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La Ville réserve ces contrats aux entrepreneurs qui embauchent des membres de l'Association des camionneurs artisans (ANCAI).
Une association concurrente, le Regroupement des entrepreneurs et camionneurs indépendants (RECIQ), a tenté depuis quelques années de convaincre l'administration Labeaume de revoir sa politique. En vain.
Offrir une clause préférentielle dans le domaine du camionnage est permis par la loi, mais cela est exceptionnel dans le monde municipal au Québec.
Même le ministère des Transports du Québec, qui privilégiait les camionneurs de l'ANCAI, s'est ouvert à la libre concurrence depuis le début 2012.
La Ville avait envisagé de suivre le Ministère, mais s'est ravisée et a finalement maintenu le statu quo.
Tout le discours public de l'administration Labeaume vise pourtant la recherche de concurrence.
Encore la semaine dernière, en point de presse sur l'amphithéâtre, le maire Labeaume a rappelé que la Ville avait procédé par «lots multiples» lors des appels d'offres.
«Cela permet à plus d'entreprises d'offrir leurs services et vient ainsi accroître la concurrence au profit des contribuables de la ville de Québec», a-t-il expliqué.
Cette stratégie a permis d'obtenir des soumissions inférieures aux estimations, a fait valoir le maire.
Le conseiller exécutif François Picard a aussi vanté les mérites de la concurrence dans les contrats de la Ville.
Pourquoi faire exception pour le camionnage en vrac?
Pour «protéger les petits camionneurs qui payent des taxes à Québec et pour s'assurer d'avoir des camions pour le déneigement l'hiver», fait valoir M.Picard.
La Ville dit craindre de manquer de camions l'hiver si elle n'assure de l'ouvrage aux camionneurs artisans pendant l'été.
La logique voudrait pourtant qu'une plus grande concurrence donne accès à un plus grand nombre de camions pour le déneigement.
C'est d'autant plus vrai que la nouvelle politique de déneigement de la Ville a réduit les besoins de transport de neige. En théorie, Québec a besoin de moins de camions qu'avant.
La question a été relancée à M. Picard : quel est l'avantage pour la Ville à ne pas aller en concurrence?
C'est un «dossier compliqué qui se discute depuis des années», a-t-il rappelé. «Il fallait faire un choix; on croit à ce que ANCAI a fait», car il y a une «bonne historique avec la Ville».
Lorsque nous avons insisté pour comprendre l'avantage pour la Ville, M. Picard nous a dirigés vers l'association de camionneurs : «Parlez à l'ANCAI».
Le responsable des contrats de camionnage à la Ville, M. Éric Langlois, était au départ un partisan de la libre concurrence. Question de principe.
Il a dû à l'époque se plier à la volonté politique et appliquer les clauses préférentielles en faveur de l'ANCAI. Il a fini par se convertir et pense aujourd'hui qu'il est dans l'intérêt de la Ville de privilégier l'ANCAI.
Une question de fidélité
La Ville «veut fidéliser un bassin de camionneurs» sur lequel elle pourra compter l'hiver, dit-il. «Les camionneurs, il faut qu'ils vivent toute l'année. C'est fondamental et c'est critique d'avoir une quantité de camionneurs», dit-il.
M. Langlois rappelle que Québec doit enlever la neige plus vite qu'à Montréal, parce qu'il en tombe plus souvent et en plus grande quantité. Les citoyens sont aussi habitués à ce niveau de service.
M. Langlois croit par ailleurs que l'entente avec l'ANCAI assure la «paix sociale» et la qualité du service. «Ses camionneurs vont respecter les règles de signalisation et ne se chicaneront pas derrière le souffleur.» Au total, la Ville obtient plus d'«efficacité», dit-il.
Pourquoi l'ANCAI serait-elle la seule soucieuse de donner un bon service? avons-nous demandé à M. Langlois. Pourquoi d'autres camionneurs n'essaieraient-ils pas de donner un bon service? Il n'y a pas eu de réponse claire.
M. Langlois croit cependant que l'ANCAI va en donner plus et «s'efforcer de combler nos besoins prioritairement pour conserver sa clause [d'exclusivité]».
Dans les faits, des camionneurs du RECIQ participent aux opérations de déneigement à Québec lorsque l'ANCAI ne fournit pas à la tâche.
Un rempart contre les «alliances stratégiques»
Le responsable du camionnage à la Ville, Éric Langlois, voit d'un bon oeil la présence d'un «troisième joueur», l'ANCAI, «qui n'est pas un entrepreneur». M. Langlois, qui est président de l'Association des travaux publics d'Amérique, chapitre du Québec, n'accuse personne. Mais il pense qu'avec l'ANCAI «ça met moins la table à des alliances stratégiques entre entrepreneurs. Je pense que ça ne nuit pas.»
Les porte-paroles de l'ANCAI ne s'encombrent pas d'autant de précautions. Le directeur général Gaétan Légaré, le président Guy Laplante et l'avocat Ghislain Bernier reprochent au RECIQ de pratiquer du courtage illégal. L'affaire est d'ailleurs devant les tribunaux.
Ils brandissent aussi le spectre de la commission Charbonneau. «À Montréal, la mafia s'est servie des petits camionneurs pour sortir de l'argent sale», rapporte M. Légaré. Il soutient que cela ne peut pas arriver avec un organisme de courtage comme l'ANCAI.
«Ces gens-là [RECIQ] ne sont pas surveillés parce qu'ils n'ont pas de permis de courtage de la Commission des transports. Ils ne sont peut-être pas tous des gens malhonnêtes, mais on ouvre la porte à ça.»
Les porte-paroles de l'ANCAI sont cependant forcés de reconnaître qu'ils n'ont «rien vu d'illégal à Québec».
Un des leaders du cartel de la neige et du béton démasqué dans les années 90, le Groupe Be-Con, est actuellement membre du RECIQ. Éric Langlois affirme que cela n'influence pas la politique de la Ville, qui continue d'ailleurs à lui donner des contrats.
La loi ne permet pas de discriminer des entreprises, sauf celles mises au ban par l'Autorité des marchés financiers. «On ne peut pas barrer personne», rappelle M. Langlois.