Lui-même vétéran de la guerre de Corée, M. Martin s'est aussi employé au cours de la dernière année à retracer d'autres anciens combattants gaspésiens ayant servi dans le pays asiatique afin qu'ils reçoivent une récompense dont il avait lui-même été gratifié en 2011, la médaille d'ambassadeur de paix décernée aux vétérans d'un conflit trop souvent oublié, assure-t-il.
«C'est une façon pour le peuple sud-coréen d'exprimer sa reconnaissance pour les services rendus chez eux», aborde M. Martin, qui a toujours «hésité à parler de la guerre de Corée, jusqu'à ce que j'y retourne en 2011, à l'invitation du gouvernement coréen».
Comme beaucoup d'anciens militaires, Gilles Martin a été profondément marqué par la guerre. S'il a attendu si longtemps avant d'en parler davantage, et la plupart du temps avec sobriété dans les détails, c'est parce qu'il s'est agi d'un conflit extrêmement violent, avec des pertes dépassant, toutes proportions gardées, celles de la Seconde Guerre mondiale.
M. Martin hésite à expliquer ce qu'il a vu au front. Il se sert souvent de ce qu'il a vu en bordure de son camp pour illustrer la dure réalité coréenne.
«Des enfants de quatre, cinq ou six ans se tenaient le long des clôtures du camp pour manger nos vidanges, ce qui restait de nos repas. Ils se battaient pour manger ce qui flottait sur l'eau de vaisselle. Ce sont des visions que tu n'oublies jamais», dit-il.
Les deux Corées, en guerre de juin 1950 à juillet 1953 dans la foulée d'un partage du territoire entre les États-Unis et la défunte URSS après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont été appuyées par diverses puissances. La Corée du Sud a été soutenue par 21 pays des Nations Unies, avec les États-Unis en tête, tandis que la Corée du Nord, l'instigatrice du conflit, a été appuyée par la Chine et, pour l'armement, par l'URSS.
Il rappelle aussi que les Corées sont des pays nordiques. «Leur hiver ressemble à notre hiver. Les patrouilles ou les moments passés dans les tranchées se faisaient souvent par des températures de moins 20 degrés. Autrement, on était sous la tente. Ce n'était pas beaucoup mieux sous la tente qu'au front, côté froid. On passait de deux à trois semaines dans ces conditions avant de revenir dans un camp», raconte-t-il.
Ces séjours au camp militaire n'étaient pas des vacances. Ainsi, au début de 1953, quelques mois après son arrivée, Gilles Martin suit un cours de maniement de mitraillette à Woojamboo. «C'était sans protecteur pour les oreilles. Depuis que j'ai 22 ans, ça bourdonne, quand je suis dans une foule.»
Le conflit a pris fin en juillet 1953. M. Martin est resté en Corée jusqu'en novembre, pour des missions de surveillance et des entraînements. «C'est souvent reconnu comme la première mission de maintien de la paix.»
«C'est elle qui m'a sauvé»
Natif de Saint-Elzéar, près de Bonaventure, M. Martin affirme avoir été très chanceux de rencontrer à son retour au pays, par hasard, en remontant à son village, sa compagne d'avant-guerre, Georgette Henry.
«Je n'ai pas été blessé physiquement au front. On s'est fait tirer des deux bords. Il y a des occasions où tu fais ta chance, mais à la guerre, si tu reviens sans blessures, tu as été chanceux. J'ai été doublement chanceux de la retrouver. C'est elle qui m'a sauvé la vie. Je n'ai peut-être pas le tour de lui dire mais sans elle, je ne serais pas ici», assure M. Martin.
S'il accepte de parler plus ouvertement du conflit coréen, c'est parce que sa visite dans le pays asiatique l'a sidéré, en 2011.
«La Corée du Sud est un pays démocratique, la neuvième puissance mondiale, 50 millions de personnes dans un territoire grand comme la Gaspésie, le quatrième utilisateur d'acier dans le monde, des géants industriels comme Samsung. Quand on regarde l'autre pays, la Corée du Nord, qui a besoin d'aide pour six millions de ses habitants, ça me fait dire que notre cause était bonne, il y a 60 ans. Je suis aussi impressionné par les remerciements des Sud-Coréens. Ils continuent d'inviter les enfants et les petits-enfants des soldats qui ont fait la guerre de Corée», explique-t-il.
Sur le plan plus personnel, Gilles Martin est satisfait des résultats de 2013. Les recherches qu'il a amorcées pour trouver des Gaspésiens ayant droit à la médaille d'ambassadeur de paix lui ont permis de trouver 16 vétérans dans la péninsule, et six autres au Nouveau-Brunswick.
Droit comme un «i», vigoureux comme un homme faisant la moitié de son âge, Gilles Martin a fêté ses 80 ans au cours de l'été en faisant ce qu'il avait fait à son 75e anniversaire, un saut en parachute! «Il me reste quatre sauts à faire pour arriver à mes 100 ans», dit-il.