Jean-Bosco Kayonga ne connaît pas toute son histoire. Il est un rescapé du génocide des Tutsis de 1994 au Rwanda. Tous ses frères ont été massacrés. Il est l'unique survivant de la famille. Comment? Il ne le sait pas lui-même, 20 ans après les événements ayant ébranlé la plante entière. «Un rescapé, c'est quelqu'un qui ne peut pas t'expliquer comment il a pu échapper à la mort», évoque le citoyen de Québec. «Ils étaient pourchassés, cachés dans des coins. Ils n'avaient pas de protection. Et il y en a qui sont sortis des morts.»
À l'image de la majorité des réfugiés rwandais habitant la capitale, il dit avoir survécu au génocide comme on sort des décombres après une catastrophe. «C'est comme à Lac-Mégantic. Si tu vois quelqu'un qui sort des décombres, il ne peut pas t'expliquer comment il est sorti, dit-il. Pour la majorité des gens, ils ne te diront pas comment.»
Le Rwandais arrivé à Québec en 1997 agit désormais comme président de la Communauté rwandaise de la capitale. «C'est par miracle qu'il y a des gens qui sont ici, dans notre petite communauté. Et majoritairement, ce sont des rescapés. On s'est retrouvés ici, et chacun apporte son histoire.»
Samedi soir, ils étaient ainsi des centaines de Rwandais toutes générations confondues à l'Université Laval pour commémorer le 20e anniversaire du génocide. Cérémonie de la bougie du souvenir, conférences historiques, témoignages troublants: les Rwandais d'ici ont tenté pendant plusieurs heures - comme ils le font tous les jours - de composer avec ce douloureux passé.
Peu importe les discours et les analyses, le même blâme revient sans cesse. «Après 20 ans aujourd'hui, on déplore que les Nations Unies n'ont rien fait», tonne Jean-Bosco Kayonga. «Ils ne pouvaient pas ignorer. Ils le savaient totalement, mais ils nous ont abandonnés», ajoute-t-il à propos de certaines forces armées internationales.
Il se félicite néanmoins de voir la justice suivre son cours, même si elle traîne en longueur. «Petit à petit, on pense qu'au fur et à mesure, si le Canada continue de punir les fautifs, les génocidaires, de ne pas fermer les yeux sur les gens qui sont ici... Je pense que les deux communautés vont commencer à se parler», prévoit Jean-Bosco Kayonga.
Déportation de Mugesera
La déportation de l'intellectuel, politicien et ancien résident de Québec Léon Mugesera aurait d'ailleurs contribué à rapprocher les communautés Hutus et Tutsis de la capitale. «Les deux communautés ici, c'est un peu comme les deux solitudes. C'est toujours difficile», admet Jean-Bosco Kayonga. «Mais ça commence tranquillement, depuis que le Canada a décidé de renvoyer le génocidaire qui était ici, Léon Mugesera. C'est plus calme, ça a changé. On sent qu'il y a moins de tension.»
Même à Québec, les ponts sont longs à rétablir entre ces deux communautés. Le Rwandais d'origine Frédéric Rudakenga habite la région depuis 26 ans. Il perçoit encore de l'animosité entre les deux ethnies. «La réconciliation, ça prendra du temps!» soutient cet enseignant et vice-président de la Communauté rwandaise de Québec. «Nous, on essaie de ne pas attiser le feu. Notre association est une association qui accueille tout le monde. Donc, la porte est ouverte à tout le monde. Mais il y en a qui ont des cicatrices...»
Deux décennies n'auront donc pas été suffisantes pour exorciser complètement les démons du génocide. «Il y a beaucoup de travail», conclut Frédéric Rudakenga. «C'est très difficile d'effacer un million de morts en 100 jours.»