actualité en prétendant que l'État devrait cesser ses campagnes contre l'obésité sous prétexte, entre autres, que celle-ci ne serait pas aussi dangereuse qu'on le prétend. Le document a été très sévèrement critiqué par plusieurs experts, et à raison, mais le fait est que ce paradoxe existe bel et bien.
L'an dernier, en effet, une chercheuse du Center for Disease Control, aux États-Unis, Katherine M. Flegal, a publié dans le Journal of the American Medical Association une revue d'une centaine d'études sur le sujet, regroupant un énorme échantillon de 2,9 millions de personnes. Parmi elles, celles qui faisaient de l'embonpoint avaient un taux de mortalité 6 % en dessous de celui des gens ayant un poids santé. Et si l'obésité sévère ou morbide haussait bel et bien les décès de près du tiers, l'obésité légère, elle, ne conduisait pas à la morgue plus souvent que le poids santé.
Voilà qui, à vue de nez, semble contredire de plein fouet tout ce qu'on nous dit sur le surpoids, de même que les montagnes d'études qui ont démontré les nombreux méfaits de l'obésité (voir le tableau «Plus de maladies, moins de morts?»). Comment la graisse pourrait-elle à la fois rendre malade et avoir un effet protecteur?
La question est encore débattue dans les milieux médicaux, mais à bien y regarder, les deux propositions ne sont peut-être pas si difficiles à concilier qu'il n'y paraît, disent deux experts consultés par Le Soleil. «Je suis tout à fait d'accord avec cette idée-là (que le gras peut jouer un rôle protecteur). Par exemple, chez les populations gériatriques, l'embonpoint est souvent associé à une masse musculaire plus grande, donc à une meilleure forme physique. Et puis, la graisse n'existe pas pour rien, elle a une fonction, c'est une réserve d'énergie», dit Jean-Pierre Després, spécialiste de l'obésité et du métabolisme de l'Université Laval.
«Il ne faut pas oublier, renchérit son collègue de l'Université de Sherbrooke Martin Brochu, que le tissu adipeux n'est pas mauvais en lui-même, c'est en avoir trop qui l'est. [...] Quand on lit ce qui s'est écrit sur le paradoxe de l'obésité, on voit que [les gens qui bénéficient d'un surpoids modéré] ont souvent des conditions médicales assez sévères, comme de l'insuffisance rénale ou cardiaque.» Des problèmes de santé comme ceux-là nécessitent souvent des interventions chirurgicales ou d'autres interventions assez lourdes - et les individus qui ont d'assez bonnes réserves, donc un IMC relativement élevé, y survivent mieux que ceux qui sont affaiblis et rachitiques.
Dans une étude publiée en 2010, d'ailleurs, deux chercheurs américains ont séparé les courbes de mortalité et d'IMC par tranches d'âge, et ont trouvé que l'embonpoint n'a absolument aucun avantage pour les plus jeunes. Dans la vingtaine et la trentaine, la mortalité est à son plus bas à des IMC tournant autour de 20. Mais plus on vieillit, plus cet «IMC idéal» augmente, si bien que passé 60 ans, les décès sont moins fréquents autour de 27 ou 28 d'IMC - comme si faire un peu d'embonpoint «conservait», pour ainsi dire.
Parmi les autres explications qui ont été avancées pour dénouer ce paradoxe, on trouve le fait que la maladie a souvent pour effet d'amaigrir les patients, ce qui inverse la causalité et augmente plus ou moins artificiellement la mortalité chez les plus légers. Il est également possible que les médecins soient plus vigilants lorsqu'ils ont des personnes obèses ou que celles-ci, se sachant à risque, consultent plus fréquemment.
Cela dit, nuance M. Brochu, «il y a de plus en plus d'études qui montrent depuis quelques années que même pour les personnes âgées, ce n'est pas bon d'être obèse. Passé 30 à 32 d'IMC, ça vient avec une perte de motricité et de la capacité fonctionnelle, qui sont des gros déterminants de leur qualité de vie».
L'IMC trop grossier
Sans avoir complètement tort, donc, l'Institut Fraser n'avait certainement pas tout à fait raison d'invoquer ce paradoxe pour demander l'arrêt des campagnes anti-obésité. Mais quoi qu'il en soit, toute cette histoire fait clairement ressortir une chose: l'IMC est un indicateur très grossier.
«Ça peut induire beaucoup de confusion quand on parle de l'obésité au singulier et qu'on la définit uniquement sur la base [de l'IMC]. C'est un peu ma croisade depuis 25 ans, parce que c'est sûr que si on dit aux gens de faire attention seulement à l'IMC, on se retrouve après avec des statistiques qu'on a de la misère à expliquer», dit M. Després.
Des études ont amplement démontré, poursuit-il, que «le tour de taille peut faire une différence spectaculaire sur la mortalité». Spectaculaire au point d'accroître les décès pouvant atteindre 50 % à 60 % au sein d'un même groupe d'IMC. Et le tour de taille ne serait pas en lui-même la source des problèmes, mais plutôt un indicateur: un ventre proéminent est souvent le signe que des dépôts de graisse se logent, pour diverses raisons, autour de l'intestin, du coeur et du foie, où ils sont particulièrement dommageables. Par exemple, le gras autour du foie a tendance à percoler dans le sang, où il risque de boucher les artères. En outre, «le foie, quand il devient gras, son métabolisme est perturbé, il se met à sécréter du sucre dans le sang, ce qui cause le diabète de type 2.
L'activité physique fait elle aussi une différence énorme. «À IMC égal, et même à tour de taille égal, la fréquence de plusieurs problèmes de santé comme les maladies cardiaques, le diabète et certains cancers varie du simple au double. Alors ça commence à faire pas mal de facteurs qui, pour un même IMC, peuvent vous faire passer dans des catégories de risque très élevé ou, au contraire, très faible.»
Heureusement, l'habitude de mesurer le tour de taille fait de plus en plus partie des pratiques, dit M. Després. «Mais je ne comprends pas qu'en 2014, le facteur de risque le plus important [l'inactivité physique] ne soit pas systématiquement mesuré», lance-t-il.
Autres sources:
JAMES R. CARHAN et autres. «A Pooled Analysis of Waist Circumference and Mortality in 650,000 Adults», Mayo Clinic Proceedings, 2014. http://bit.ly/RcCOhM
KATHERINE FLEGAL et autres. «Association of All-Cause Mortality With Overweight and Obesity Using Standard Body Mass Index Categories», JAMA, 2013. http://bit.ly/1l60HAN
JEAN-PIERRE DESPRÉS. «Body Fat Distribution and Risk of Cardiovascular Disease: An Update», Circulation, 2012. http://bit.ly/1nbzAWV
DOUGLAS K. CHILDERS et DAVID B. ALLISON. «The 'Obesity Paradox': A Parsimonious Explanation for Relations Among Obesity, Mortality Rate, and Aging?», International Journal of Obesity, 2010. http://1.usa.gov/1i7kInc
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La mesure du tour de taille
Il n'est pas compliqué de mesurer son tour de taille, mais pour que l'exercice donne l'heure juste et soit médicalement utile, il faut tenir compte d'un ou deux petits détails que même des professionnels de la santé oublient parfois, avertit le chercheur Martin Brochu. Il y a deux façons de procéder :
- ou bien on le mesure à l'endroit où le ventre est le plus proéminent;
- ou alors on prend le tour de taille à mi-chemin entre la dernière côte flottante (les côtes qui «bougent» un peu quand on se tâte le bas de la cage thoracique, sur le côté) et la crête iliaque (soit, grosso modo, le point le plus haut de l'os de la hanche, que l'on sent aisément en se tâtant le haut de la hanche). Pour donner une idée, environ 5 cm séparent ces deux points - mais gardez à l'esprit que cela peut être un peu plus ou un peu moins, selon la taille de l'individu.