Exit le tramway, vive les voies réservées

À Québec, le réseau des Métrobus est inspiré en partie par le BRT, sans toutefois avoir des corridors isolés ou des infrastructures sophistiquées.

Québec fait fausse route en songeant au tramway et devrait concentrer ses efforts sur un véritable système moderne d'autobus et de voies réservées, estime l'ancien maire de Bogotá et expert international en transport urbain Enrique Peñalosa.


<p>La ligne verte du Bus Rapid Transit (BRT) de Curitiba, au Brésil, combine la flexibilité des autobus et les infrastructures accueillantes et conviviales associées au tramway.</p>

La ligne verte du Bus Rapid Transit (BRT) de Curitiba, au Brésil, combine la flexibilité des autobus et les infrastructures accueillantes et conviviales associées au tramway.

(Photo tirée de wikimedia commons, Mario Roberto Duran Ortiz/Photo tirée de wikimedia commons, Mario Roberto Duran Ortiz)

La capitale a connu cette semaine un épisode houleux avec la mise en service d'une voie réservée sur l'autoroute Robert-Bourassa. Décriée par des automobilistes, acclamée par des usagers du transport en commun, vilipendée par certains politiciens et louangée par d'autres. Le concept de voie réservée soulève encore les passions.

Pour Enrique Peñalosa, il s'agit pourtant du salut tant espéré pour le transport en commun. Un tramway? N'en faites surtout pas un dans la capitale. Apprenez à aimer l'autobus, soutient dans une longue entrevue au Soleil l'ancien maire de la capitale de la Colombie.

«Les tramways coûtent beaucoup plus cher et font beaucoup moins de choses que les bus. Ils sont juste beaux et cute», raconte-t-il. Les politiciens raffolent des tramways. Pas nécessairement les planificateurs en mobilité durable.

En matière d'efficacité, de coût et de mobilité, rien ne bat un système d'autobus moderne, assure ce consultant en transport urbain.

Mais pas n'importe quel autobus. L'ancien maire de la métropole de plus de sept millions d'habitants a lancé il y a une décennie un Bus Rapid Transit (BRT, lire la note en fin de texte) à Bogotá, le TransMilenio. Le bus - version haut de gamme. Le concept de base ressemble à ce que Québec a fait sur l'autoroute Robert-Bourrassa cette semaine : un autobus roule sans contrainte sur une voie centrale dédiée.

Sauf que le BRT emprunte aussi au tramway. Des stations de départ et d'arrivée avec prépaiement sont construites, éliminant les pertes de temps aux embarquements. On grimpe à bord d'un BRT à l'aide d'une plate-forme. Aucune marche élevée. La chaussée réservée est parfois isolée par une barrière physique. Au final, le BRT combine la flexibilité des autobus et les infrastructures accueillantes et conviviales associées au tramway. Des dizaines de BRT ont vu le jour depuis trois décennies. Ottawa en a un. Toronto aussi. Montréal en aura bientôt.

À Québec, le réseau des Métrobus est inspiré en partie par le BRT, sans toutefois avoir des corridors isolés ou des infrastructures sophistiquées.

Enrique Peñalosa n'a pas que donné naissance aux BRT de Bogotá. Il préside désormais les destinées d'un important centre de recherche sur le transport à New York, l'Institute for Transportation & Development Policy. Il voyage sans cesse et conseille régulièrement plusieurs maires de grandes capitales sur leurs choix en matière de transport.

Chaque fois, son message est le même. Ne perdez pas votre argent dans un tramway. «Si tu veux attirer les yuppies, pouvoir dire que c'est cool, ça te prend un tramway», ironise cet inconditionnel du transport en commun. «Le problème, c'est que les bus, ce n'est pas sexy. Les bus sont collés à cette image que c'est pour les pauvres ou pour les Noirs, les immigrants. En 1940, les tramways avaient cette image, alors que les bus, eux, étaient sexy. Mais là, c'est le tramway qui est sexy et à la mode...»

Les autobus reprendront leurs lettres de noblesse, promet Enrique Peñalosa. «Avec un design magnifique, une belle architecture, ça peut être aussi beau qu'un tramway», avance-t-il. «Les bus deviendront très sophistiqués d'ici une décennie ou deux.»

Avec une voie réservée bien conçue, un système d'autobus performant transportera autant de passagers qu'un tramway, soutient cet expert. «Le BRT est aussi bon que le tramway. Il n'y a aucun tronçon au Canada où le BRT ne serait pas capable de répondre à la demande. Vous avez une demande vraiment faible, en comparaison internationale.»

Beau, bon, pas cher? Peut-être. Mais le BRT est très ardu à implanter. Encore plus qu'un métro ou un système sur rails. La raison? L'opposition citoyenne. «Il est très difficile politiquement de prendre de l'espace aux automobilistes et de le donner au transport en commun.»

Au coeur du problème se trouve selon l'urbaniste une conception erronée de l'autobus. «Nous sommes tellement habitués à voir des autobus dans le trafic que l'on croit que c'est normal. Mais non, c'est faux. Un autobus dans le trafic, c'est une absurdité! Mais on est habitués à cette situation - et on ne la voit plus. De la même manière qu'on trouvait normal à la longue que les femmes n'aient pas le droit de vote.»

La métamorphose des habitudes en transport prend aussi du temps. «Ce n'est pas parce que tu mets un autobus au centre d'une autoroute qu'il sera plein. Ça demande de la planification.»

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NOTE : En France, le terme bus à haut niveau de service (BHNS) est utilisé. Le terme BRT est beaucoup plus fréquent en Amérique du Nord, et fait l'objet d'une grille d'analyse scientifique rigoureuse. BRT est donc utilisé dans cet article.

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Le virage de Toronto

La ville de Toronto prend le virage des Bus Rapid Transit (BRT). La capitale ontarienne investit des milliards dans des voies réservées uniquement aux autobus... et les automobilistes applaudissent.

À York, en banlieue de Toronto, la Highway 7 a été élargie - mais sans donner de voies aux automobilistes. Seulement les autobus ont le droit de circuler dans les nouvelles voies. À l'inverse de Québec, ce projet n'a pas fait de vague dans la Ville reine.

Le secret de la zénitude torontoise? Un profond dégoût - partagé par tous - devant le trafic impossible qui paralyse la ville.

La congestion routière coûterait 6 milliards $ tous les ans à la métropole. Et la circulation routière est si pénible que même les automobilistes se rangent derrière la promotion du transport en commun.

«Le trafic est si intense qu'il y a un consensus sur le fait qu'on doit absolument faire quelque chose à Toronto», explique au Soleil la présidente de l'organisme Toronto Transit Alliance, Sarah Thomson.

Cette alliance rassemble autant des gens d'affaires, des politiciens, leaders régionaux que des usagers de la route. «Nous sommes rendus au point que toute amélioration de la fluidité est souhaitée par tous», avance Sarah Thomson. «Nous avons été surpris, mais il n'y a eu aucune contestation de la part des automobilistes concernant la venue de voies réservées sur la Highway 7.»

À Québec, le trafic ne serait pas assez dément pour entraîner une telle unanimité envers le transport en commun, tente la présidente de la Toronto Transit Alliance. Elle prédit cependant que notre ville connaîtra, elle aussi, son point de rupture.

Un tournant où la différence entre le transport et commun et le recours à l'automobile devient si grande que les habitudes changent. «À Toronto, je pense que ça s'est fait à partir de 30 minutes. Quand un trajet en auto dure 30 minutes de plus que le même trajet en transport en commun, il y a un déclic psychologique.»

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Des exemples de BRT en Amérique du Nord

> York (banlieue de Toronto)

L'ancienne ville de York - fusionnée avec Toronto - a inauguré au mois d'août le premier segment de 2,5 km d'un Bus Rapid Transit (BRT). L'idée ressemble à celle de la voie réservée de l'autoroute Robert-Bourassa, mais avec beaucoup plus de moyens financiers et d'infrastructures. Des voies centrales de la Highway 7 sont réservées aux autobus. Les passagers doivent embarquer - et payer - à des stations ressemblant à des stations de tramway. Le projet de 1,4 milliard $ n'a pas généré de contestation. York prévoit construire jusqu'à 37 km de voies réservées aux autobus avec des infrastructures de luxe (stations de verre protégées des intempéries et chauffées à tous les arrêts, affichage d'infos GPS en temps réel, prépaiement avant embarcation).

> Cleveland, Ohio

Le BRT de Cleveland est le plus cité en Amérique du Nord. La ville - dont la population est inférieure à celle de Québec - a construit en 2008 le HealthLine, et sa performance fait des jaloux. Les voies réservées aux autobus ont amélioré le temps de transport moyen de 12 minutes pour les usagers. Les automobilistes? Des études démontrent qu'ils roulent 34% plus vite dans leurs voies depuis que la HealthLine a vu le jour... Même si toutes ses infrastructures ressemblent à celles d'un tramway, le corridor d'autobus n'a coûté que 200 millions $ pour un circuit de 11 km. La somme inclut l'achat des autobus, les stations d'accueil, les voies réservées, l'amélioration des routes parallèles et la plantation de 1500 arbres.